mercredi 31 août 2011

653 : mardi 30 août 2011

Le pied d'Alice échappe à son contrôle. Il tremble, tape, s'agite, il lui ôte la liberté de cacher son agacement, son ennui, son impatience. Elle aimerait pouvoir rester assise et se laisser disparaître, parfois on a besoin de ça, tout simplement, laisser son corps faire acte de présence et s'évader ailleurs, son esprit est si loin déjà et ces tremblements, ce tapage, cette agitation la rappelle au présent et signifie à son entourage la réalité de ses sentiments.

mardi 30 août 2011

652 : lundi 29 août 2011

Comme dit le vieux proverbe mélandrin, autant essayer de faire entendre raison à un Blache que d’affronter la tempête avec un chausse-pied.


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Je rêvais, je regardais une mosaïque ou un mélange aussi misérable que délicieusement doux, ciment fissuré, troué, d'un ton mourant, mouvant, beige chamois verdi, avec des blessures d'un gris blanc, et vieilles dalles de céramique d'un rose passé virant au gris, contaminé par les concrétions verdâtres, j'ai voulu avancer un pieds, l'y poser délicatement, en prendre délicatement possession, pour un instant, me suis trouvée dans le vide, ai flotté, ai effleuré de la main ce qui était un mur. Le contact était rugueux et frais. Le touchant, j'ai cherché la suite de mon rêve.


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Francis a besoin d'être dans un silence de mots. Il faudrait qu'ils cessent d'exister, de tourner dans sa tête, de se heurter aux murs de ses contraintes et de sa fuite en avant... Francis aimerait goûter au luxe du rien, que son esprit se vide et devienne ignorant des autres, du monde, de ce brouhaha persistant qui envahit jusqu'à ses rêves. Seulement voilà, tuer les mots, c'est impossible... Alors Francis écrit. Il tire chaque lettre et phrase hors de lui, patiemment vaillamment, Francis écrit des romans en fleuve d'encre et ainsi petit à petit le calme peut revenir. C'est un équilibre précaire, chaque jour doit comporter une phase d'écriture par laquelle le bruit s'installe sur ses pages et permet au vent du rien de jouer contre les parois de son cerveau.

lundi 29 août 2011

651 : dimanche 28 août 2011

La jeune femme s’allonge à demi. Appuyée sur son coude, elle dévisage le jeune homme. Ses mains parcourent le ventre de la statue. Il creuse sa taille, renforce ses hanches, puis s’attarde sur le haut de ses cuisses. Il ajoute des détails au bas-ventre. Ses doigts glissent, très lentement. Elle se renverse sur sa serviette et enclenche son lecteur de CD. Traversant les haut-parleurs, des sons se répandent sur la plage, légèrement. Ensuite, ils s’amplifient. Délicats, prenants, ils évoquent les herbes sèches, l’eau bondissant sur les rochers, le vent qui passe sur le sable. C’est la première fois qu'elle écoute cette musique au pied des dunes. De si bonne heure, sur la plage découverte... Surpris par la musique, le jeune homme regarde dans sa direction.

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Aline ferme les yeux et s'imagine dans le vent caressant l'herbe haute des champs. Allongée sur un lit de boutons d'or et de marguerites, elle tourne son visage vers le soleil timide, à la recherche d'une sensation de chaleur, dans le souvenir d'une journée comme celle-ci: empreinte d'une langueur mélancolique, résonnant d'un espoir lointain quasi oublié. Ici elle peut s'imaginer telle qu'elle s'aimerait, ses contraintes n'existent plus... Très doucement, Aline s'endort paisiblement.

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Herméneutique Qu'est-ce qu'un herméneute? Non seulement un herméneute est quelqu'un qui affirme que le monde est un langage, qu'une parole crée erre pour recréer sans cesse le monde, un herméneute est aussi quelqu'un qui affirme que le langage est, parfois, un monde, qu'il y ouvre ou que même il le crée; autre chose qu'un reflet. Quelle est sa démarche, à notre herméneute ? Peut-être qu'il navigue, peut-être la sphère des signes au sein desquels il évolue est-elle, en puissance, indéfinie ou indéterminée ; en tout cas, il dérive, dévie d'un cap à l'autre, il remonte les courants – flux d'idéalité, associations d'idées, chaînes de causalité. Cette pratique systématique pas vraiment un méthode mais plutôt technique involutive (plus que les ré-gressions et dis-gressions des pro-gressions discursives de type monologique) n'empêche pas celles du doute ou du questionnement, ou celles de la rigueur de l'analyse; et bien sûr il n'est pas le seul à contempler ainsi le langage. Un seul et unique et en même temps autant de langages uniques sans qu'aucun soit identique - ce qui en détermine les modes et les motifs, le devenir, c'est l'usage : celui qu'on en a, ou celui qui en est fait.

dimanche 28 août 2011

650 : samedi 27 août 2011

Comme dit le vieux proverbe blache, autant essayer de faire entendre raison à un Mélandrin que d’affronter le cyclone avec son pied.


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1 je te vois 2 je te regarde 3 j'ai l'impression que tu m'as vu et qu'à présent tu me regardes aussi 4 tu me plais 5 et j'ai l'impression que je te plais aussi 6 tu me parles 7 je me plais à croire que je te plais encore 8 tu me plais 9 tu me parles encore et alors tout me laisse penser que je te plais 10 ça te plaît de me plaire 11 je me plais à croire que je te plais plus encore que je tu me plais 12 c'est alors qu'on me demande si tu es réellement disposé à éprouver du plaisir pour moi (à ce que je te plaise) 13 je réponds que je me plais à croire que tu es tout à fait disposé à cela 14 j'écarte toute idée de malentendu à ce sujet 15 comment pourrais-tu te montrer si disposé à me plaire sans être tout a fait prêt à l'être? 16 cette idée ne m'avait pas effleuré le cœur tant tu parais si bien disposé 17 aussi maintenant j'en viens quand même à douter et à ressentir les effets physiques bien que n'étant pas du tout disposée à y croire 18 pour en avoir le cœur net, je te pose une question qui doit mettre un terme à ces questions de disposition 19 la réponse que j’attends je me le promets, va m’ennuyer, c’est presque gagné 20 je prends mes dispositions pour l’accueillir avec raison 21 je ne suis pas disposée à découvrir que tu es indisposé 22 il n’est ici aucunement question de domination 23 le temps passe et la réponse se fait attendre 24 cela n’augure rien de bon pour mon matricule virgule 25 soudain tes mots lâchent le couperet qui tombe à point 26 pour être sur que ça passe, sans casse 27 tu me rappelles que fellation rime avec bonbon 28 une rime pauvre pour une super prestation 29 je ne joue pas avec toi 30 je t’ai prévenu je suis très étonnée 31 et pas vraiment disposée à me faire berner


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Elle baisse ses yeux sur le lit d'hôpital sur lequel repose son fils. Son visage s'est enfin détendu, son souffle court s'est apaisé. Elle peut enfin s'asseoir et pleurer : tout ira bien.

samedi 27 août 2011

649 : vendredi 26 août 2011

Farigoule ne décoche plus. Il est humide l'air dedans, les peaux le relatent, toutes les parois qui glissent l'extérieur sont opaques — dehors c'est averse pressante. Les mots sont devenus vapeur. Combien de temps, cette inondation ? La nuit englobe l'eau. Il dort. Ne parle plus. Exténué de sa bouche. Buées. C'est un éclair de sommeil. La pluie. Noir. La pluie. Un ronflement peut-être, ou quelque chose. La pluie. Elle coule en eux à présent cette eau, c'est aller obstiné dévaler découdre. Noir, et dedans du plus noir encore. La pluie. Noir. Et soudain dans le noir, l'absence du plus noir. La nuit d'étire jusqu'aux pieds. Le dehors se tient là, fier, arrogant, & le noir. Le sommeil est haché, ne sait plus où se loger, tous les muscles compatissent. Le dehors de tient là, on a l'impression que quelque chose s'agite. Que se trame. Mouvements lourds qui coupent un peu le noir, du plus noir, il se lève, se tient là, arrogant, noir. Oui. Noir. Oui. Il est parti. Il a quitté la cahute. L'autre est bien seul, et où est-il allé ? La pluie semble se démettre. C'est tout à coup le matin, on le perçoit au bref silence et au plus froid qui accompagne le soleil avant quand il n'est que dissipation des brumes. Il ne pleut plus et ce matin il ne pleuvra pas. Sommeil, quand tu mords la nuit, le corps ou le lit, et ne repose guère. La peau ses poils ce sont des épines, au matin. Se lever c'est arracher. Le corps donne l'impression d'un incompatible, a dû glisser de lui-même, on n'a plus d'attache au paysage. Farigoule se demande d'où vient cette faculté que seuls les hommes cultivent — de se dissoudre ainsi dans la douleur, de nager à ce point au large du monde. Parfois le sommeil expulse. Parfois le sommeil pulvérise. Il se tient au chambranle au moment où les rayons viennent percer la cabane. Il devine les premières économies au loin ; un grand trait, cette raideur est humaine. Une route ou un champ. C'est peut-être ça aussi, qui déborde. Il faudra tout de même avancer vers, parce qu'un repas l'attend, les provisions s'amenuisent, avec les forces, et de se demander, peut-être, pourquoi on avance, pourquoi. En rangeant puis refermant le bouge, par deux fois, il y a ce couteau qui le traverse Où est-il à présent Où est-il à présent.


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Au coin d'une allée de mon rêve, j'ai rencontré un squelette, grand, étroit de clavicules, à la fois aérien, ou aéré, et solide, élégant, bien entendu, et avenant, oui, et même gracieux m'a-t-il semblé, extrêmement civilisé, doué d'un petit grain de dandysme qui l'amenait à abriter son absence de chair transpirante sous un petit parasol manié avec désinvolture comme une gigantesque ombrelle. Nous nous sommes salués avec l'aimable réserve qui sied entre inconnus.


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Elle se penche en avant, un peu trop, il sent son odeur d'eau de toilette mélangée à son dentifrice à la fraise. Par chance son haleine est fraîche et mentholée. Il peine à ne pas loucher sur son décolleté alors qu'il baisse les yeux pour éviter la vue nauséante des points noirs ancrés sur son visage comme des moules seraient vissés sur leurs pieux. C'est la dernière fois qu'il laisse tante Simone lui arranger un rendez-vous.


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Fini le temps de la veille avant la grande fête où on l'a invité. Dans cette pièce rectangulaire au plafond bas et aux murs taupe, flotte une odeur de banane mure qui déconcentre un grand jeune homme. Sans compter les crocs qui lui poussent avec la fringale qui s'est muée en faim cet après-midi. Faut qu'il se secoue. Deux jours qu'il est revenu dans l'idée de se changer pour la soirée, que la porte de sa chambre a claqué, sept heures qu'il n'arrive pas à l'ouvrir, à faire un pas dans le couloir et qu'il scrute des vêtements tombants des cintres métalliques comme des peaux de trophées fraîchement dépecées, deux jours sans arriver à choisir un truc qui ne serait que mettable, n'importe quoi qui emballerait proprement sa viande en lui donnant du style, une allure appétissante de bonbon même. Il recompte les pantalons puis les chemises... Pull blanc avec gilet noir ou tenter une chemise ? Noir et blanc, mélange zéro risque, couleurs antipodes font bon ménage, mais n'aurait-il quand même pas l'air ridicule ? Dans la penderie obscure les vestes à l'endroit pendent dans un coin isolé; la noirceur d'un blouson à mille lieux de sa main qui amorce un geste annihilé à la seconde suivante. Pierre se laisse tomber de tout son long sur le lit, il démarrerait bien un décompte de secondes comme avant un départ de fusée, le défilé des nombre l'apaise quelques fois. Ses paupières pâles se ferment, dérive à la surface d'eaux lourdes, pile au milieu d'un fleuve sablonneux parsemé de quelques minuscules îles, des rives et des détours arrondis, il flotte, (des habits sortiraient de la penderie de leur propre chef, le casse tête de devoir choisir quelle frusque, quoi mettre, ce qui irait avec quoi, se brise dans le vide). Même s'il déniche des fringues correctes, les femmes remarqueront forcément un bouton à moitié cassé, un ourlet pas à la bonne hauteur, elles ont l'oeil de biche aiguisé pour ça. - Buzzbrrr. Elles verront tout de suite qu'il est incapable d'être dans le coup. Celles qui ne le ratent pas de leurs sourires de souris navrés et de leurs clignements de cils charbonneux. Pouvoir passer dans cette fête en mode furtif, bien dans des baskets invisibles, jauger par aucune, quel plaisir fou ça serait. Si une fois, seulement une, profiter de la chaleur et des rires des femmes, ne plus être nul... De l'appartement du dessous s'élève une chanson énervée qui l'accroche : - Malade, est-ce que je suis malade ? Et pendant ces cinq dernières années, j'étais sorti d'ici ici, à l'intérieur de ce cerveau qui s'écoule dans la société, injectez-le dans vos veines. S'est pas fait chier le parolier pense Pierre en se traînant vers les pantalons. Encore cette saveur trop sucrée du hors-jeu, chaque fois qu'il est invité à une fête de filles, ses épaules qui se creusent. - Buzzbrrr, répété, régulier, ça vibrionne sous le lit, une palpitation rêche calée sur la batterie de la chanson... De l'endroit isolé sous le sommier et de sa noirceur s'extrait une libellule s'élevant vers une bulle d'air flottante, annihilée.

vendredi 26 août 2011

648 : jeudi 25 août 2011

Les Flottants coulent à pic dès qu’on les pose sur l’eau. C’est étrange mais c’est ainsi. Les plus orgueilleux d’entre eux vous diront qu’on leur a confié en haute instance une importante mission de repérage et les plus optimistes, que c’est au fond, qu’ils flottent.


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Ce jour là, le vent caressait l'herbe en la faisant onduler et cela créait des chemins mouvant que nous regardions avec plaisir. C'était la clé de tout, cette capacité que nous avions à trouver bonheur de choses simples et paisibles. Parfois encore, tu y repenses en souriant, il suffit d'une brise sur ta peau et tout à coup le monde est plus serein.

jeudi 25 août 2011

647 : mercredi 24 août 2011

Ai-je rêvé de cette maison où nous étions nombreux ? La vie débordait par toutes ses portes et fenêtres ouvertes les soirs d'été sur la terrasse, sur le pré qui dégringolait vers la haie de thuyas, rires, tous les timbres de l'enfance, brèves manifestations d'autorité bonhomme, heurt de balles sur un mur, plages de silence peuplées. Il reste une table et deux chaises sur la terrasse, à l'ombre de la tonnelle rousse, et tous les volets du premier étage sont fermés, clos sur les souvenirs, comme définitivement.

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Emportée par le courant du ruisseau, elle se débat contre l'eau froide, perd pied, retrouve une pierre de justesse qu'elle frappe de sa chaussure. Petit à petit elle se rapproche d'une branche à laquelle elle s'agrippe pour reprendre son souffle avant d'enfin regagner la rive. Assise sur l'herbe, grelottant, elle se frictionne énergiquement en regrettant l'espoir d'un feu. Au loin, les cris s'élèvent à sa recherche.

mercredi 24 août 2011

646 : mardi 23 août 2011

Les Pilotins se déplacent à 299 792 459 mètres seconde. Ce très léger avantage sur la lumière énerve beaucoup cette dernière. Ce qui explique qu’elle prenne un malin plaisir à les laisser évoluer dans l’obscurité la plus totale. Il n’y a pas si longtemps de cela, les Pilotins se déplaçaient encore à la vitesse du charbon de bois. Ils avançaient moins vite, mais on les voyait plus souvent.

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Elle se déplie lentement, son corps n'en finit pas de se lever de son fauteuil, ses mains fines défroissant sa robe et ses yeux regardant tout sauf Arthur, à croire que cet instant ne finira jamais, qu'ils sont condamnés à ce silence pénible. Arthur lui regarde Inès et son esprit bouillonne, encore une fois cette année il n'aura pas la promotion qu'il voulait et c'est insupportable. Inès n'est qu'une messagère qui compte à peine dans la société, on lui a sans doute imposé cette corvée et cela n'en est que pire.

lundi 22 août 2011

645 : dimanche 21 août 2011

Contrairement aux Atterris, les Atterrés voient très bien la lune. Ils ne voient même qu’elle. Et ce spectacle les abasourdit, les écrase, les plonge dans une somnolence perpétuelle et confondante. La nuit gagne lentement du terrain sur le jour et le soleil lui-même ne leur rappelle bientôt plus qu’une chose : la lune, la lune, toujours recommencée. Finalement, le cœur rongé de cratères, les Atterrés s’éclipsent.


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Dans mon rêve il y avait une jeune femme, je crois, assise sur une plage, je l'ai cru, bornée par une barrière comme un espace privé, une plage assez étrange sur laquelle était tracé – un âne, mené droit, tirant une longue poutre derrière lui ? Un géant appliqué avec règle, compas et une gigantesque épingle ? - était donc tracé, un quadrillage régulier comme un dallage. Elle semblait un peu lourde, mais avec une belle nuque, sous un casque de sages cheveux châtains, et de douces épaules, une attitude réservée, jambes à demi pliées, corps légèrement penché, un peu en oblique, bras abandonnés souplement sur les genoux, dans une molle robe à fleurs qui rappelait les illustrations des romans de Zénaïde Fleuriot ou une scène d'un film néo-réaliste italien. Du visage on ne voyait rien, et d'après l'inclinaison de la tête, son regard se perdait quelque part sur le sol, peut être à l'intersection de deux lignes. J'ai senti une petite peine, une inquiétude pour elle, si humblement vacante, comme résignée, sous l'ombre qui s'étendait sur elle, qui la surplombait, se penchait, sans que l'on puisse déterminer si c'était avec malveillance ou au contraire pour la secourir, mais comme je tentai de m'approcher pour la prévenir ou l'aider j'ai réalisé que c'était mon ombre qui s'attaquait à elle, commençait à l'effacer.


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Le jeune homme pose ses mains sur les seins de la statue. Il effleure le sable humide, souligne les contours, modèle les arrondis. Du bout des doigts, il balaie le sable sec... Il caresse sa nuque et ses épaules, lissant les dernières aspérités. Ses bras sont placés le long de son corps. Ses mains reposent sur ses fesses, avec aplomb. Ses reins sont cambrés... Elle se tient en équilibre sur le dôme de sable. De l’ongle, le jeune homme précise ses seins. Leurs pointes se dressent bientôt. Il les frôle du doigt pour les adoucir. Des grains de sable courent sur la plage humide.


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Il se souvient du vent bousculant sa maison, des intempéries contre lesquelles il fallait se méfier. Franck aimait sa maison, son jardin enfiévré de plantes désordonnées, ses tuiles vieillissantes et le sifflement dans la cheminée en harmonie avec le grincement des poutres.

dimanche 21 août 2011

644 : samedi 20 août 2011

On ne retrouvait plus, aux centres de pouvoir pôles technocratiques et postes de contrôle, tous les communicants et les gestionnaires, décideurs ou entrepreneurs : absents... Offices restés vides. Une majorité se cachait. Ici ou là on croisait parfois des hommes sans têtes. 'Dieu' était un monstre bureaucratique ; aux portes du nouvel âge il semblait que les anges avaient été oubliés aux archives. Toutes les architectures étaient comme vitrifiées entre transparence et reflets au milieu d'atmosphères néons étudiées au détail près pour le loisir de tous et l'augmentation de la productivité, pour l'éducation des masses par et pour la fête, pour la gloire de chacun et l'éternelle célébration du progrès dans la pratique systématique du divertissement - ailleurs quelque part s'y opposait probablement toute une esthétique de la diversion - ou créations de perspectives - et s'y sont-elles enfouies furtives...


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Elle va et vient dans sa cuisine trop petite, toujours, il y a sans cesse un meuble dans son passage, à croire qu'ils se déplacent pour la contrarier, ses ustensiles ne sont pas à la bonne place, il faut déplacer pour dénicher et faire tenir, il faut pousser pour faire la place aux légumes à couper, à la viande à préparer, aux bols et saladiers. Jane s'agite, Jane s'énerve.

samedi 20 août 2011

643 : vendredi 19 août 2011

Les Amphoriades ne vivent qu’une heure. Ce qui explique qu’on ne leur refuse rien. Les sages-femmes du pays s’arrangent toujours pour les laisser venir au monde sous les meilleurs auspices. Tout leur est offert d’emblée : l’ivresse des mots, les aurores boréales, les étreintes définitives. Elles traversent leur courte vie pareilles à des éclairs grisés et puis s’éteignent. Elles ignorent l’effort comme la lassitude et d’ailleurs, à la cinquante-neuvième minute, il n’est pas rare qu’elles en conçoivent du regret.


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C'est sur la place que la course arrivera. L'arrivée est bien prévue place du Tertre, Paris, dans plusieurs jours. Le départ est donné à Bourges. Huit cent sept coureurs de fond dont une star naine qui participe incognito sous le nom de A. Contrairement aux prévisions qui donnaient le réchauffement climatique gagnant, le thermomètre descend un peu plus chaque jour. Les athlètes traversent le Berry quand la grêle tombe. Certains s'éparpillent à Orléans, frigorifiée A. accélère. Neige à Fontainebleau puis congères boulevard Montparnasse. Découragés, quelques coureurs aux doigts gelés préfèreront en rester là, ils abandonneront juste en face du Sélect. Apercevant la Butte Montmartre prise dans un glaçon de la taille d'un iceberg, les derniers obstinés s'équiperont de rivets, de crampons et de cordes pour assurer leurs prises pendant l'ultime montée. C'est dur, la glace que la courte A. rivera.


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La surprise fut immense quand on apprit que j’avais assassiné Thomas Temple la veille au soir. La ville entière bruissait de cette nouvelle. On ne peut pas dire que le meurtre de Thomas étonnait grand monde. On s’y attendait, c‘était une question de temps comme l’indiquaient les conversations populeuses matinales : « ça lui pendait au nez, tôt ou tard il aurait fini la tête dans le caniveau ». Non, la surprise venait en revanche de son auteur: moi, fils de bonne famille, l’enfant discret, poli et studieux de la cité. Comment? Moi, un assassin? Et voilà l’onde de choc, le malaise qui se répand. L’après-midi même - on avait dû y réfléchir en famille pendant le déjeuner -, dans une pathétique tentative de compréhension, le discours changea et on en vint finalement à inverser les rôles: si j’en étais arrivé là, c’était nécessairement un geste de désespoir, poussé à bout par ce bon à rien, ce parasite. « Pauvre enfant ! » disait-on un peu partout de moi. Et de gloser sur les raisons qui m’avaient poussé au crime : « Qu’avait-il bien pu lui faire ? ». Je le dis donc d’emblée, pour mettre les choses au clair : non seulement Thomas ne m’a rien fait de mal, mais il m’a même bien plus aidé que vous tous réunis. Il m’a montré ce que peut être la liberté (celle que vous détestez tant), la vraie, et moi je l’ai tué, pour ainsi dire pour rien - pour la célébrer ? Ou plutôt non. Ne vous en déplaise, il est la victime et je suis l’assassin. Vous, chers adeptes de l‘immobilisme, des idées reçues, des compromis: et bien, compromis vous l’êtes! Ne vous dédouanez surtout pas de cet assassinat : par ce que vous êtes, vous avez contribué à me faire appuyer sur la gâchette. Oh oui, vous pesiez dessus de tout votre poids ! Je me hais parce que je suis comme vous, et j’ai pitié de vous. Et je l’ai tué parce que je suis à votre image, et je ne le supporte pas. Vous étiez tous derrière moi quand j’ai tiré, vous l’avez vu s‘affaisser et crever comme un chien. Alors, mes chers concitoyens, la nuit, n’éteignez plus vos lumières et restez bien éveillés, votre monde vacille enfin.


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Ton secret est si bien gardé que toi-même tu l'ignores. Une chape de mensonge t'a jadis séparé du réel. Peut-être... Une part de toi sombre. Monde hors du monde. Peut-être... Il y a d'abord le silence entrecoupé d'une respiration profonde. Puis une sorte de chaleur, contact de la main sur la peau nue. Et puis on détaille les plis et les creux, les ruptures et les sinuosités, on parcours les axes & les courbes. Et il est alors encore un enclos, une enclave, territoire vierge et neuf, non encore aliéné, où l'on peut se perdre. Peut-être...


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Sophie s'agite, s'occupe, attend... Les heures défilent sous ses gestes automatiques, ses yeux bleus électriques sont ailleurs et accompagnent les pas d'un autre. La radio grésille, elle est agaçante d'informations futiles et désordonnées. Sophie se pose enfin, nichée dans le canapé, elle sait qu'il n'y a pas eu de conférence de presse, que rien ne change et que demain sera comme hier. Son téléphone vibre. Un texto : "pas ce soir". Elle s'endort ainsi, serrant malgré elle sa tristesse et se sentant disparaître.


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Promenade Je me suis perdue au bord de la mer sur le chemin de sable où nous étions allés. Une vague un peu trop forte a fait disparaître la trace de mes pas. J’ai marché déposant une à une mes pensées. Quelques-unes plus tenaces sans doute ont résisté. Le ciel se couvrait m’invitant à lever les yeux. L’orage s’annonçait. Je me suis allongée le visage tourné vers les vagues. J’ai voyagé ainsi ballotée parfois engloutie jusqu’à l’oubli. Notre vie n’est qu’un souffle me suis-je dit. Que sommes-nous face aux turbulences ? Les zébrures dans le ciel m’ont fait penser à nos déchirures. De grosses gouttes tièdes et lourdes sont tombées sur mes mains. Le ciel se fâche il gronde il pleure il lave la terre et ses souillures. Je me suis enfoncée dans le sable il m’a offert un lit. J’ai rêvé à un monde moins noir. Puis le soleil est revenu le ciel a changé de couleur laissant filer les nuages le sable crissait sous mes pas la mer étincelait j’ai rebroussé chemin emportant avec moi une once d’enchantement.


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Je m'appelle Ierevan, mes amis, quand j'en ai, m'appellent Evgenj, et encore Zheka. J'ai vingt-sept ans. Je suis arrivé par la terre, ou par la mer, ou par les airs, qu'importe. Nous sommes venus six, et cinq ont effectivement posé le pied sur ton sol ; nous avons exigé des nuits qu'elles nous portent jusqu'à toi ou aux tiens. Nous avons excédé les limites qui nous avaient été imparties. Depuis l'enfance, nous luisions d'une pâleur clandestine et, partant, suspecte. Nous étions avides de cette lumière, nous clignotions. Nos mains s'allongeaient, et nous perdions peu à peu le goût du panais ou du raifort. Nous avions soif d'autres envergures. Nous attributs numéraux, et moi avions passé plus de temps dans l'uniforme couleur taupe de notre Etat pacifié que nus, allongés, la main sur la cuisse, brisés sur la ferraille de nos matelas à songer à des boissons + citron, à des cafés, au soleil, aux cultures de fruits. A des femmes moins pétries par les mottes de terre que par le désir. Moi je rêvais surtout à des femmes ; propres, aimables, affables. On avait un grand lac, et sur la suie noire de ses poissons goulus de vases passaient des bateaux, qui transbordaient je ne sais quelle marchandises pour vous autres, et nous n'étions pas plus mauvais chargement que les racines ou les épices, ou tout ce qui transite par les cahutes qui se font appeler port et sur quoi ingénument les bakchichs font office de cire sigillée. Nos pluies transperçaient nos vêtements et la faim ne les tenait plus. Alors moi, un feu jeune Frère, un cousin, et trois autres, nous avons chargé une palette pleine de nous-mêmes, car tel était notre office payé en liasses de billets, à croire qu'on se nourrissait comme des rats de cette paperasse qui n'achetait rien, et on devait encore les distiller nous-mêmes les bouteilles d'alcool moisi qu'on ne pouvait se permettre. Nous six embarqués par un ou deux autres, à qui on avait promis de ramener une part de lune — pas sûr qu'ils aient le cran ceux-là de sortir leurs sabots de leur glaire. On a passé les heures dans les cales, celles-ci ou d'autres, dans les trains, ou les avions, accrochés de fortune à un essieu, un carter ou un quelconque système précontraint fixé par frottement. Tu connais la rouille ? On l'a tutoyée et traduite, on s'est inspiré de son art et on est devenus tels. Et par chance, et par avalanches diverses et autres cabrioles, voilà qu'on débarque d'un pays l'autre, chaque jour plus sales, on avançait, on ne s'arrêterait qu'une fois atteinte la terre si longtemps allumée dans nos esprits. Quand j'étais petit, il y avait un livre avec des oies qui portaient des enfants en Cocagne. J'ai longuement patienté l'heure. Je suis resté assis devant le fleuve, à voir s'écouler l'eau comme du sable ou un rêve ; j'ai pris l'ombre et le soleil, j'ai longuement pissé dans le crépuscule. J'attendais le bon passage, le bon zodiaque inscrit dans le ciel à la cartographie rapidement incrustée dans mon cœur. Les nuages ont vogué, dessinant des formes grotesques et tour à tour majestueuses. Puis la corneille a crié une fois. Nos maigres économies ramassées dans une boîte de porphyre ou de jade, planquées dans un pan de bordure en dentelle de la Volodga, et passées de l'un à l'autre selon un ballet savamment mesuré (Klavdj avait étudié les mathématiques statistiques) de sorte qu'il ne soit jamais séparé plus longtemps d'au moins deux de nos affûts ; nous nous relayions en tout, et la mort de mon Frère a durablement déréglé notre machine, Klavdj peinant à trouver non seulement le laps pour, mais aussi les moyens physiques nécessaires (feuille propre et stylo fonctionnel) pour combiner une nouvelle rotation à cinq. Nous sommes arrivés en ballottant, comme des balles de tissus ou des poupées livrées au marché, dégueulasses, amaigris. En lieu et place de notre cœur, c'étaient mille kilomètres de privations, d'humiliations, mais aussi le vide de suffisance et de morgue, alors comme un seul corps, on s'est levé bien vite le genou qui par légèreté passagère, ou distraction, s'était posé sur ce qui allait devenir notre nouvelle maison possible, et on s'est mis debout...

vendredi 19 août 2011

642 : jeudi 18 août 2011

Rencontre XLIII (Fin) Claire pose son stylo. Elle doit trouver une fin. Elle regarde autour d’elle, s’étire, empile les feuillets qui jonchent son bureau. Elle ne sait pas ce qu’elle va en faire. Il faudra tout relire, reprendre certains passages, noter les incohérences, peut-être tout jeter. Elle a froid, si elle veut garder cette maison, il faudra faire des travaux. Un mois, depuis un mois, elle est là, seule avec ses personnages. Sans-doute lui ont-ils permis d’accepter la mort de sa grand-mère… Dans quinze jours, elle doit rentrer à Paris, reprendre ses cours, affronter ses élèves. Elle sait que rien ne sera plus pareil maintenant. Elle reviendra le week-end mais personne ne l’accueillera. Elle aime cette maison, le vieux fauteuil, sa petite chambre d’enfant, le grenier qu’elle n’a pas eu le temps d’explorer, c’est vrai, elle y retrouve tant de souvenirs ! Elle ira encore s’adosser au gros chêne pour lui livrer ses chagrins. Le voisin lui a promis qu’il s’occuperait du jardin. C’est un vieil homme, il connaissait bien sa grand-mère. Elle lui donnait des confitures, c’est lui qui lui rapportait les journaux et qui lui postait son courrier. Surtout à la fin, quand elle ne sortait plus… Il sait qu’elle ne vendra pas la maison. Elle le lui a dit, après le passage des agents immobiliers. Ca lui a fait plaisir. Aujourd’hui, elle a trente-cinq ans ! Pour la première fois, il n’y aura pas de gâteau. C’était un rituel avec sa grand-mère ! Elle pourrait inviter son ami François, il doit être au village, il y vient toujours à la fin de l’été. Oui, c’est une bonne idée ! Elle l’aime bien, François ! Sous son air extrêmement sérieux, il cache un humour absolument délicieux. Elle a besoin de rire, en ce moment ! Cela fait trois mois qu’ils ne se sont pas vus. La dernière fois, en la raccompagnant, il lui a dit qu’il l’attendrait trente ans s’il le fallait. Cela l’avait troublée.

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Dès sa naissance, à l'instant où la sage femme lui présenta celui qu'elle avait attendu très précisément neuf mois et un jour, la mère de Paul Arthur Napier su à quel point la précision et la distinction seraient des qualités chevillées au corps de ce morceau de chair rose dont les yeux grands ouverts semblaient déjà chercher quelque vérité cachée. Rien dans la suite du parcours du petit Paul Arthur ne vint contredire cette conviction, et certainement pas la découverte qu'il fit lors de sa première tétée, d'une boucle d'oreille en or, sous le sein de sa mère, bijou qu'il saisit vigoureusement et sembla montrer triomphalement, le portant à bout de bras dans la direction de ceux qui assistaient à son premier repas.


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j'ai rêvé de m'enfoncer dans cette fontaine, de laisser l'eau herbue me frôler, de disparaître sous une feuille, d'émerger dans une tache de lumière, de me glisser sous la masse centrale, dans la petite grotte circulaire creusée sous la pierre, de consulter les cailloux, leur rose, leur vert ou leur beige ocré, de me blottir sous les branches de l'arbre, sous les centimètres d'eau, de me complaire, m'ébattre, dans cet univers croupi – et j'ai entrepris désespérément de me réduire à la taille nécessaire, juste avant la disparition.


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Forcer l'inexistant est impossible.

jeudi 18 août 2011

641 : mercredi 17 août 2011

Les Rosières naissent dans les roses. Et elles s’y fanent.

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Rencontre XLII Le soleil perçait à travers les volets de la petite chambre. Mathieu passait toutes les heures, soucieux de ne pas manquer le réveil de Aude. C’est lui qui l’avait ramenée à la maison, dans la voiture, elle avait dormi. Le médecin l’avait prévenu, les médicaments prescrits lui permettraient de se détendre, elle pouvait dormir un jour ou deux. Elle s’était réveillée ce matin, sans aucun souvenir de ce qui lui était arrivé. Mathieu n’avait pas insisté, il lui avait parlé doucement, elle avait légèrement souri, puis s’était rendormie… Il avait parlé avec le médecin : celui-ci lui avait assuré qu’elle n’avait rien de grave, il avait fait tous les examens, tout était normal malgré son manque de fer. Sa chute avait certainement provoqué une crise de tétanie. Elle devait prendre un traitement et rester au calme, se reposer quelques jours. Il restait toutefois à sa disposition. « Elle est solide, votre femme, nous avons consulté attentivement son dossier, elle a subi de gros chocs mais ne vous inquiétez pas, elle réagit bien. Il lui faut du repos, c’est tout ! » Mathieu repassait mentalement les évènements des derniers mois, son instabilité, ses peurs soudaines, sa difficulté à écrire, son mutisme, ses absences aussi ! Il n’y comprenait plus rien ! Par moments, il avait l’impression de la perdre, il sentait qu’elle s’éloignait. Depuis quelques semaines, elle ne s’intéressait plus à sa musique. Elle ne lui demandait plus jamais ce qu’il composait. Le terme du médecin l’avait choqué : solide ! Alors qu’il la trouvait de plus en plus fragile, on lui disait qu’elle était solide ! Lucie lui avait expliqué comment elle l’avait trouvée… Qu’est-ce qui avait bien pu provoquer cela ? Tout allait de travers, il se sentait démuni, malheureux et atrocement inquiet. Il n’aurait jamais dû lui parler ainsi, la laisser seule, il s’était comporté de façon stupide… Il remonta dans la chambre : Aude avait ouvert les yeux, elle lui réclama aussitôt Emeline. Elle avait une vilaine marque au front mais son regard était joyeux. Il lui expliqua calmement qu’elle devait se reposer encore un peu, qu’ils iraient chercher Emeline ensemble, plus tard, quand elle pourrait se lever. A son grand étonnement, elle éclata de rire, lui disant qu’elle se sentait merveilleusement bien et, joignant le geste à la parole, elle se leva, l’embrassa longuement, prit une douche et sauta dans ses vêtements. « Je suis prête. J’ai trop dormi, tu aurais dû me réveiller ! Je suis trop moche avec cette bosse ! Où me suis-je cognée ? Bon, on y va ? » Il renonça à la contredire. Elle était radieuse, ses cheveux mouillés brillaient, elle trépignait sur place. Ils partirent à pieds jusqu’à la maison aux lilas. En chemin, elle lui cria qu’elle avait faim, qu’elle se sentait toute légère et qu’elle était heureuse qu’il soit rentré. Mathieu la regardait, éberlué de sa transformation ! Lucie préparait un gâteau avec les jumeaux, Emeline était sur son tapis, avec ses jouets. Aude la prit dans ses bras, repoussant ses longues boucles et lui donna des dizaines de baisers, partout, puis, se retournant vers Mathieu, s’exclama : « Je crois qu’il est temps de lui faire un petit frère ! » Abasourdis, Lucie et Mathieu la fixèrent, se demandant l’un et l’autre s’ils n’étaient pas fous !


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Lentement, au fil des jours, des choix se font, des chemins se forment. Arnaud se sent comme un tricot dont on aurait mal compté les mailles, un peu trop étriqué là ou grand ici. Il oriente sa vie tant bien que vaille de contraintes en obligations, ne sachant comment sortir du désir des autres pour oser les siens.

mercredi 17 août 2011

640 : mardi 16 août 2011

Le grime était presque parfait. A quelques détails près le cadavre ressemblait à un suicidé : la corde autour du cou ; sous la chaise renversée le petit mot à l'écriture excessivement penchée ; la tache, sur le parquet, à la verticale du corps. Malheureusement pour la veuve se présentant éplorée, les imperceptibles défauts dans le maquillage n'échappèrent pas à l'oeil professionnel de Paul Arthur Napier. Dès son entrée dans la pièce il remarqua les trois odeurs, celle du parfum - Cuir de Russie de chez Pivert - celle de l'excellent Rhum Barbencourt issu de la réserve spéciale dite "du domaine" ainsi que celle d'un sperme non dénué d'intention. La synthèse de ces trois odeurs fit jaillir sans délai, des lèvres du commissaire : "Madame, comment un homme si visiblement comblé a-t-il pu mettre fin à ses jours ?" La dame en question baissa la tête et tendit les mains dans la direction des menottes que venait de sortir l'impitoyable P.A.N.

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Rencontre XLI Adossée au vieux chêne, Aude réfléchissait. Pour la première fois, Mathieu l’avait laissée dormir seule. Il s’était enfermé dans son grenier, toute la nuit. Ce matin, elle avait entendu la porte claquer, elle avait suivi ses pas dans le jardin, puis le bruit de la voiture qui démarrait. Sur la table de la cuisine, un petit mot l’attendait : « Je pars à Paris. C’est mieux ainsi. Tu auras tout le temps pour réfléchir, ma petite étoile. Ne pense plus à lui, ils l’ont retrouvé, il s’en est sorti, encore une fois ! Je t’aime profondément. Mathieu » Elle avait tourné et retourné le message dans ses mains, le froissant, le dépliant, puis elle l’avait mis dans sa poche. Emeline se réveillait, elle avait besoin d’elle. Elle la serra dans ses bras, lui murmurant à l’oreille de petits mots tendres. Plus tard dans la matinée, elle avait appelé Lucie pour la lui confier pour la journée. Celle-ci n’avait posé aucune question : le visage de son amie en disait long… Aude avait ensuite cherché à joindre le médecin et avait annulé sa séance d’hypnose. « Eh bien, venez demain, à la même heure ! » avait-il simplement répondu avant de raccrocher. Elle avait une journée à elle. « Qui suis-je ? Je me sens si mal ! Ressaisis-toi ! Laisse ton passé ! Cesse de penser à toi ! Tu gâches tout ! Tu vas trop loin, tu ne trouveras rien. Je veux comprendre ! Des images me hantent. Je veux savoir ce qui provoque ma peur. Que m’a-t-on fait ? Je ne parviens plus à vivre. Je disparais, je sens que je disparais. Mathieu, je ne voulais pas te blesser. Je lutte, tu sais, j’essaie d’être moi-même. Ca ne marche pas, j’ai l’impression qu’on m’étouffe, qu’on m’écrase, je suis dans une cage de verre, je n’ai plus d’air, à chaque fois c’est pareil, l’eau envahit la cage et je me noie. Mathieu, crois-moi, je t’aime, s’il te plaît, j’ai besoin d’aide… » Aude était en sueur ! Son cœur s’affolait, elle voulut se relever mais glissa de tout son long sur le sol, sa tête heurta une pierre et elle s’évanouit. C’est la sonnerie du téléphone qui lui fit ouvrir les yeux. Elle avait très mal à la tête, du sang coulait sur sa chemise, elle était pleine de terre jusque dans sa bouche ! Elle s’obligea à se relever, marcha jusqu’à la maison et décrocha le téléphone. Lucie lui parlait de…elle lâcha le téléphone et vomit son déjeuner. « Aude ! Réponds-moi ! Aude, qu’y a-t-il ? Aude !!! J’arrive ! » Lorsque Lucie entra, Aude était livide, le visage en sang, la main droite curieusement crispée. Elle l’emmena à la salle de bain, nettoya la plaie qu’elle avait au front, et s’aperçut que sa main ne se détendait pas. Elle l’allongea sur son lit, ferma les volets, la recouvrit d’une couverture et descendit immédiatement appeler le médecin. Puis elle nettoya l’entrée. Pendant tout ce temps, Aude était restée muette, dans un état de stupeur absolument effroyable. Pierre arriva avec les enfants en même temps que le docteur. Celui-ci, après avoir ausculté Aude, déclara qu’elle devait être hospitalisée. Pierre lui indiqua alors le numéro de son confrère qui la suivait pour les séances d’hypnose. Le praticien hocha la tête, prit note, et téléphona à l’hôpital. Pierre emmena les enfants dans le jardin. Il appela Mathieu sur son portable et le mit au courant. Lucie monta avec Aude dans l’ambulance, laissant à Pierre le soin de s’occuper des enfants. Pendant le trajet, Aude refit surface et dit à Lucie que sa cage s’était brisée. Que voulait-elle dire ??? L’ambulancier lui dit de ne pas y attacher d’importance. Elle avait subi un choc, ce qu’elle disait n’avait certainement aucun sens. Lucie regardait son amie, totalement hypnotisée par l’état de sa main…


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J'ai rêvé de tendresse, d'une femme, ma sœur je crois, ne sais quelle, qui m'étreignais, et nous nous balancions tout doux, tout doux, et de toutes les peines nous nous dénouions, sans mot – je me suis réveillée, et c'était vrai, ou presque, juste ramené à un vacillement des yeux.


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Sa voix onctueuse s'élève, aux parfums brûles de soleil et de nostalgie. La chanteuse ferme les yeux en souriant et laisse son chant onduler au dessus des dunes, elle nous emmène en voyage avec humilité et amour. Devant moi, un couple entremêle ses doigts avant de partir discrètement. Envoûtée, je reste assise à ma table en sirotant mon verre jusqu'à ce que la musique s'éteigne, avant de rejoindre ma chambre vide. J'ai du temps, je peux flâner: personne ne m'attend.

mardi 16 août 2011

639 : lundi 15 août 2011

Personne, absolument personne, n’entend jamais parler des Cronopioux. C’est pourquoi ils en veulent à la terre entière et plus particulièrement aux écrivains argentins.


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Dans les rêves d'Albert, Joséphine est une gazelle parcourant le désert et menant à l'oasis.


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Rencontre XL « Il est 12H30. Bonjour à tous ! L’inquiétude grandit dans le village de P. On est toujours sans nouvelles du randonneur parti hier matin. Les recherches, interrompues à cause du mauvais temps, ont repris au petit matin sans succès. Un hélicoptère de la gendarmerie quadrille le secteur. L’homme, âgé de trente-cinq ans, célibataire et bien connu au village, est parti seul, sans donner son itinéraire. Toute personne susceptible de fournir des renseignements est priée d’appeler le commissariat de P. de toute urgence. Nous retrouverons en direct notre envoyé sur place dans le journal de 13H… » Mathieu monta le son du poste de radio. « C’est le village où nous étions ! », s’écria-t-il. Aude s’était immobilisée, une cuillère à la main, le regard fixe. « C’est François, j’en suis sûre ! », murmura-t-elle en s’effondrant sur une chaise. « Je ne te l’ai pas dit, mais je l’ai revu un matin. Il vit là-bas maintenant. » Mathieu sentit une sourde colère monter en lui. Il serra les poings et s’assit face à elle. « Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Pourquoi ne m’as-tu rien dit ? Aude, réponds-moi ! Tu l’as revu ? Que s’est-il passé ? Je veux savoir ! » Elle entreprit alors de lui raconter sa rencontre avec François. Elle lui dit aussi qu’il avait changé, qu’il n’était plus le même mais qu’elle s’était enfuie. Mathieu écoutait, refusant d’admettre la coïncidence. Il cherchait dans sa tête qui avait décidé de louer ce chalet à P. Il ne s’en souvenait plus. Il se leva, claqua la porte et monta au grenier. Aude lui avait menti, pour la première fois, le doute s’immisçait dans son esprit. Pourquoi lui avait-elle caché cette rencontre ? S’étaient-ils revus ensuite ? Cet individu, il le haïssait ! Il n’avait pas oublié son regard méprisant ni ce qu’Aude lui avait révélé à son sujet. Et puis, c’était tout de même sa voiture qui avait causé l’accident ! Qu’est-ce que cela signifiait ? L’aimait-elle encore ? S’étaient-ils revus sans qu’il le sache ? Auquel cas… Non ! C’était impossible ! Il lui avait fait trop de mal ! Comment avait-elle pu lui parler ?!... Il était furieux et déçu, terriblement déçu. Il redescendit à la cuisine et la trouva debout, son visage entièrement chaviré. « Je suis désolée, j’aurais dû te le dire, il ne s’est rien passé. Il m’a dit bonjour, c’est tout ! Je suis partie très vite. Mathieu, tu dois me croire ! Je n’ai pas voulu cette rencontre. C’était un hasard. Mais tout de même, je ne veux pas qu’il meure ! » Elle éclata en sanglots. Il s’approcha d’elle, prit son visage dans ses mains : « Aude ! Regarde-moi ! Jure-moi que tu dis la vérité ! Et arrête de pleurer ! Je ne veux pas sa mort, moi non plus, je souhaite simplement qu’il disparaisse, définitivement, de notre vie ! Peux-tu le comprendre ? Il a fait assez de dégâts, c’est un malade, Aude, un malade ! Il ne doit plus jamais s’approcher de toi ! »… Ils restèrent un long moment l’un contre l’autre, Aude s’était calmée. Tout au long du repas, Mathieu resta silencieux. Juste avant le journal de 13H, il coupa la radio.

lundi 15 août 2011

638 : dimanche 14 août 2011

Depuis qu’il travaille à la Crimale, l’inspecteur Dowland ne voit plus le temps passer. Il a fort à faire en effet, avec tous ces gens, toujours plus nombreux, qui commettent toujours plus souvent ce délit fatal : ils pleurent. Les uns sanglotent, les autres gémissent, certains n’émettent aucun bruit mais laissent sans résistance les larmes couler sur leurs joues ; et tous ont de bonnes raisons pour pleurer. Ils sont tristes, ils sont déprimés, ils sont désespérés, ils ont perdu leur chien, leur mère, leur téléphone portable. Ils ne se soucient aucunement de la nouvelle législation, approuvée par le Parlement à une courte majorité, en deuxième lecture, et qui proscrit formellement de pleurer, en public du moins – certains députés du parti extrémiste voulaient même qu’il fût interdit de pleurer en privé, mais les modérés ont fait valoir que cette mesure serait beaucoup plus difficile à appliquer, et surtout coûterait bien plus cher ; et comme le pays est gravement affecté par le déficit des finances publiques (de quoi pleurer, quand on y pense), ils ont obtenu gain de cause. L’inspecteur Dowland n’a pas d’opinion quant au bien-fondé de la nouvelle loi. Tout ce qui compte, c’est que cela représente pour lui un gros surcroît de travail ; et c’est pourquoi, de temps à autre, il soupire.


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Une jeune femme en maillot de bain, serviette sur l’épaule et lecteur de CD à la main, franchit les dunes et s’installe sur le sable, à l’écart du jeune homme. Elle s’étire en secouant ses cheveux. Le vent du matin frôle son visage. Elle laisse courir sa main sur le sable, cuisses repliées sur sa serviette. Un moment d’ennui passe sur son front. Elle soupire. Puis elle ferme les yeux.


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Rencontre XXXIX « Aude, vous pouvez ouvrir les yeux. Vous êtes avec moi maintenant. Respirez profondément, ouvrez les yeux ! » C’était ainsi à la fin de chaque séance. Le médecin l’observait en souriant, lui demandait comment elle se sentait puis prononçait invariablement la même phrase : « Nous avançons, ne vous inquiétez pas ! Tout va bien. » Aude avait choisi l’hypnose, sur les conseils d’Antoine et de son médecin. Quand elle repartait, elle n’était pas épuisée, au contraire, elle était plutôt sereine. Elle avait grand besoin de marcher. Elle inspirait l’air du parc à pleins poumons, tout en le traversant à grandes enjambées. Les premières séances avaient été courtes mais concluantes. Elle sentait au fond d’elle-même que les souvenirs revenaient. Parfois, elle avait l’impression qu’on la hissait lentement au bout d’une corde. La remarque avait fait sourire le médecin. Au début, il lui avait expliqué qu’elle ne devait rien rejeter de ses sensations ou images. Tout était important. De retour chez elle, elle se sentait comme neuve et se consacrait totalement à Emeline. Elle libérait Sandra, la jeune étudiante qui s’en occupait et passait le reste de la journée avec sa fille. Le soir, dans le petit bureau, elle notait tout, absolument tout ! Un petit souvenir, un visage, une sensation, un rêve…la main de sa grand-mère qui la tenait fort, le jour où elle s’était blessée et avait eu des points, sa poupée Caroline qu’elle avait perdue dans la rivière, la gifle qu’elle avait reçue en pleine classe lorsqu’elle s’était mise à hurler, la peur qu’elle avait petite fille quand son cœur s’affolait, une voiture aussi mais elle ne savait pas à qui elle appartenait. Elle lisait tout au médecin à la séance suivante. Il l’encourageait à poursuivre. « Vous devez vous laisser-aller, surtout pas vouloir obtenir quelque chose. Ne cherchez rien, les traumatismes reviendront d’eux-mêmes ! » Aude lui faisait confiance. Toutefois, elle avait une boule dans la gorge quand elle pensait à sa mère. Allait-elle la retrouver, apercevoir au moins une fois son visage ? Elle avait l’impression cruelle d’avoir été mise au monde par des fantômes... Depuis la naissance d’Emeline, elle prenait le temps, chaque jour, d’écrire ses progrès, ses découvertes, les endroits où elle l’emmenait promener, les jeux qu’elle faisait avec son père afin que sa puce, plus tard, puisse en parler avec elle, lui poser des questions… Elle pensa subitement à Claudine. Elle l’impressionnait par son tempérament mesuré, elle qui avait tant souffert enfant ! Elle imbriquait patiemment les pièces de son puzzle, raisonnablement, elle ne se plaignait pas, elle avançait dans sa vie avec prudence, mesure et sagesse. A vingt ans, c’était admirable ! Et pourtant ! Elle regardait devant, comme elle le répétait souvent. Elle-même n’en était pas encore capable ! Pourquoi cette folie de vouloir toujours tout connaître, tout comprendre ? Elle était heureuse avec Mathieu mais elle voulait se débarrasser de sa fragilité. Il la comprenait, l’excusait, la soutenait mais au final elle se jugeait très égoïste. Après tout, lui aussi avait perdu sa mère. Il en avait parlé une fois, une seule fois ! Elle pensa qu’elle devait l’épuiser avec tous ses questionnements, cela devait cesser vite ! En avait-il parlé à Pierre ? Les hommes se confiaient-ils leurs soucis ? Lucie lui avait dit qu’ils se voyaient souvent, ses derniers temps. « Je suis malade, complètement dérangée, je veux remonter à la surface, vite, très vite ! Je ne veux plus souffrir de ce vide ! Maman, grand-mère, aidez-moi ! », supplia-t-elle en refermant son carnet.


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La journée fut pluvieuse aujourd'hui. Tu aurais aimé regarder l'herbe plier sous les gouttes et entendre le chant des ruissellements du toit à la gouttière. Je repense à nos fous rires sous la tente alors que nous étions enfants et que nous devions reborder la toile pour éviter les inondations... Ces moments nous ont construits, et après ces derniers jours de beau temps, ce rappel des jours anciens m'a frappé avec force. Je sais que l'été prendra vite fin et que nous nous retrouverons, que mes vacances imposées alors que tu dois travailler réveille le manque, et j'ai hâte de te serrer à nouveau dans mes bras jusqu'au prochain fou rire de l'orage.

dimanche 14 août 2011

637 : samedi 13 août 2011

Les Foliflors sont morts de rire. Il n’est donc plus possible d’en rencontrer.

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J'ai rêvé d'une nuit – un peu froid, un ennui, un vague bruissement – des petits rires dont on ne savait s'ils étaient pulsion de joie enfantine, ironie, d'une cruauté si candide qu'elle excluait tout réaction, sauf peut être une honte, ou simple plaisir de les émettre comme un petit tintinnabulement léger dans la fraîcheur – hésiter – se retourner, et elles étaient là; trois petites fées échevelées et dépenaillées, sans âge, dansant en rond – se sont arrêtées, se sont mises en rang, ont lancé un flot de mots rocailleux vaguement menaçants.


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Le cœur battant il vérifie ses mails plusieurs fois dans la journée et reste en alerte auprès de son téléphone cas de nouveau texto. Son cœur bat la chamade et il sursaute dans la rue en croisant de fugitives ombres lui rappellent l'absente. Il a prévu leur soirée de retrouvailles et aspire au temps qui passe... A 73 ans, Marcel est amoureux.


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Rencontre XXXVIII Claudine écrivait lentement, pour être sûre d’exprimer ce qu’elle ressentait. Son petit Léon dormait auprès d’elle, dans le joli lit qu’Innocent avait réalisé. Elle avait vingt ans aujourd’hui. Depuis peu, le jeune médecin lui avait confié une grande responsabilité : elle s’occupait à plein temps des enfants ! Elle en était heureuse, elle se débrouillait bien, ne comptant pas ses heures, y passant quelques nuits, à chaque fois que c’était nécessaire. Finalement, elle avait été soulagée qu’il ne reparte pas en Angleterre. Ils s’entendaient bien, même si quelque part elle regrettait Antoine. Sa femme les aidait aussi, quand Tom était à l’école. Elle savait faire beaucoup de choses et avait cousu de jolis rideaux pour écarter les mouches. Elle avait même renouvelé toute la literie, était allée à la ville pour trouver du tissu pour les draps. Maintenant, le dispensaire avait un air tout neuf ! « Je l’aime bien, tu sais, elle est très active et très travailleuse. Sauf que, parfois, je la trouve beaucoup trop sérieuse ! Je me demande si elle sait rire… », écrivait-elle à Aude. Elle racontait ensuite les progrès de Léon, sa façon de se faire comprendre, son air décidé, presque têtu quand il voulait quelque chose. C’était un bébé glouton, qui grandissait vite. Il ne supportait pas qu’on le mette à l’écart, il voulait participer à tout. Alors, elle l’emmenait souvent sur son dos…Ce n’était pas toujours facile avec son travail mais elle le mettait dans le bureau et tout le monde le connaissait, les enfants jouaient avec lui. Innocent en était très fier ! Lui aussi le prenait avec lui souvent. Dans ses bras, Léon paraissait si petit ! Ils s’étaient un peu disputés pour le prénom mais elle n’avait pas cédé : c’était sa façon à elle de ne pas oublier Léontine ! Et puis, ils auraient d’autres enfants ! « Ne t’inquiète pas, Aude, nous allons bien ! Tout est calme actuellement. Innocent travaille beaucoup, dis à Pierre qu’il a écouté ses leçons ! Il s’est mis en tête d’aider tous les villages alentour pour qu’ils aient aussi leur école et leur dispensaire. Et ça marche parce qu’il sait leur parler ! Alors, on met de l’argent de côté pour venir vous voir. Innocent répète sans cesse que Léon doit devenir un garçon instruit, qu’il doit connaître la France, mais moi, je sais bien que son rêve est d’aller voir la Tour Eiffel ! Dis-moi, est-ce que les enfants ont le droit d’y monter ? » Elle termina sa lettre en les embrassant tous et en lui demandant si elle avait des nouvelles d’Espérance qui n’était plus au village… Innocent venait de rentrer, il avait faim ! Elle cacheta l’enveloppe, lui demandant s’il allait à la ville pour poster le courrier. Il lui répondit qu’il irait le lendemain pour récupérer les médicaments qui venaient d’arriver et tout le matériel qu’il avait commandé. Il en profiterait pour rendre visite à ses frères, dans leurs collèges. Ainsi, sa mère serait rassurée. Claudine aimait bien la maman d’Innocent. Elle allait chaque semaine passer un moment avec elle… Elle ne pouvait plus travailler aux champs, c’était trop pénible, alors elle cuisinait pour les habitants du village et ses plats étaient délicieux ! Pour Léon, elle faisait des bouillies dont elle seule avait le secret. Le petit en raffolait ! Innocent avait dit que la naissance de cet enfant avait provoqué chez elle un torrent de larmes… Sans doute toutes celles qu’elle avait retenues depuis des années…