lundi 30 août 2010

291 : dimanche 29 août 2010

William Chester Burnett demeure assez largement méconnu du public européen, et c’est bien dommage. Auteur d’une dizaine de polars et romans noirs, il est de cette race d’écrivains qui ne se laissent pas facilement apprivoiser. Souvent provocateur, parfois même déroutant – dans son premier ouvrage, Hell ain’t a bad place to be (Anyway Press, 1992), le narrateur n’était autre qu’un Ronald Reagan usé par l’alcool et les antidépresseurs, et passant ses journées au milieu d’un élevage d’escargots –, Burnett aime mettre à nu les contradictions de l’Amérique profonde, maniant la plume comme d’autres le scalpel afin de dévoiler les turpitudes d’une postmodernité souvent cynique et désabusée. Le style d’une danseuse (Anyway Press, 2010) prend pour décor une bourgade du Middle West, Harrington, un de ces endroits que personne n’oserait imaginer, mais qu’il faut bien se résoudre à admettre réel une fois qu’on a eu le malheur d’y échouer. Metteur en scène impitoyable, le romancier nous donne à lire la rencontre improbable et hautement truculente entre d’une part John Van Zant, enseignant à Harvard, spécialiste de littérature médiévale – un de ces gars qui vous causent pendant des heures sans que vous compreniez bien où c’est qu’ils veulent en venir, si ce n’est que ce qu’ils racontent les intéressent drôlement, ce qui, il faut bien l’avouer, ne fait qu’accentuer la distance existant entre eux et vous – et d’autre part Steve Blackmore, vétéran de la première guerre du Golfe, bûcheron de temps à autre mais surtout héroïnomane : Steve demandait peu à la vie, ce qui de sa part était la preuve d’un sens aigu des réalités. C’est à ce duo détonnant que Burnett confie alternativement la narration et le soin d’enquêter sur la série de meurtres tous plus sordides les uns que les autres qui ont eu lieu dans les fermes des environs : celui qui se permettait de pareils massacres était à coup sûr un sacré putain d’enfant de salaud comme on en faisait peu. Parsemant son récit de clins d’œil aux romans de la Table ronde ainsi qu’aux classiques de la littérature policière, celui que le New York Times qualifiait ce mois-ci de redoutable prosateur nous offre une épopée grinçante et haute en couleurs et trace le portrait d’une Amérique malade de ses fantasmes.


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Il circule d’étranges histoires dans les villages de bords de plaine, on dit que certaines années, lorsque les étés sont interminables, perpétuellement secs, et que les champs sont devenus trop arides pour que les plants n’y soient pas totalement desséchés et rabougris, qu’alors les crevasses qui lézardent la croûte de la terre devenue nue s’élargissent et se font si profondes qu’un homme peut s’y tenir debout sans que sa tête dépasse la surface du sol. On dit surtout que lorsque ces craquelures deviennent de telles tranchées, certains parmi les jeunes gens du pays sont pris d’un irrépressible besoin de s’y glisser et de les arpenter longuement, euphoriques et hébétés, en proie à quelque indécente façon d’excitation, et que c’est alors que la terre se fait lisse à nouveau, que les crevasses se referment en un instant, enterrant vive la jeunesse, et qu’il se met à pleuvoir des hallebardes, aussi subitement que si le ciel avait tiré l’eau d’un puits gorgé. Lorsqu’il se met soudainement à pleuvoir fort sur la plaine, à l’issue d’une gigantesque sécheresse, tous les parents des jeunes gens des villages se précipitent à la recherche de leur progéniture, dans l’effroi qu’elle ne soit plus au complet.