vendredi 25 février 2011

469 : jeudi 24 février 2010

Que Léon calanche dans les calanques et…

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Le sauvetage du capitaine Breetwood (2/3) Ce que le capitaine Breetwood entendit en premier, ce fut le son du moteur. Son regard s‘était alors tourné vers le sommet de la montagne, guettant l‘hydravion qui soudain apparut, violemment éclairé par le soleil lui faisant face. Le regard de Breetwood se posa de nouveau sur Carlo, son fidèle acolyte, tranquillement assis à l’autre bout de la barque et jouant d‘une petite guitare, un instrument qu’il - pourquoi diable cela revenait-il maintenant à la mémoire de Breetwood ? - avait gagné lors d’une partie de poker à un marin danois qui en jouait merveilleusement bien, et qui fut profondément affecté par cette perte. C’était il y a quelques mois déjà. D’un regard il vit l’avion se rapprocher à grande vitesse, tandis qu’il distinguait le son émergeant des chants guerriers Organda, ceux-ci s’approchant à vive allure dans leurs embarcations. En un éclair il vit briller au soleil les pointes des lances (à quelques centaines de mètres encore), l’avion passé suffisamment près de la barque (Mac voulait faire demi-tour en vol et non sur l‘eau), pour former des vagues et obliger Carlo à hausser le ton afin de ne pas être couvert par le bruit du moteur. Carlo, en effet, depuis quelques minutes chantait une ritournelle amoureuse de sa composition, mais s’était progressivement adapté au chant guerrier des Organda. De ce qu’en entendait et voyait Breetwood, il s’agissait d’un enchaînement d’accords en LaM, SolM, DoM RéM, sur lesquels Carlo se plaisait à placer des paroles langoureuses - en portugais - censées enflammer l’objet de ses désirs. Les chants guerriers Organda sont eux extrêmement codifiés. Le chef de clan improvise des paroles guerrières de plus en plus enflammées au fil des répétitions, en un rythme et sur une tonalité précise. À chaque conclusion, ses guerriers lui répondent « A mort ! » : c’est cette phrase qu’ils entendaient fondre sur eux, en une descente Fa dièse-Si. Carlo avait naturellement incorporé ces notes et cette phrase à son jeu : une descente d’accords Fa dièse-Si en sus 4, bien que son annulaire passait régulièrement de la troisième à la quatrième corde. Breetwood songea que Carlo ne se doutait guère (quoique…) que sa déclaration d’amour était désormais rythmée par cette phrase : « A mort ». Puis il songea que dans de nombreuses langues, amour et mort ont une consonance voisine. Et enfin que ce rapprochement constitue finalement la trame même d’un grand nombre des classiques de la littérature et du théâtre, une thématique universelle et intemporelle.


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C’était écrire une doc utilisateur, la journée à faire des copies d’écrans, trouver les mots les plus simples pour que ça rentre dans des bulles et se rendre compte, alors, du manque d’ergonomie, de tout ce qui avait été raté, pensé trop vite, pas remis en cause, pas le temps, pas le budget, vite fait mais fait et pratiquer un exercice supplémentaire de mensonge, cataplasme sur les jours passés à travailler sur un projet vite vendu, ressentir tout le mépris, sans source fixe, un mépris général, systémique, eau sous l’épée de notre dignité, dirigé vers ceux qui avaient produits et ceux qui allaient utiliser, et se surprendre à espérer des chiffres bons (qu’au moins eux…) et que tout cela ne soit pas complètement pure perte ; en se demandant aussi le gain alors, pour nous, quel différent ?


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Je finissais toujours par me demander, lorsque j'avançais entre ces files de maisons, pourquoi j'avais pris l'habitude de parler de « la petite rue ». Même les quelques façades plus nobles, plus ornées ou plus décrépites, même les variations dans les proportions, variations assez limitées d'ailleurs, et dans les teintes des façades et des portes, la présence ou non de pots de fleurs, d'herbes parasites le long des descente d'eau, n'arrivaient pas à masquer l'étirement de ce boyau, étirement rendu sensible par la lassitude qu'il causait en moi.


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On proposa l’idée d’étendre à tout ce qui était représenté par le dessin la nature d’espace impossible dans la réalité matérielle à trois dimensions. On partit du constat que lorsqu’un espace impossible est désigné, il peut être transféré par la description textuelle en espace semblant complexe et paradoxal et dès lors porteur de liens logiques inédits, jusqu’à ce que la transposition au dessin, comme procédé vérificatoire le plus immédiat des possibles cohérences spatiales communes, révèle son incontournable incapacité à exister dans le domaine physique à l’échelle de l’expérience humaine. On renversa la dialectique qui reliait dessin et impossibilité de l’objet de sa représentation en termes d’espace réel pour supposer que tout ce qu’il était possible de représenter par le dessin était matériellement impossible et incohérent. Ainsi ébranlés dans nos présupposés intuitifs, nous pûmes admettre qu’espaces possibles et impossibles étaient indifférenciés des points de vue de l’intuition ordinaire et du sens commun, et commencer à réfléchir à la construction d’un nouvel abri de jardin.


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Urbain est arrivé tôt, il ne veut pas la rater. Il s'est installé avec sa guitare comme chaque jour devant la bouche du métro. Il lui a composé une chanson cette nuit avec son matériel vintage : boîte à rythmes TR-808, table de mixage 4 pistes Tascam... Il a laissé son matériel dans le squat et n'a apporté que sa guitare, une antique Taylor dans le même état que la Takamine de Glen Hansard dans le film Once. Il n'est pas satisfait de ses paroles : musicien pas écrivain. Il a utilisé l'anaphore comme forme. Au moins, elle trouvera qu'il s'est donné du mal. Quant à la musique, il a voulu commencer par un rythme bossa avec des accords septièmes. Ensuite la chanson change de rythme et d'harmonie pour prendre une teinte brelienne. Il s'appliquera pour le chant, il faut une montée progressive, finir comme le Grand Jacques finit La quête. Pas sa chanson préférée mais c'est cette force qu'il souhaite. Il connaît néanmoins ses limites au chant ; n'est pas Brel qui veut. Le risque serait qu'il soit ridicule, qu'elle n'aime pas la chanson. Ce n'est pas exactement l'objectif. Elle s'appelle Zineb, elle s'arrête tous les jours pour l'écouter. Elle ne reste que le temps d'une chanson. Et leur jeu consiste pour lui de jouer une nouvelle chanson chaque jour, pour elle d'en deviner l'auteur. Des chansons plus ou moins connues de Kyo, Tété, BB Brunes, Mickey 3D comme des vieilleries de David Bowie, Lou Reed ou Nirvana. Aujourd'hui, pour la première fois ce sera une chanson d'Urbain, parce que leur petit jeu prend un tour plus intime, du moins le pense-t-il, à force de sourires et de silences pendant leur bref échange quotidien, peut-être la naissance d’une romance. Attention, la voilà. Il commence le premier accord, Bb7M, puis Eb7M, Dm7, etc. Écoutez...


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Elle est assise côté fenêtre, l'air pensif, une main frêle posée sur le système de ventilation. Ses cheveux bruns sont à peines propres et encore moins coiffés et cachent une partie de son teint pâle. Elle est emmitouflée dans une parqua noire qu'elle refuse de quitter malgré le chauffage, et elle regarde le paysage défiler sans le regarder, ailleurs. Son esprit est en transit, elle est partie d'un endroit et s'en va quelque part, elle s'est posée dans ce train en laissant ses questions sur le quai. Elle les retrouvera en descendant, sa vie d'incertitudes n'aura pas changé. Tu la regardes sans la cerner très bien encore. Son visage lisse est percé d'un regard déjà si vieux, comment peut-on être si jeune et avoir tant vécu, tant supporté, tant surmonté. Tu ne sais pas. Tu l'accompagnes. C'est ton boulot, d'être à ses côtés, de l'aider à soulever sa valise dans le porte bagage. Tu ne connais que son nom et l'adresse où elle se rend, l'adresse qu'un juge a choisi pour elle. Pourquoi est-elle ici, pourquoi cette enfant de quatorze ans se retrouve dans un train, seule hormis toi, tu l'ignores. Cela n'a pas d'importance au regard de ta mission. Mais quand même, tu es ému. Elle est ta première mission, tu te sens maladroit, sans savoir si tu dois lui parler ou la laisser. Elle a l'air tranquille dans sa solitude... Finalement, tu lui tends un paquet de tic-tac. Elle écarte le casque de sur ses oreilles et se sert en te souriant timidement. "Merci".