lundi 28 février 2011

472 : dimanche 27 février 2011

Penser à contacter le syndic à propos de Spade : encore du bruit jusqu’à pas d’heure la nuit dernière (m’a même semblé entendre des coups de feu...)

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Acouphène connaît la maison qui a produit Craie vive. Les sons dérangeants qui lui déclenchent un sifflement dans l’oreille, il sait les rendre intolérables : il a le matériel pour ça, chez lui… Mais on n'en veut pas, car il est musicien. En caractères imprimés sur la feuille circulant dans les bureaux du producteur de Craie vive : « Acouphène, coordonnées ci-après, lauréat 1989 du son infime “Danse le brouillard sous la pluie” ». Au XXIe siècle, un créateur de sons ne doit pas avoir été primé au siècle dernier. Cela fait obsolète. Par ailleurs, les sons créés au siècle dernier étaient des mélodies. Exclusivement. Composées par des musiciens. A ces talents, on décernait parfois des prix. Tout cela ne fonctionne plus aujourd’hui, la musique est obsolète. On veut des sons.


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Juste avant d'arriver au bout de la petite rue, j'avais à ma droite, précédant les quatre étages, béton clair, grandes baies et hauts garde-corps de verre brun foncé, du retour d'un immeuble des années soixante dont la façade donnait sur l'avenue, une maison décrépite, abandonnée. Une restauration était sans doute envisagée, et éternellement remise, parce que, parfois, la haute porte, aux deux vantaux curieusement inégaux, dont la peinture vert wagon s'écaillait, était ouverte, laissant voir, dans la faible lueur venant d'une ouverture sur une cour intérieure, un long boyau à l'enduit orné de quelques gypseries dégradées, et des sacs de ciment alignés sur un sol sale en tomettes de Vence vernissées, surprenantes dans notre Provence de l'intérieur, reste vraisemblablement d'une précédente remise en état.


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Quelle que soit la complexité de ce qu'elle entreprend de vous expliquer (ou de vous démontrer dans le cas d'un théorème), la fabrique de paragraphes ne vous fera jamais un dessin. N'y comptez pas. Pas outillée pour.


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Une porte, deux femmes. Une dehors, une dedans, et entre les deux une enfant. Elle est assise par terre, les cheveux dans les yeux, de ses doigts maladroits elle refait ses lacets. C'est un événement pour elle, à cinq ans elle est indépendante et se chausse et se déchausse à volonté. La femme de dehors attend en frissonnant. Elle appelle sa fille une ou deux fois, doucement, fermement. Elle est garée en double file devant le pavillon, elle aimerait libérer rapidement la rue, se retrouver dans la chaleur de son foyer avec sa fille sur ses genoux qui lui racontera son week-end. La femme de dedans s'impatiente. Elle a ses propres enfants, elle aimerait que cela aille plus vite. Que la fille de son mari libère les lieux après son week-end sur deux, qu'elle retrouve sa mère de l'autre côté de la porte entrouverte, une femme trop maigre qu'elle ne voit pas mais dont elle entend la voix douce, ce qui est déjà trop. La fille se dépêche, se bat avec ses lacets, rate recommence, sent les larmes qui vont bientôt monter jusqu'à ses yeux. Enfin son père arrive. Il s'agenouille calmement, refait ses lacets, monte la fermeture de son manteau. Il lui tend son sac, la serre longuement dans ses bras et la laisse aller. L'enfant se faufile de l'autre côté, rejoint sa mère, sans que la porte ne laisse les deux mondes s'entr'apercevoir. Il faut que tout reste à sa place, en ordre. Elle monte dans la voiture de sa mère, ferme les yeux. Le moteur démarre, elles sont parties. La porte est claquée sèchement en attendant les 15 prochains jours.

dimanche 27 février 2011

471 : samedi 26 février 2011

Que des alpinistes qui n’en portaient pas encore le nom aient pu escalader le Mont-Blanc trois ans avant que n’éclate la Révolution française demeurait pour Léon une source de réflexions semblait-il inépuisable.

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Il est assis sur le canapé entouré de ses enfants. Le rituel du soir est un rendez-vous de tendresse et de confidences, il leur raconte des histoires, les enfants lui relate leurs journées. Son fils si jeune dans ses bras, ses filles de part et d'autre. Depuis que leur mère est partie, un soir, dans sa voiture, depuis que la voiture fut retrouvée dans un fossé sous une pluie battante, ils ont allongé la durée de ce moment du soir. Ils se serrent, se touchent, se rassurent avant d'aller se coucher. Ensuite, il fait un tour des lits et prodigue bisous et câlins dans le cou. Ensuite il retourne, seul, boire une tisane devant la télé, parfois une bière. La communauté le plaint, le choie. Personne ne sait que, si elle est partie si vite, les larmes aux yeux, la pluie au cœur, c'est parce qu'il venait de lui dire qu'il demandait le divorce.

samedi 26 février 2011

470 : vendredi 25 février 2011

Charles quitta son lit sans faire de bruit, descendit jusqu’à la cuisine et là, assis à la table, médita devant un grand verre de calva : non, il n’avait pas rêvé, ce prénom qu’Emma prononçait chaque nuit pendant son sommeil, et que la semaine dernière encore tandis que tous deux…


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Le sauvetage du capitaine Bretwood (3/3) Mayar ne se souvenait guère avoir vu un tel spectacle dans cette partie habituellement calme du lac, où il avait l’habitude de venir pêcher. Il distingua tout d’abord le bruit d’un moteur se rapprochant, puis, ce qui lui glaça le sang, celui des chants guerriers Organda qu’il ne connaissait que trop bien. Cela lui avait rappelé en un instant sa fuite de la tribu lorsqu’il fut condamné à mort, et la période de traque qui s‘en suivit durant laquelle ce chant lui devint familier, comme produit par la forêt même tandis qu’il restait caché, tout le jour parfois. Par réflexe il se planqua de nouveau, - prenant bien soin de ne pas abîmer sa canne à pêche - en se demandant néanmoins ce que pouvaient bien venir faire si loin de leur territoire habituel les Organda. Il vit alors apparaître dans son champ de vision une barque, dans laquelle figurait un premier type assis, grattouillant d’un instrument et semblant chanter, et un second debout, de fière allure. Le bruit de moteur se rapprocha, et il vit passer comme une flèche un hydravion qui provoqua des remous mettant en péril l’équilibre de la barque. Néanmoins aucun de ces 2 occupants ne fit le moindre mouvement. Tandis que le bruit de moteur s’éloignait, le chant des Organda montait. Il reconnut le léger sifflement qu’il entendit (ainsi que quelques cris dus sans doute au passage de l’hydravion pour les déstabiliser), et des flèches commencèrent à s’abattre en direction de la barque, néanmoins encore provisoirement hors de portée. Finalement l’hydravion apparut, naviguant à faible allure, des flèches rebondissant sur la carlingue. Une porte s’ouvrit et un type hurla en direction de la barque. Les deux cette fois étaient debout, les flèches se rapprochant dangereusement. L’une vint se ficher dans l’étrange instrument porté en bandoulière, au grand dépit de son propriétaire qui se mit à pester en brandissant le poing en direction des guerriers Organda, tandis que l‘objet émit ce qui semblait un glapissement de bois et de cordes. Mais l’autre le poussa bon an mal an dans l’avion, monta à sa suite, et l’engin démarra cette fois, sous une pluie de flèches. Mayar jugea qu’il en avait vu assez, et qu’il était plus prudent désormais de s’esquiver. Il reprit le chemin de sa cabane, se repassant cette histoire dans la tête, tâchant d’éclaircir ses idées, ce qui était une chose à faire car il allait devoir justifier auprès de sa femme son retour sans la moindre prise pour le déjeuner.


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C’était abandonner. Par dépit, ras-le-bol, fatigue, s’en foutre. Mail, surf, vidéos, cette fenêtre là, et l’autre sur le dehors, la rue, la ville, les platanes nus, attendre le soir, le weekend, le repos, le silence du seul.


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Il en déboule de partout. Et elle, elle va où ? Chaque pas crisse dans ce tohu-bohu sans échappatoire. Des instants comme des coups, un concassage méthodique quand à travers la foule, elle tente de s'en sortir. Densité des os, raclage du gosier, aspirer à s'éjecter de la masse tête la première. S'incliner en avant, ne plus se rendre compte de ces gens, leur nombre, ils s'agglutinent. Difficile quand d'autres veulent entrer et forcent le passage en sens inverse, mais comment passer si on ne laisse aucune issue. D'où viennent-ils ? À essayer de mettre ses pas dans ceux qui précèdent, elle s'écrase sur des dos. Avec un peu d'élan, contourne deux personnes en progressant au ralenti. Et le sol disparaît. Quand déboule, sur la gauche, un nouveau tas d'impatients qui jouent des coudes, frôlent, écrasent. Déferle l'angoisse de se faire écraser au moment où le ciel s'assombrit, les lumières s'éteignent, alors que d'autres affluent. Se dégager de la nasse devient rêve, l'impétuosité se transforme en violence. Ouvrir un passage entre des bousculades, progresser de quelques centimètres et apercevoir, derrière ceux qui chargent à contre-courant, apercevoir un interstice. Un possible passage, où frémit de l'air... ne pas perdre pied... avancer... ne pas trébucher... là où s'extirper de la cohue... orteils écrasés... enfin respirer... et foncer sans reprendre son souffle.


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Dans les escaliers roulants, tous en file indienne, les mains sur la rampe qui accompagnent nos pieds immobiles. Tous à coup, la rampe s'arrête. Une main agrippé en est surprise, s'étonne, ne comprend pas. Une main fripée et fatiguée tombe sur les indiens derrière et sur les suivants. Les escaliers continuent sans la rampe, les indiens sont confus autour du corps immobile qui s'affaisse écartelé entre la main et le pied. Des cris s'élèvent, des doigts s'agitent sur le bouton de sûreté, tout s'arrête alors que l'homme se relève. Il est âgé, secoué et vexé. Son pied s'est enfoncé dans ma jambe avant d'écraser le mien alors qu'indienne derrière lui je retenais son corps lourd de mes bras. Nous repartons en boitant, lui entouré de passants intentionnés, et moi seule, courant après mon train qui piaffe sur le quai.


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Il n’avait pas remis les pieds dans cette maison depuis bien longtemps, il n’arrivait pas à se souvenir de l’année de sa dernière visite. Il se rappelait le contexte, les détails, mais ne parvenait pas à les situer précisément dans le temps. Avec un petit effort sans doute il aurait retrouvé une date mais cela lui coûtait déjà trop. Il s’était interdit d’y retourner un jour. Ce qui ne l’empêchait pas de l’arpenter virtuellement. Il visualisait parfaitement l’entrée de pierre de la propriété, privée de portail, puis le chemin de sable qui serpentait jusqu’à cette grande bâtisse qui réunissait en fait trois habitations de styles et d’époques différentes. Comme un château flanqué de deux tours disparates. Il voyait les volets oranges accrochés à la façade, la vigne vierge courant au-dessus du perron central, avec la cloche qu’on pouvait y sonner. Mais il entrait par un autre perron à l’extrémité ouest de la maison qui offrait une vue sur le jardin et le potager. Il donnait accès à la cuisine et à la salle à manger. On faisait dans cette pièce des repas gargantuesques pour plus de vingt personnes, régulièrement. Après, c’était le bureau où le grand-père disparaissait à l’heure de la sieste sous prétexte d’ouvrir son courrier. Derrière, il y avait une salle vide et froide que l’on utilisait uniquement pour Noël. On y mettait le grand sapin et les montagnes de cadeaux. Une porte ouvrait sur un appartement privé. Un long couloir longeait le bureau, le salon de Noël, l’appartement et menait à un escalier de bois peint. A l’entresol se trouvait une chambre unique. Il se souvenait du bruit familier de la porte qui claquait. A l’étage, trois chambres en enfilade : la chambre dite “des ancêtres” avec ses portraits jaunis, la chambre dite “provençale” avec ses lits jumeaux, et la chambre de Paul où il avait parfois veillé à cause du Loir qui descendait certaines nuit du grenier en glissant le long du tuyau de chauffage. Une autre porte au bout du corridor, un autre bruit délicieux en la claquant, plus souple, moins métallique que celui de l’entresol. La chambre des grands-parents, un bureau, une salle de bain et un escalier qui redescendait à la cuisine. Il pouvait avancer pas à pas dans cette maison fantôme en identifiant bruits et odeurs, il savait où se nichaient les toiles d’araignées. Il s’en tiendrait là.

vendredi 25 février 2011

469 : jeudi 24 février 2010

Que Léon calanche dans les calanques et…

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Le sauvetage du capitaine Breetwood (2/3) Ce que le capitaine Breetwood entendit en premier, ce fut le son du moteur. Son regard s‘était alors tourné vers le sommet de la montagne, guettant l‘hydravion qui soudain apparut, violemment éclairé par le soleil lui faisant face. Le regard de Breetwood se posa de nouveau sur Carlo, son fidèle acolyte, tranquillement assis à l’autre bout de la barque et jouant d‘une petite guitare, un instrument qu’il - pourquoi diable cela revenait-il maintenant à la mémoire de Breetwood ? - avait gagné lors d’une partie de poker à un marin danois qui en jouait merveilleusement bien, et qui fut profondément affecté par cette perte. C’était il y a quelques mois déjà. D’un regard il vit l’avion se rapprocher à grande vitesse, tandis qu’il distinguait le son émergeant des chants guerriers Organda, ceux-ci s’approchant à vive allure dans leurs embarcations. En un éclair il vit briller au soleil les pointes des lances (à quelques centaines de mètres encore), l’avion passé suffisamment près de la barque (Mac voulait faire demi-tour en vol et non sur l‘eau), pour former des vagues et obliger Carlo à hausser le ton afin de ne pas être couvert par le bruit du moteur. Carlo, en effet, depuis quelques minutes chantait une ritournelle amoureuse de sa composition, mais s’était progressivement adapté au chant guerrier des Organda. De ce qu’en entendait et voyait Breetwood, il s’agissait d’un enchaînement d’accords en LaM, SolM, DoM RéM, sur lesquels Carlo se plaisait à placer des paroles langoureuses - en portugais - censées enflammer l’objet de ses désirs. Les chants guerriers Organda sont eux extrêmement codifiés. Le chef de clan improvise des paroles guerrières de plus en plus enflammées au fil des répétitions, en un rythme et sur une tonalité précise. À chaque conclusion, ses guerriers lui répondent « A mort ! » : c’est cette phrase qu’ils entendaient fondre sur eux, en une descente Fa dièse-Si. Carlo avait naturellement incorporé ces notes et cette phrase à son jeu : une descente d’accords Fa dièse-Si en sus 4, bien que son annulaire passait régulièrement de la troisième à la quatrième corde. Breetwood songea que Carlo ne se doutait guère (quoique…) que sa déclaration d’amour était désormais rythmée par cette phrase : « A mort ». Puis il songea que dans de nombreuses langues, amour et mort ont une consonance voisine. Et enfin que ce rapprochement constitue finalement la trame même d’un grand nombre des classiques de la littérature et du théâtre, une thématique universelle et intemporelle.


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C’était écrire une doc utilisateur, la journée à faire des copies d’écrans, trouver les mots les plus simples pour que ça rentre dans des bulles et se rendre compte, alors, du manque d’ergonomie, de tout ce qui avait été raté, pensé trop vite, pas remis en cause, pas le temps, pas le budget, vite fait mais fait et pratiquer un exercice supplémentaire de mensonge, cataplasme sur les jours passés à travailler sur un projet vite vendu, ressentir tout le mépris, sans source fixe, un mépris général, systémique, eau sous l’épée de notre dignité, dirigé vers ceux qui avaient produits et ceux qui allaient utiliser, et se surprendre à espérer des chiffres bons (qu’au moins eux…) et que tout cela ne soit pas complètement pure perte ; en se demandant aussi le gain alors, pour nous, quel différent ?


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Je finissais toujours par me demander, lorsque j'avançais entre ces files de maisons, pourquoi j'avais pris l'habitude de parler de « la petite rue ». Même les quelques façades plus nobles, plus ornées ou plus décrépites, même les variations dans les proportions, variations assez limitées d'ailleurs, et dans les teintes des façades et des portes, la présence ou non de pots de fleurs, d'herbes parasites le long des descente d'eau, n'arrivaient pas à masquer l'étirement de ce boyau, étirement rendu sensible par la lassitude qu'il causait en moi.


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On proposa l’idée d’étendre à tout ce qui était représenté par le dessin la nature d’espace impossible dans la réalité matérielle à trois dimensions. On partit du constat que lorsqu’un espace impossible est désigné, il peut être transféré par la description textuelle en espace semblant complexe et paradoxal et dès lors porteur de liens logiques inédits, jusqu’à ce que la transposition au dessin, comme procédé vérificatoire le plus immédiat des possibles cohérences spatiales communes, révèle son incontournable incapacité à exister dans le domaine physique à l’échelle de l’expérience humaine. On renversa la dialectique qui reliait dessin et impossibilité de l’objet de sa représentation en termes d’espace réel pour supposer que tout ce qu’il était possible de représenter par le dessin était matériellement impossible et incohérent. Ainsi ébranlés dans nos présupposés intuitifs, nous pûmes admettre qu’espaces possibles et impossibles étaient indifférenciés des points de vue de l’intuition ordinaire et du sens commun, et commencer à réfléchir à la construction d’un nouvel abri de jardin.


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Urbain est arrivé tôt, il ne veut pas la rater. Il s'est installé avec sa guitare comme chaque jour devant la bouche du métro. Il lui a composé une chanson cette nuit avec son matériel vintage : boîte à rythmes TR-808, table de mixage 4 pistes Tascam... Il a laissé son matériel dans le squat et n'a apporté que sa guitare, une antique Taylor dans le même état que la Takamine de Glen Hansard dans le film Once. Il n'est pas satisfait de ses paroles : musicien pas écrivain. Il a utilisé l'anaphore comme forme. Au moins, elle trouvera qu'il s'est donné du mal. Quant à la musique, il a voulu commencer par un rythme bossa avec des accords septièmes. Ensuite la chanson change de rythme et d'harmonie pour prendre une teinte brelienne. Il s'appliquera pour le chant, il faut une montée progressive, finir comme le Grand Jacques finit La quête. Pas sa chanson préférée mais c'est cette force qu'il souhaite. Il connaît néanmoins ses limites au chant ; n'est pas Brel qui veut. Le risque serait qu'il soit ridicule, qu'elle n'aime pas la chanson. Ce n'est pas exactement l'objectif. Elle s'appelle Zineb, elle s'arrête tous les jours pour l'écouter. Elle ne reste que le temps d'une chanson. Et leur jeu consiste pour lui de jouer une nouvelle chanson chaque jour, pour elle d'en deviner l'auteur. Des chansons plus ou moins connues de Kyo, Tété, BB Brunes, Mickey 3D comme des vieilleries de David Bowie, Lou Reed ou Nirvana. Aujourd'hui, pour la première fois ce sera une chanson d'Urbain, parce que leur petit jeu prend un tour plus intime, du moins le pense-t-il, à force de sourires et de silences pendant leur bref échange quotidien, peut-être la naissance d’une romance. Attention, la voilà. Il commence le premier accord, Bb7M, puis Eb7M, Dm7, etc. Écoutez...


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Elle est assise côté fenêtre, l'air pensif, une main frêle posée sur le système de ventilation. Ses cheveux bruns sont à peines propres et encore moins coiffés et cachent une partie de son teint pâle. Elle est emmitouflée dans une parqua noire qu'elle refuse de quitter malgré le chauffage, et elle regarde le paysage défiler sans le regarder, ailleurs. Son esprit est en transit, elle est partie d'un endroit et s'en va quelque part, elle s'est posée dans ce train en laissant ses questions sur le quai. Elle les retrouvera en descendant, sa vie d'incertitudes n'aura pas changé. Tu la regardes sans la cerner très bien encore. Son visage lisse est percé d'un regard déjà si vieux, comment peut-on être si jeune et avoir tant vécu, tant supporté, tant surmonté. Tu ne sais pas. Tu l'accompagnes. C'est ton boulot, d'être à ses côtés, de l'aider à soulever sa valise dans le porte bagage. Tu ne connais que son nom et l'adresse où elle se rend, l'adresse qu'un juge a choisi pour elle. Pourquoi est-elle ici, pourquoi cette enfant de quatorze ans se retrouve dans un train, seule hormis toi, tu l'ignores. Cela n'a pas d'importance au regard de ta mission. Mais quand même, tu es ému. Elle est ta première mission, tu te sens maladroit, sans savoir si tu dois lui parler ou la laisser. Elle a l'air tranquille dans sa solitude... Finalement, tu lui tends un paquet de tic-tac. Elle écarte le casque de sur ses oreilles et se sert en te souriant timidement. "Merci".

jeudi 24 février 2011

468 : mercredi 23 février 2011

Qu’Emma désaimât semblait à Léon phonétiquement impossible.


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Le sauvetage du capitaine Breetwood (1/3) La carlingue de l’avion tremblait à tout rompre, longeant les sommets montagneux à vive allure. Humph’ n’était guère rassuré, voir blême, et Mac - le pilote - profondément concentré. Mac suivait le terrain au plus près et plein gaz, tout en pensant au capitaine Breetwood, et se revoyait dans sa jeunesse prendre l’aspiration de son concurrent - le fils ainé des Cumley - lors d’une course de voitures chez ses parents à Fort Augustus. Il savait qu’il ne fallait pas traîner, chaque seconde était précieuse. Il remit un coup de manche à l’approche d’un sommet plus élevé, anticipant ce qui allait se trouver derrière, tandis qu’Humph’ lâcha un petit cri qui trahissait sa nervosité. L’avion plongea aussitôt, et se découvrait désormais sous leurs yeux un tout autre paysage : l’immense lac dont on leur avait parlé, à perte de vue, bordé de part et d’autre d’une épaisse forêt. Le soleil miroitait à la surface de l’eau. Mac distingua au loin un point noir, remonta son regard de quelques centimètres, et en aperçut de nombreux autres plus éloignés. C’est bien cela, il fallait donc agir vite. « Accroche-toi Humph’ nom de Dieu !! ». L’avion plongea vers le lac dans un fracas de vibrations, à une vitesse qu’Humph’ trouva effrayante, tandis que le point grossissait peu à peu en la silhouette du capitaine Breetwood sur son frêle esquif.


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C’était un jour de vrai retour aux choses du quotidien, douche froide et oublier, pour un temps, les délices du jeu de la veille autour d’une de ces présentations Powerpoint qui veulent contenir, en quelques « bulletpoints », vos tâches des semaines à venir, la stratégie d’entreprise sur les cinq prochaines années, l’économie mondiale.


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Les bouteilles s'alignent méthodiquement sur le meuble de la cuisine. Il y en a des grandes et des petites, du vin, de la bière, et d'autres alcool plus forts dilués dans des mélanges audacieux. Quelques bâtonnets de carotte se battent en duel avec des restes de pizzas, une glace au chocolat fond lamentablement dans sa barquette en plastique. Dans le salon, la lumière tamisée laisse deviner une vingtaine de corps. Des corps debout qui dansent en solitaires non loin les uns des autres, des corps sur les canapés et les fauteuils... des mains qui se cherchent, des regards embrumés qui se sourient, des coeurs battants prêts à vivre l'expérience d'un soir, pour certains d'une première fois. Tout à coup, une lumière crue envahie la pièce tandis que la musique saturée de basses laisse place à un silence glacial. Papa et Maman sont de retour avec un jour d'avance.


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Ellipses, éclipses. Quelque chose d'un cataclysme. Cycles. Infime, ce qui reste. Logiques. Et l'envers des logiques. Récurrences. Taux de probabilité. L'évidence de ce qui reste. Ce qui revient. Lignes de mires. Relativités. Reliefs & profondeurs. L'ère du soupçon. Gravitations. Impossibles retours impossibles. L'entre-temps, les contre-temps. L'agonie des cadrans. Entropie. Rémanence. Transferts de sens. Variation des distances. Disjonctions. Intersections. Déréliction. Mutations. Le travail du vide. Énergie statique. Harmonies dynamiques. Flux tendus. En continu. Rythmes & reflux. Ce qui se cogne à l'encontre.

mercredi 23 février 2011

467 : mardi 22 février 2011

Mine de rien, interrogé le concierge au sujet de Spade : m’a dit qu’il s’agirait d’un de ces loqueteux qui jouent au détective privé.


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Il fallait donc qu’il y ait deux voitures pour obtenir cet effet, pour que cela se produise : ce magnifique papillon lumineux. Je prenais dès lors conscience que ce que je venais de voir était peut-être rare, pas si évident à obtenir. Allongé sur le lit de ma chambre d’hôtel, j’observai le plafond depuis peu. Les phares des voitures, depuis l’extérieur et par un jeu complexe, projetaient leur lumière à travers mes rideaux, y déposant ainsi une forme mouvante de lumière et d’ombre. J’avais tout d’abord cru qu’une seule voiture suffisait ; je n’avais pas été alors attentif aux bruits extérieurs. Je constatai désormais qu’une seule voiture projetait, dans un sens, une forme rectangulaire, de la tête aux pieds ; dans l’autre, des pieds à la tête. Pour obtenir une fraction de seconde ce merveilleux papillon, réunion des 2 formes, il fallait donc une parfaite synchronisation des véhicules. Je compris alors que ceci devait me rester en tête comme une sorte de leçon : il faut juger la chose à sa véritable valeur. En effet, une chose merveilleuse et rare peut se produire d’emblée, il faut savoir la reconnaître, ne pas la laisser passer par le simple fait qu’on ne l’ait pas attendu pendant des années. La rareté ne s’identifie pas à l’attente qu’elle peut sembler impliquer.


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C’était n’avoir rien de prévu, dans ce faux début de semaine, rien ou si peu que s’en apercevoir ou pas ne changeait rien. Alors brusquement se jeter dans la veille, l’étude, installer le dernier cri d’une technologie et, avec ou sans documentation en main, se plonger dans la découverte, dans l’innovation, dans le risque de ce qu’on ne sait pas et le vertige de découvrir, coder avec le plaisir des années d’études, quand la nuit effervescente, à deux pour terminer un projet, semblait construire le monde.


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Depuis que Jérémie avait quitté la clairière, le paysage n’avait guère changé, et il se décida à vaincre son vertige et à grimper en haut d’un arbre avant de continuer sa route. Peut-être aurait-il quelques indices quant à sa propre position géographique et celle de ceux qu’il pistait. C’est pied nu qu’il entama son ascension. L’arbre rugueux dégageait une odeur rassurante de résine un peu sucrée. Il se perdit bientôt dans les larges feuilles de son hôte. Des feuilles d’une espèce inconnue, ou certainement pas communes à la montagne. Il s’arrêta à mi-chemin et contempla les rayons de lumière filtrant à travers les feuilles. Les fleurs rougeoyantes dans un massif non loin de là, et la faune colorée visitant les cimes de leurs mouvements furtifs et rassurants. « Soleil, soleil ! Le soleil ne se couche pas sur mon empire » déclama-t-il soudain en élevant un bras. L’écho d’un cri d’oiseau retenti soudain comme une cascade de rire. Clairement conscient de son ridicule, Jérémie résuma son ascension vers le ciel qu’il commençait tout juste à entrevoir. Mais arrivé au sommet… Montagnes et forêts à perte de vue. Massif Central, Alpes, Jura ? Il avait toujours été nul en géographie... Le découragement s’abattit lourdement sur lui, et d’énervement, il rompit une toute jeune pousse qu’il entortilla autour de son doigt. « Ce n’est pas bien de s’attaquer à un arbre ». Sursaut. Enfin un interlocuteur. « Allo ? il y a quelqu’un ? » hasarda-t-il. « Je suis là idiot, devant toi ! » Jérémie tourna la tête pour rencontrer le regard acéré d’une colombe.

mardi 22 février 2011

466 : lundi 21 février 2011

Sans la magie du web, Léon serait sans doute mort en ignorant que chaque fois qu’il fêtait son anniversaire, il aurait pu par la même occasion célébrer la première ascension du Mont-Blanc qui, elle aussi, avait eu lieu un 8 août.

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Teresa se tient comme tous les jours derrière la caisse de la boulangerie. Elle travaille beaucoup, l'argent rentre, 808 euros déjà aujourd’hui. C'est une vraie Portugaise, elle aime le rappeler. Elle bosse, elle. C'est pas comme les Noirs : des fainéants ! Faut voir les pauses à rallonge que se prend le balayeur, un Ivoirien. Elle le soupçonne même de se taper la petite réceptionniste de l'hôtel. Parce que, voyez-vous, passer le balai, c'est trop fatiguant. On préfère baiser les blanches. Au moins, il fait semblant de bosser, elle l'admet, c'est pas comme le clodo du quartier, un Argentin. Tout juste bon à emmerder les braves gens (comprendre : ses clients) en mendiant, et devant sa vitrine en plus ! Ou le patron du café : un Musulman qui vend de l'alcool, du beau boulot, oui ! Faudrait faire le ménage dans ce quartier. Parce que ça devient n'importe quoi. Que Dieu lui en soit témoin. Regardez cette jeune femme qui lui achète une baguette et deux croissants (2,95 euros, s’il vous plaît), elle vit avec une femme, je ne vous fais pas de dessin. Eh bien, sa copine est enceinte ! Quelle décadence ! Heureusement qu'il y a Monsieur Quentin : bel homme, toujours impeccablement habillé, toujours poli, toujours un mot gentil, sûr qu'elle ne dirait pas non, d'autant qu'elle le sait libre. Justement, il entre. Mon Dieu, on remet vite la mèche qui tombe et on affiche un sourire pas uniquement commercial.


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Il me semble que nous sommes pareils, que nous sommes les mêmes, comme un autre soi ailleurs, avec un autre vie, comme si la même personne avait pu vivre plusieurs vies, sans qu’elle connaisse l’existence des autres depuis la sienne. Peut-être sommes nous plus de deux, plus de dix, à faire vivre des vies différentes à la même personne, à mal réussir à la lui faire vivre, peut-être bien. Pourtant nous avons peine à savoir quoi nous dire, il est doux de se voir, de voir la compréhension de soi sans se voir soi-même, mais peut-être n’avons nous même pas à nous parler, même pas à nous voir, que l’existence s’en trouve déjà allégée de savoir que nous sommes plusieurs, que les rues de cette ville semblent plus douces maintenant que nous avons cessé d’ignorer que nous n’y sommes pas seuls.


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Quand je passe dans la petite rue, je salue toujours, ou presque - il m'arrive de plus en plus souvent, trop, de l'oublier - la façade au crépi jaune usé, la porte moderne sans agressivité nichée à l'abri d'un petit renfoncement harmonieusement bordé de trois moulures assez amples, assouplies en arc surbaissé, de la maison que j'ai habité quelque temps, après mon arrivée, salut à elles adressées et plus encore à mille petits souvenirs futiles, à ma détresse d'alors, à sa façon de m'envelopper.


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L’averse était passée et les rues luisaient faiblement dans la nuit froide. La cité entière était figée et le vent même était tombé, laissant quelques nuages suspendus dans le ciel. Trois silhouettes se faufilaient prestement d’ombre en ombre jusqu'à une ouverture dans le sol derrière une bâtisse délabrée.

lundi 21 février 2011

465 : dimanche 20 février 2010

Que n’a-t-on pas dit de Léon ?

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Les bruits intolérables se vendent bien. On les intègre aux téléphones portables, pour qu’ils se déclenchent en cas de dépassement de forfait. On les insère dans les lignes blanches, afin de décourager les voitures stationnées dessus. Les bruits les plus intolérables ont été compilés. Moteur toussant sans démarrer, gravier dans une porte coulissante, tôle froissée par un carambolage… Dupliqués pour durer indéfiniment, ces bruits sont cisaillés par superposition, le résultat s’appelle Craie vive. C’est étonnant, ce titre culturel, pour une compilation diffusée dans les prisons et les écoles de l’armée. C’est très intolérable.


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La journée est passée dans l'ennui des minutes qui s'égrènent péniblement les unes après les autres. Agathe les a subies une par une, a senti chaque seconde d'absence et d'éloignement. Elle a rempli ses engagements, rendu ses rapports. Ses rendez-vous se sont enchaînés, ses objectifs sont atteints. Ce soir elle rentrera dans son appartement froid, elle allumera ses radiateurs et réchauffera une soupe qu'elle mangera assise en tailleur sur son canapé. Un peu plus tard, un verre de tariquet blanc à la main, elle écoutera un air gai et jazzy en regardant par la fenêtre. Front contre la vitre, regard en l'air, elle sourira à la lune en songeant à celui qui, au loin dans le sud de la France, boit le même vin, écoute la même radio souriant également à la lune. Demain les minutes s'égrèneront, la journée s'étirera à nouveau en longueur jusqu'au soir, jusqu'à leur nouveau rendez-vous. C'est ainsi cinq jours sur sept, cinq jours à attendre de pouvoir tendre le visage vers le ciel main dans la main sur un même balcon.


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Nous avions fini par abandonner, la laissant là, sur une chaise pas bien loin de mon bureau, un peu hébétée, aussi peu loquace que lorsqu’on l’avait trouvée. Muette, elle l’était restée continûment : on n’avait pas même entendu le son de sa voix. Immobile aussi : pas un signe de tête, pas un geste un peu significatif de la main, pas même un haussement de sourcil, pas de sourire évidemment, enfin rien qui pût donner un début de réponse à l’une de nos questions, et il y en avait pléthore. Il fallait, et c’était rageant, se résoudre à creuser ailleurs, espérer des témoins, prier pour des indices, du presque rien déniché tirer d’hypothétiques pistes. Nous faisions le point sur nos bribes d’information, prenant acte de l’anéantissement de notre source principale, notant toute idée ayant la plus infime chance de faire avancer l’enquête, quand Vincent nous arrêta, hochant la tête en direction de la fille. Elle avait saisi un crayon, et traçait quelque chose sur une feuille blanche, d’une main habile et déterminée. Nous nous approchâmes et comprîmes tour à tour, après un temps d’incrédulité plus ou moins long, que ce qu’elle dessinait là était bien ce à quoi cela ressemblait, et le Fichier Automatisé nous le confirma bientôt : une empreinte digitale.

dimanche 20 février 2011

464 : samedi 19 février 2011

C’est là, sur l’autre scène, que se dénoue ce jeu à la fois opaque et cohérent, celui dont le secret, naguère signe vide, se remplit et se reconnaît : lente reconquête sans noyau ni contour, où les deux se rejoignent dans le sillage de cette main d’ombre jusqu’au nœud de son inaltérable effacement. Ni ton temps, ni le sien, pas même celui de votre commun patrimoine, mais le temps de Quelqu’un qui est encore là alors qu’il n’y a déjà personne. Ce On hors toute apparente lumière et dont le souffle modifie toute perspective, On s’insinuant au plus près, à l’heure de la dispersion sans lieu... Quelqu’un d’autre est là où tu es seul, Quelqu’un où s’inscrit la présence et son impossibilité – l’ombre double que tu portes et qui te dissimule. Le dehors qui dissout, ta fissure et ton vertige. L’intimité avec la perte du jour qui t’égare, - même si nous sommes serfs de cette communication incessante, dont pauvrement nous ressentons l’absence comme faisceau de possibles, comme danse où elle se résoudrait en cette parole par d’autres enfin reçue...) Parole interdite et sans clôture que celle qui sut bâtir le sujet en sa plus tranchante dimension de vérité, mais dont il ne saurait se saisir hors de rares points de feu où (combien confusément !) il se cabre à la rejoindre en cette foi jurée et intangible au sens où toute parole tronquée l’empêche de s’y reconnaître... Lieu où toute résistance se noue, où toute proposition prend corps, ce lieu n’est surtout pas de l’autre, car par trop perméable, mais parole dont on lit la traversée comme la violence et qui intronise cet Autre majuscule dont tout un qui parle à quiconque invoque la foi promise, fût-ce pour lui mentir et surtout s’il lui ment... C’est bien d’un refus que le réel prend sa source ; ce à quoi le désir se cogne, c’est bien au rideau dont ce même réel figure le manque... Écrire, c’est peut-être tout simplement en prendre acte, tout en s’y récusant... C’est pourquoi c’est à cette autre leçon, celle « d’avant le lever du soleil » qu’énonce Zarathoustra que nous laissons le privilège de conclure : « Un peu de sagesse est sans doute possible, mais j’ai trouvé dans toutes choses cette certitude bienheureuse, à savoir qu’elles préfèrent encore danser sur les pieds du hasard […] Homme, prends garde ! Que dit Minuit profond ? J’ai dormi, j’ai dormi - Du fond d’un songe je m’éveille : Profond est le monde Et plus profond que le jour ne l’a cru. »


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« Mais Léon, pas ici !... »

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À la fabrique de paragraphes, au DEFDIC (département définitions de dictionnaires), ils ont encore eu des mots et c'était à qui aurait le dernier. Le rappel à l'ordre alphabétique a été sévère.


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Face aux trois simples maisons que je supposais de la fin du 18ème siècle, après l'hôtel particulier, la seule boutique de la petite rue occupait le rez-de-chaussée d'une maison renaissante, presque gothique, à demi-restaurée, noircie par l'âge, gardant trace de destructions de sculptures, exhibant sa décrépitude, et ses réelles robustesse et solidité, en jouant un peu comme d'un menton toujours mal rasé, et l'entourage de la petite porte qui donnait accès à l'escalier et aux étages, présentait de fermes et discrètes moulures.


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Les jours vides se suivaient, avant. Il marchait seul sur son chemin, ne sachant même pas à quel point il était triste. Aujourd'hui il est accompagné et ose à peine se retourner tant il a peur du souvenir de grisaille qui suit ses pas. Si elle devait partir, il ne sait comment il continuerait à marcher, à avancer. La vie sans elle est in-envisageable, inexistante. Parfois, il voit dans son regard un désir de liberté et de solitude qui semble la consumer de l'intérieur, et il en a peur. Il aime sa fougue, son élan, tant que ces derniers sont enchaînés et tournés vers lui. Il préférerait qu'elle meure plutôt qu'elle le quitte. Quand à mourir lui, cela impliquerait qu'il arrête de contempler sa vie, comme il la contemple elle, s'émerveillant qu'elle soit là, mais oubliant de le lui dire.

samedi 19 février 2011

463 : vendredi 18 février 2010

Rien à ajouter... si tu comprends pas comme ça... barre-toi, va-t-en... ici ce n’est pas un nid... c’est un espace privé... voilà... privé et c’est pour ça qu’on entre pas. Que moi... Quoi ? Je bricole ? Oui, tu peux le réduire comme ça... ça fait frôler l’insignifiance. Alors que ce n’est pas le cas... ici, c’est l’atelier de mon Vraimoi. Tu comprendras que ça prends un peu de temps à fabriquer, ça ne sort pas d'un bond de la cuisse de Jules, un Vraimoi... Tout ce que tu veux, c’est élargir ton périmètre ce qui réduirait le mien... tu parles, me faire prendre l’air... mon œil, tu veux m’envahir... ça te travaille hein, quelque chose qui t’échappe… Tu n’imagines même pas ce que c’est. Faut que tu me lâches la bride, que tu te mettes en off. Grosse difficulté pour qui veut régner sur tout. Mon Vraimoi veut pas de ta fraise. Vraimoi me dit de te dire : basta, plus de parlotes, adieu le blabla. Aux abonnés absents, il me prie de te transmettre ses bons sentiments... Personnellement je ne t’en veux pas, c’est entre lui et toi que ça se jouerait... Et si mon réduit du fond du jardin t’est interdit, c’est pour la bonne cause. On ne transige pas avec son vrai soi, cet authentique noyau d’intégrité qui ne se découvre pas à la bonne franquette. Que nenni, des efforts continus vers le nombril sont nécessaires, durée autant qu’intensité… Chère amie, tu n’as pas idée... je te déconseille toute autoanalyse. Et si ça t’amuse de rester à la porte, et bien le paillasson fera ton affaire. Moi, je garde le passage, tout en bricolant à l’émergence du phénomène… Je ne suis que le sujet du Vraimoi, comprends bien... c’est dans ce minuscule royaume que je me creuse le ciboulot pour lui donner forme, j’ajuste et je déguste. Alors lâche mon morceau, va voir ailleurs si je m’y trouve, fais-moi des congés gratuits. Non, il n’est pas question que cette porte s’ouvre, ni que j’en sorte. Et encore moins que tu me rejoignes. Cette fois-ci, rien à rajouter. Même pas une queue de quetsche.


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« Léon !... »

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Aurélie est debout depuis si longtemps qu'elle ne sait plus... elle ne sait plus rien. Elle vacille, s'allonge sur le canapé. La fatigue sans doute de cette année en plus, ou bien encore des verres enchaînés au fil de la journée. Elle a trinqué avec le concierge avant de partir, le cafetier, puis la standardiste en arrivant. Puis ses collègues de travail, son patron, sa secrétaire, sa rivale exubérante de ses 2 kilos de moins qu'elle, et l'autre là, en face, avec qui elle n'échange jamais que des incivilités. Il lui a amené de la Chartreuse : "allez la vieille, on va voir si ton estomac le supporte". Ensuite les copines en mode apéro, puis un dîner surprise chez son père et sa belle-doche. Elle est chez eux, encore, lorsqu'elle se relève soudainement du canapé duquel elle regarde le monde tourner, et tente d'attraper son téléphone. Toute la journée, de verre en bouteille en toast, un coin de sa tête tentait vainement de lui rappeler quelque chose, mais quoi, elle en savait pas et préférait lever une fois encore le coude ou réciter des vers... Quelques minutes plus tard, elle parvient à l'allumer et faire le numéro. "Allô chéri ? tu ne m'attends plus au restaurant j'espère..."


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Je ne conduis pas. Je regarde les voitures doubler malgré le brouillard qui nous enveloppe. C’est la première fois que je suis ébloui alors que la brume est partout. Le soleil doit être tout proche, se refléter dans les particules épaisses suspendues dans l’air. Je ne connais pas mon conducteur. Il ne me connaît pas non plus et nous n’avons pas envie d’engager la conversation plus que ça. Je me laisse glisser dans le silence et cette vive blancheur vers une destination que je crois connaître. Mais peut-être que cette fois, ce sera différent. Je voudrais que ce moment de silence et d’incertitude dure le temps du voyage, des heures de calme emmagasinées.

vendredi 18 février 2011

462 : jeudi 17 février 2011

« Emma, ne croyez-vous pas que cette casquette est d’une certaine façon constitutive de l’essence même de Charles ? »


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Quand on avançait dans la petite rue, passées les façades nobles ou remarquables, l'enfilade de maisons ordinaires, ni vraiment petites ni assez amples pour afficher une aisance de notable, cette succession qui se révélait un peu trop longue pour mon goût, chaque fois que je l'arpentais, n'était jamais monotone, et contre la maison blanche de Paul se collait une façade, de mêmes proportions, d'un rose un peu incongru, rappel des prétentieuses « villas » des banlieues du littoral, mais un peu passé, assourdi, pour ne pas trancher de façon trop choquante, et sa porte, aussi enfoncée dans le vieux mur épais que celle des précédentes façades, s'étirait en hauteur ce qui lui donnait l'allure touchante d'un adolescent dégingandé, peinte qu'elle était d'un bleu gris doux candide, sous un vasistas vaguement décoratif.


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Séverine, elle le kiffe trop, Xavier. Elle a assuré grave en sortant avec un bogoss comme lui. En plus, il est en première littéraire, avec plein de meufs je te dis pas. Comme la Jenny : une vraie cougar. Ou Tanya avec son boule Beth Ditto, je vois pas ce qu'ils lui trouvent. Séverine, elle le kiffe trop son keum. Il l'attend en bas de l'immeuble, ils iront au bahut ensemble avec le bus 808. Chuis vénère comment elle a trop de la chance, Séverine. Elle arrive et il est là. Tromimi.


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Le voisin n’était plus là depuis des mois, au moins, il ne l’avait plus croisé sur le palier depuis très longtemps et avait fini par remarquer qu’on ne voyait plus jamais le soir de lumière à ses fenêtres, et n’entendait plus davantage le bruit pourtant très sonore de l’eau lorsqu’il la faisait couler chez lui, au lavabo ou à la douche située juste derrière la fine cloison qui séparait leurs appartements respectifs. Il avait bientôt constaté également que la boîte aux lettres commençait à déborder, puis qu’elle ne désemplissait plus. Comme la porte d’entrée de l’appartement du voisin disparu était très abîmée, vermoulue et fendue, semblant ne plus qu’incertainement tenir en un seul morceau, il s’imagina qu’il n’aurait qu’à légèrement la forcer pour qu’elle s’ouvre. Il commença à souvent penser à l’espace supplémentaire qu’il pourrait annexer à son logement, en n’ayant qu’à se servir dans ce qui était disponible et plus réclamé par personne sur son palier. Idéalement, il pourrait même opérer, plutôt que l’ajout d’une annexe, un doublement de la surface de son appartement, en creusant une ouverture de la taille d’une porte au travers d’une cloison. Le problème qui lui semblait le plus embarrassant alors, dans le cas où il aurait réalisé cette transformation, était précisément que la très mauvaise et fragile porte d’entrée du voisin aurait mené chez lui, et que pour la changer, contrairement au cas du percement de cloison interne, il aurait dû travailler à découvert, sur le palier, repérable par ses autres voisins, qui auraient pu constater qu’il avait pris possession des locaux vacants. Il fallait réfléchir aux possibilités de correctement consolider cette porte depuis l’intérieur.


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Est-ce le froid, est-ce la pluie qui la gifle, est-ce ce mauvais vent glacial, est-ce simplement la couleur gris-plomb du ciel ? Son corps chahuté avance, tel un automate. Des larmes coulent sur son visage qu’elle essuie machinalement d’un geste rageur. Elle pourrait hurler là, maintenant, en pleine rue, tant sa colère est grande ! Elle s’en garde bien, déjà quelques regards moqueurs ou méprisants s’accrochent à son visage, elle n’a aucun désir de s’offrir en spectacle. Ce monde l’exaspère. Un monde dans lequel il faut se conformer, s’adapter, accepter l’oubli de soi, consentir, donner le change constamment. Quelle vaste farce ! Elle en a assez, plus qu’assez ! Elle va cultiver sa rage, la déclarer haut et fort. Elle veut retrouver son souffle, elle veut pouvoir rire, savourer toutes les nuances, distinguer dans ce chaos le fragment de vie qui lui manque, celui qu’on lui a ôté. Elle veut arracher ce sourire poli, rompre sa réserve, réduire en miettes son enveloppe. Elle ne souhaite qu’une chose : libérer, céder la place à cette autre qui chuchote en elle, admettre la transformation, la laisser s’installer. Parce que cette autre, tapie dans l’ombre depuis si longtemps, prête à jaillir en pleine lumière, c’est elle aussi. Elle veut surprendre, réapprendre l’audace, utiliser la force de sa rage pour se débarrasser des contraintes, aimer, s’abandonner, remonter aux sources de l’innocence, empoigner ce corps-mémoire et lui apprendre à danser. Se récupérer enfin, entière mais plus légère, dans une totale acceptation de soi.


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Dans le vertige de l'air qui frappe son visage, Valentine se tient fort au bastingage. La mer est noire, perlée de blanc, sombre et haute sous un ciel si bas que le bateau peine à passer. La mer est forte, furieuse, agitée. Valentine ferme les yeux, mains crispées, elle sent le sel de la mer se mêler au vent de la tempête et cacher les larmes qui coulent sur son visage. Ses cheveux longs et bruns sont emmêlés autour de son cou, sous sa capuche. Elle sourit d'extase comme à chaque fois qu'elle vogue au loin, lorsque les côtes s'éloignent, que la vie devient transparente et se mêle aux éléments. Elle sourit et elle pleure, son vertige est en elle, lié à une corniche et à des doigts qui glissent. Ici, au milieu de l'eau, les nuages ont chassés la lumière et elle a le droit d'être heureuse et triste à la fois, de jouir de sa vie en pleurant celle d'une autre, elle ne sent plus ses pieds glacés, ses mains blanches agrippées au bois, ses lèvres arrêtées sur un rire et ses yeux sur le vide si loin d'elle à Paris.

jeudi 17 février 2011

461 : mercredi 16 février 2011

Une plaie, ce Spade : toutes ces visites à pas d’heure !

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Roland est assis devant son écran. Depuis une heure déjà, il attend que sa boite mail s'illumine d'un message non-lu, d'un signe d'elle lui signifiant qu'elle pense à lui, qu'elle a pris le temps de lui consacrer quelques lignes... Qu'elle a pris son billet Moscou-Paris pour venir jusqu'à lui. Depuis ce matin, rien. Pas de petit message pour lui dire bonjour, pas de photo clin d'œil... voire plus... Depuis qu'il a commencé à dialoguer avec Tatiana, la vie de Roland a changé. Leur premier tchat sur un site de rencontre pour célibataires de plus de 45 ans avait allumé une flamme virtuelle aiguisant sa curiosité et consumant ses sens. Après des heures en ligne, au fil des jours, ils avaient fini par échanger leurs adresses mail personnelle, s'envoyant de long message et des photos délicieusement suggestives. Roland s'était réveillé un jour en réalisant qu'il était amoureux, que sa vie URL (en ligne) sans Tatiana en IRL (en vrai) était insupportable. Les messages du matin, en journée et le soir ne lui suffisaient plus, il lui fallait la rencontrer, la toucher, sentir le grain de sa peau et son parfum. Tatiana était la femme parfaite et il voulait faire sa vie avec elle. Après un virement conséquent sur le compte bancaire de sa mie afin de couvrir ses frais de voyage, il attendait donc de savoir quand il pourrait enfin la serrer dans ses bras. À force de fixer son écran, ses yeux commençaient à se brouiller. Tout à coup, le bip de sa boite mail le fit sursauter. Son mail de ce matin vers Tatiana lui revenait avec un message d'erreur : Mailer Daemon - le destinataire de votre mail n'existe pas. Le trou sur son compte bancaire, si.


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L'activité de l'atelier de serrurerie de la fabrique de paragraphes connaît une expansion qu'on aurait eu peine à imaginer il y a seulement cinq ans. Les nouveaux supports d'écriture ont fait littéralement exploser la demande de mots clefs et la pénurie de main d'œuvre est désormais endémique dans le secteur.

mercredi 16 février 2011

460 : mardi 15 février 2010

Léon sourit à l’idée qu’Emma était phonétiquement à l’abri de l’amertume.

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La maison de Paul et Maryse, dans la petite rue, au centre de ce trio lié par la proximité, la simplicité, et cette épaisseur des murs qui créait des petits trous d'ombre pour nicher les portes, avait été badigeonnée dans un blanc dur, digne d'un port de mer breton, comme un petit regret affiché pour, s'en étant débarrassé, tourner la page de leur passé et s'attacher à se faire une nouvelle vie ici. Pas si différente pourtant, puisqu'ils avaient investi ce qu'ils avaient pu sauver (à vrai dire on chuchotait qu'ils avaient connu un drame, ou peut-être presque, ou de simples ennuis, mais on n'en savait pas plus) dans l'achat d'un petit restaurant dans une ruelle près des halles, et sa transformation en une crêperie, rapidement recommandée par un journal local.


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Parfois se lever était difficile. Déplier son corps, sentir la douleur se propager et rejoindre chaque articulation. Il fallait s'occuper des enfants, les aider à s'habiller, les emmener à l'école, puis prendre le bus jusqu'à l'officine où elle était assistante. Toute la journée à répondre au téléphone, à prendre des notes, à taper... Toute la journée à agiter les doigts, plier, déplier... Puis le soir, le chemin inverse jusqu'à la sortie de l'étude, le babil incessant de gaîté des enfants jusqu'au silence dans leurs lits, jusqu'au repos de la nuit pendant lequel, enfin, la douleur de son corps pouvait disparaître le temps d'un court sommeil.

mardi 15 février 2011

459 : lundi 14 février 2010

« Échec et malt ! », s’exclamait monsieur William à chacune de ses victoires contre Léon.

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Rodolphe a chargé son passager à Roissy. L'homme n'est pas très causant. Il a juste appris qu'il venait de Bangkok. C'est pourtant ce qu'il aime dans son métier, parler avec les clients, apprendre des choses intéressantes sur d'autres pays quand il va ou revient des aéroports, connaître des indiscrétions sur les peoples pendant ses courses dans les beaux quartiers. Mais là, rien, un pas causant. Tant pis, il met la radio : les infos sont les mêmes que tout à l'heure. Il change de fréquence : Christophe Maé, merde. Passons sur une fréquence jazz : Hallelujah par Yann Viet Free Songs Trio, on laisse, évidemment. La centrale signale une cliente à prendre exactement dans la rue où il se rend. Il la prendra, indique-t-il à la centrale. La trompette de Sylvain Gontard lui donne quelques frissons. Comme lorsqu'il écoute Chet. Un coup d'oeil dans le rétro, il voit son client pleurer. Voilà autre chose ! Un pas causant émotif. Il arrive bientôt à destination. Il aperçoit sa prochaine cliente sur le trottoir portant un violon. Un clodo traverse la rue sans regarder, il freine, il klaxonne et se fait insulter par le poivrot. Il dépose son client pas causant et émotif à la hauteur d'un arrêt de bus avant de faire demi-tour. Il n'a pas vu l'homme qui sortait de l'hôtel Azur le héler puis l'insulter. Rodolphe arrête à présent son taxi, un Picasso immatriculé AP-808-GL, devant la violoniste.

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Je m’étais tellement habitué à imaginer des scènes de ma vie telles que j’aurais voulu qu’elles soient, à dérouler des petites histoires pour donner corps à ces situations plus douces et plus fortes que l’ordinaire, sans avoir à le décider comme on déciderait d’une activité, en déclenchant spontanément et sans même m’en rendre compte ces rêveries d’autres vies dans la mienne, que j’avais fini par faire passer de ma mémoire des faits réels à ma mémoire de mes existences imaginaires le moment que j’avais passé avec toi. J’avais fini par croire instinctivement que, parce que cette balade avec toi au sud de la grande ville, jusqu’à la station balnéaire qui y vit toujours, vieillissante et qu’on va bientôt ravaler, rajeunir, raser plutôt, parce que ces moments en bord de mer avaient été parfaits pour moi, idéaux et suspendus, qu’ils n’avaient pu que sortir mon imagination.

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La famille était à table depuis près de deux heures déjà, les plats avaient défilés, l'alcool illuminant les regards et déliant les langues. Installées sous les oliviers, les tables se suivaient sagement les unes après les autres, nappées de blanc, bordées de chaises et de bancs. Toute la famille s'était réunie, les oncles, les tantes, les cousins, les amis aussi, autour du papet qui fêtait ses quatre-vingts ans. Les enfants s'étaient échappés depuis un moment, ils couraient sur l'herbe sèche et s'aspergeaient de l'eau de la fontaine afin de se rafraîchir. Les adolescents, eux, reposaient à l'ombre en prétendant l'ennui. Restaient les parents, jeunes et vieux, qui maniaient la fourchette et le verre, faisant honneurs aux spécialités et aux grands crus. Tout à coup, oncle Damien avait renversé son verre. Une tache rouge sombre s'était installée en s'éclaircissant sur la nappe, mordant le tissu et répandant sa couleur d'assiettes en assiettes. Tout à coup tout le monde s'était levé, surpris, criant un peu et riant surtout, dans le débat bruyant des méthodes à employer, entre le sel ou l'eau, laisser la nappe ou la rincer... Quelques anciens sont montés sur leurs bancs le verre à la main pour un toast égayé tandis que le gâteau arrivait. J'étais de ces ado qui regardaient la scène, de loin, j'étais à l'ombre, collée à toi, dans tes bras enveloppant, toi, le fils du voisin aux yeux noirs profonds. Profitant de la confusion, tu t'es penché sur moi et tes lèvres ont frôlées les miennes. C'était mon premier baiser, et aujourd'hui encore, chaque tâche de vin me ramène à cet instant et aux frissons délicieux qui ont suivis.