dimanche 31 juillet 2011

623 : samedi 30 juillet 2011

Le jour où la lettre arriva, il paressait. Les mauresques, rythmant les heures et épanchant sa soif, tombant les voiles et maintenant ses sens alertes, se succédaient. Le soleil était au zénith lorsque le messager se fit annoncer. La lettre D devait être au cœur du prochain opus. Après une nuit de conseil, après avoir pris langue avec sa muse, sa conviction était faite : il entrait dans le jeu. Ensemble ils avaient arrêté la liste des mots. Seul il les agencerait. Elle attendit trois jours. Voici comment il la surprit : « De profundis. Dimanche, Diane Dévoreuse, dans un demi-sommeil, déambule dans le dédale des décombres. A la duègne, à demi-mots, elle dit sa déconvenue. Diaphane, sur le divan du donjon, la donzelle dormante en djellaba décolletée a dilapidé avec dextérité le divin daïquiri de la dame-jeanne des Danaïdes. Dores et déjà, dans la décadence du dégrisement, elle défaille. Elle déplore doucement la déliquescence de la déchirure dérisoire. Depuis, désespérance. Dare-dare dans sa datcha, Diabolo Dunette, son délicieux don juan discourtois dubitatif, docker dominicain dreyfusard en duffle-coat, donna, dans un demi-soupir et les dominos, dans le donquichottisme. Il la dévisagea, discutaillant. Dealer sans divergence, devin dionysiaque, il détrempait, en diagonale et à la dérobade, sa défroque ; décomprima avec désinvolture un doigtier dépilatoire dilatable ; distendit le diaphragme décagone et la dragone décapole. Sans dessiccation ni disculpation, ni distinguo. Draconien. Sous le drap, domicile durcisseur dorien, le démiurge deltaïque en dragonnade débucha la daine et la dryade. Il démoucheta. Dopamine et dynamite. Diluvium. Il désappointa la défileuse à dot qui dénubila. Il s'en désemparait. Dommage. Dehors, sur les dos-d’âne déhiscents, dans la doucette, la dame de onze heures et les doryphores, drolatiques, le dingo dolichocéphale et le daman démoniaque double-cliquaient sur le didjeridoo, au diapason. Dixit la douairière dolomite, dyspeptique, dizygote et dramaturge drastique : “Désormais, le dévergondage et la diablerie dissolue dévastent la dolce vita."


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Rencontre XXVI Le commissaire s’amusait beaucoup. Depuis une demi-heure, il observait le couple assis face à lui. Ils étaient arrivés l’un après l’autre et leur stupéfaction de se retrouver dans son petit bureau ne lui avait pas échappé. « Dites-moi, à quoi jouez-vous ? Je suis un homme très occupé. Pourquoi avoir pris chacun un rendez-vous ? », leur avait-il demandé. La jeune femme avait paru ennuyée mais son compagnon semblait très troublé. Qu’est-ce que cela signifiait ? Il leur proposa de les recevoir chacun séparément. Tous deux répondirent que ce n’était pas nécessaire. Aude prit la parole la première et, face à Mathieu éberlué, exposa sa requête : « Je veux porter plainte contre mon ancien compagnon, afin qu’il cesse de me harceler. » Elle tendit une enveloppe au commissaire. Celui-ci en examina attentivement le contenu et soupira. « Je vais être franc avec vous ! Manifestement, on ne vous a pas tenue au courant du déroulement de l’enquête ! Ce François G. est dans mon collimateur. Je le fais suivre par mes services. Jusqu’à présent, nous n’avons rien noté d’anormal. Si ce n’est que c’est sa voiture qui vous a emboutie…Vous ne le saviez pas ? Rassurez-vous, il n’était pas au volant ! Nous n’avons jamais retrouvé le conducteur. Cela arrive souvent. Il était à Rome quand vous avez eu votre accident, nous avons vérifié. Pour un colloque, enfin, une rencontre d’écrivains… Sans-doute ne se remet-il pas de votre rupture. Vous savez, les artistes, ils sont toujours un peu à fleur de peau… Nous avons trouvé ces photos dans la boîte à gants de sa voiture », dit-il en gratifiant Mathieu d’un long regard appuyé. Aude jeta machinalement un œil sur celles-ci : toutes avaient été prises dans son petit appartement parisien. Elle frissonna, plongea son regard dans celui du commissaire et lui expliqua posément qu’elle ne voulait plus jamais avoir à faire à cet individu, qu’il devait la laisser tranquille et qu’elle ne voulait plus entendre parler de son accident. Elle allait bien maintenant, pourvu qu’il accède à sa requête. Il lui promit de convoquer François et lui donner l’ordre de cesser ses agissements. Mathieu, très pâle, se leva en demandant s’il pouvait assister à l’entretien. « Certainement pas ! Je n’ai rien à l’encontre de ce jeune homme ! Juste la plainte de votre compagne, quelques photos et un message d’amoureux éconduit ! La loi ne m’autorise pas à l’interroger. Je vais juste le sermonner un peu. Allons, soyez raisonnable ! Vous êtes jeunes, tirez un trait sur tout ça. De toute façon, si je découvre quelque chose, je vous tiendrai au courant. Et vous, vous avez ma carte ! » Il leur serra la main et les mit gentiment à la porte. Dehors, Aude prit le bras de Mathieu et l’entraîna au café le plus proche. « Tout cela n’a plus d’importance, c’est fini. Je veux vivre, Mathieu ! Je t’aime ! Nous avons tant de choses à faire ! S’il te plaît, laisse tomber ! », lui dit-elle doucement. Elle le remercia aussi pour sa délicatesse, le fait qu’il se soit fait autant de souci sans lui en parler l’avait émue. Mathieu l’attira contre lui. Il était soulagé qu’elle réagisse ainsi. Ils passèrent le reste de la matinée à flâner sur les quais. Mathieu était pris l’après-midi, son ami Grégoire voulait travailler ses sonates avec lui. Aude décida d’aller courir les libraires. Ils se retrouveraient le soir, à la gare… Le petit recueil était dans toutes les devantures ! « Regain», par François G. Une petite maison d’édition qu’Aude ne connaissait pas. Elle entra chez son libraire favori, attrapa le livre et se mit à lire. Si elle retrouva ses thèmes favoris, elle constata que le style de François avait changé. Plus légers, beaucoup moins torturés, ses poèmes se lisaient facilement. Le dernier lui était dédié. Curieusement, elle en fut presque heureuse.


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Cette journée est passée si vite, Sophie regarde par-dessus son épaule sans comprendre. Ce matin elle cirait ses chaussures blanches avec application, dans la joie et l'angoisse des moments à venir. Et ce soir, elle arrache les épingles de son chignon avec frénésie, n'ayant d'autre hâte que de trouver un sommeil réparateur. On l'avait prévenue... Le jour de son mariage, tout le monde en profite. La mariée, elle, doit attendre d'avoir les photos de l'événement pour comprendre ce qu'il s'est passé.

samedi 30 juillet 2011

622 : vendredi 29 juillet 2011

Les Préférides préfèrent tout. Le pire, le meilleur, l’ordinaire. Ainsi, les pommes blettes, les symphonies de Mahler, les titres de transport piétinés, les enfants persifleurs, les vieillards flageolants, les amants attentifs, la pluie, le beau temps, les mots imprononçables sont pareillement source d’extase pour une Préféride bien née. Elles ont des yeux très bleus et elles meurent très jeunes.


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Farigoule Bastard est objet de transition, ou moyeu, ou vérin. / Moyeu, qui porte et élance / Vérin, qui gagne d'une chambre l'autre. / Dès le début il a fallu négocier. Ce n'est pas qu'un concept comme l'autre. / En observant de près, on y décèle de petites surfaces, spongieuses, râpeuses, de celles qui accrochent les tissus puis ne lâchent plus, de celles qui abritent des microfaunes herrisées, des levures fuligineuses, de minuscules trafics monocellulaires, des bains, des bouillons. / De plus loin, c'est un homme, une contradiction, une ombre. Levé plus que debout, maladroit, malhabile, mais disposé, décidé, comme si de boiter entraînait plus loin, comme si carcasse (salut) douloureuse ou chétive permettait effort supplémentaire et plus dégourdi. / Voilà, on bâtit sur la marne bleue, ou la roche blanche, rutilante. L'une éboule continuelle. L'autre infrangible, contre rien ne force (ni rien contre). On n'en sort pas. / Les catalogues ne présentent plus la référence, il n'y a guère qu'au garage d'Albion qu'on trouve tel type de visserie, pas fin/embase crantée. / N'était la lumière, les rideaux tombaient, de la saison à venir. / C'est la membrane squarrieuse de la parole, celle dont la prise se trouve en l'autre. / C'est Stationnement interdit Danger Risque d'effondrement. / Farigoule habite ces hameaux oubliés du temps. Lui-même. Sa journée est strictement empesée, et dans les recoins de sa mansarde, il n'y a de place que pour l'outil. Il estime à vue, c'est une qualité. Son paysage est montueux, peu virulent. Il laisse ça à plus loin. Il appartient au contingent des cinq à l'année de la commune, qui fait 1500 hectares. En ces conditions on conçoit que la parole pauvre. Il y a peu • de véhicule. Il y a • pas d'enfant. Agir y est toujours effort bataille épreuve. Vivre, en somme, du temps. / La ferme plus proche est à 3km et celle de Farigoule Bastard la dernière. Un jour reçoit Farigoule un télégramme (le facteur ne passe guère, il rassemble pour le village d'Ize à la semaine, ça fait jour plein de chemins). M. Bastard stop Restrospective annoncée stop suite Avignon collection Lambon. / Alors se tournent les attentions et le récit sur Farigoule Bastard. Jusque là évoqué seulement dans une revue d'épargne agricole et un journal local qui avait fait dossier Lavande : futur or bleu ? / Lorsque les ombres se détachent, se détachent des bruits autour. / Mécanique, dynamique, plastique, c'est. / Courroie de distribution, je le vois flotter en l'air et tournoyer, aussi rapport des arbres, transmission, transformation. Je le vois machiner. / Engrenage Bastard. / Dilue l'effort. / Démarre. / Avance, allez, avance, et accélère.


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Allison éleva ses bras en chantonnant jusqu'à trouver une pomme. Je la vois encore sous ce pommier, ses longs cheveux dorés dénoués et ondulant sur ses épaules... Son accent anglais décoraient ses mots avec bonne humeur et le jeune homme encore innocent que j'étais la dévorait des yeux sans oser l'approcher. Elle croqua la pomme avec délice en me lançant un regard espiègle. "Tu en veux ?" Les yeux dans les yeux, je croquais dans son fruit pour la première fois avec délectation.



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Au bord de la nationale, je lève le pouce, le soleil cognait. Une DS ralentit et se met sur le coté. Un nabot me fait signe de monter, des scoubidous à son rétroviseur. Ma première impression, un truc poisseux se dégage de lui, comme si jouir d'un cerveau complet n'entrait pas dans ses options. L'ennui personnifié qui ignore le mot révolution et schlingue l'eau de Cologne Saint Michel. Possible peut-être en tirer un truc. En même temps, un air d'eau qui dort, me demande si ça cache pas une taupe. Ma pomme déballe à ce petit-bourgeois, ennemi des dépassements de vitesses, des anecdotes aux petits oignons sur ma vie. Moi, je fais passer l'agressivité des blousons noirs sur le plan des idées. Et de l'action. Jamais voulu bosser, ça s'exprime naturellement à travers un comportement anti-système destructif, qui, dans un premier temps, se traduit par le fait de descendre quelques verres entre potes. Ne pas faire comme mes vieux, ne pas passer à côté de ma vie. A la tchatche, je tâte le terrain un peu: son turbin, sa meuf, sa turne, ses chiards, son pèze, et teste sur ce crétin quelques concepts qui se brisent comme du verre sur le bunker de sa connerie. Entre autres : l'agressivité c'est le pôle négatif de l'aliénation, l'action du manque, le non-jouir. Et que dans un univers où le succès est de gagner du temps, penser n'a qu'un défaut, celui d'en faire perdre. Et aussi tous les intellectuels de gauche aux mains propres n'ont jamais compris qu'on pouvait jouir en buvant le foutre du capital. En réponse, il met une cassette des Stone, il se croit dans le vent ! Je m'en contrefous de sa daube produite par le système, cette musique calibrée pour effacer l'ennui dans un Prisunic ennemi. Ce ringard a envie de profiter de la capitale, il en a marre de toujours vouloir gagner du temps, il parle vaguement d'ennemis qui lui pomperaient l'air. Je vais le trainer dans un endroit où ça bouge, lui promettant qu'il ne serait pas déçu, ça sera un pas vers sa révolution. Au comptoir des bière. Il a envie de se laisser pousser les cheveux, mais à son travail, ce serait une révolution mal vue. Encore un verre. Il voudrait faire le tour du monde une année, sans savoir quand. Il déteste le Ricard, ennemi de son tube digestif, il ne peut le dire qu'à des inconnus comme moi. On bouge. Quand il marche, une bulle se forme autour de lui. Il regarde les gens comme dans un zoo. Il tient mieux l'alcool que moi. Il a enlève sa cravate en nylon pour jouir de l'ambiance. Il trouve que c'est plus facile pour les jeunes d'aujourd'hui et que son hot-dog suinte l'ennui. Il exige triple dose de moutarde. Il avait envie de plaquer sa femme pendant chaque vacances de Pacques, puis de ne plus changer leur système conjugal après. Ca lui arrive d'arrêter de bouger, lézard immobile pendant cinq minutes, ça me met mal à l'aise comme si un Shérif ennemi entrait dans un saloon. Ce soir à Paname, à cause d'un concert, on avait prévu un plan, avec tout un système de relais entre mes potes, fallait se retrouver vers 20h. A la fête, en apercevant le chapiteau, ce mec à la manque sourit en transpirant dans son costume en polyester. Il me paye des verres, il garde un gros attaché-case en bandoulière. Est-ce que je pourrais lui chouraver ? C'est l'exemple parfait de la pègre réformiste, il a une sacrée descente, je me suis déjà dépatouillé d'autres blaireaux dans ce genre anti-jouir. Derrière son air nonchalant, je renifle une couille qui me refroidit la moelle. Un sacré coup dans le pif, je continue à faire le derche, il raconte des histoires de blaireaux avec des jeux de mots à deux francs, drôles quand même. Ca lui dit bien d'essayer le hach, la révolution des sens, du pétard et plus de verre. Tenter un nouveau truc contre l'ennui de sa vie. Il est pas clair. J'ai rien sur moi. Ses yeux déjà rougis il reste calme, je le lâche. On goupille des trucs avec d'autres zèbres, on a trouvé un bon système. Je retombe sur lui plus tard, col de chemise ouvert, il paye des coups à droite, à gauche, révolution pour son porte-feuille. Je lui montre un pétard que Dom a préparé spécialement, tiens on m'a fourgué du bon, on va faire un tour loin de ce coin où l'on pourrait avoir des ennuis. Il oscille d'une jambe sur l'autre. Je réalise que j'ai plus une thune pour un nouveau verre ou finir le mois. Il demande si j'ai des copines à lui présenter. Pas de problème je fais, d'abord jouir du moment, la fumette. On va près du canal, allez, viens, grouille, tu vas voir, c'est super, il aspire une taffe en me regardant en dessous, des yeux injectés de sang, mais pourtant attentifs. Un regard ennemi qui efface l'ennui d'être avec lui. Alerte. Mon trouillomètre se réveille dare-dare. L'agressivité est devenue l'oeuvre qui manque aux masses, mais pas à ma pomme. Concentré, je vise, emplafonne l'ennemi dans le buffet. Il vacille comme un verre posé en déséquilibre sur le bord d'un zinc, je tire son attache-case. Je décampe au plus vite, il patauge dans le canal, je courre en glissant, me casse la gueule à moitié. Il criait qu'il va me massacrer, que j'ai aucune chance de m'en sortir, jamais. Quand j'ai ouvert l'attaché-case, derrière ses papiers et ses dossiers, j'ai trouvé un drôle de double fond, un système compliqué, quatre flacons remplis d'un liquide jaune. J'ai pensé à du formol. Y avait des embryons qui nageaient. Ca a fait la révolution dans mon bide. J'ai vomi.



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Rencontre XXV L’hiver était là. Mathieu avait laissé Aude chez elle puis avait aussitôt pris le train pour Paris. On l’attendait, les musiciens s’impatientaient. Aude avait réinvesti sa maison. Le froid l’avait saisie dès l’arrivée. Devant un bon feu, Pantoufle sur ses genoux, elle triait le courrier qui s’était accumulé dans sa boîte aux lettres : factures, lettres plutôt élogieuses de ses lecteurs, journaux… et cette enveloppe qu’elle ne se décidait pas à ouvrir. Elle avait aussitôt reconnu l’écriture tourmentée de François. Sa première réaction fut de la jeter au feu. Puis elle s’était ravisée, fermement décidée à mettre un terme définitif à ce cauchemar. Heureusement, Mathieu n’avait rien vu ! Lentement, elle décacheta l’enveloppe. À l’intérieur, elle trouva une photo d’elle prise au bord de la mer, avec un message au dos : « À quoi rêves-tu, ma belle ? » Trois poèmes écrits à la main : elle ne les lut pas. Enfin, enfermés dans un papier de soie, trois brins de myosotis, ses fleurs préférées : « Pour toi avec toute ma tendresse. Reviens-moi vite ! » Elle replia le tout calmement. Elle se sentait détachée, loin de ce gâchis, si loin ! Comme si toute une partie de sa vie avait été gommée ! Tout cela n’avait plus d’importance. Pour elle, François n’existait plus. Elle avait suffisamment analysé les comportements humains pour savoir qu’il ne la lâcherait pas. Mais elle avait retrouvé toutes ses facultés et c’est avec détermination qu’elle composa le numéro du commissariat. Elle se battrait jusqu’au bout ! Le jeune homme qui lui répondit lui fixa un rendez-vous pour la semaine suivante : lecommissaire était en congés. Elle replia le courrier, le rangea soigneusement dans un dossier. « Toujours regarder devant soi » répétait inlassablement Innocent. C’est ce qu’elle allait faire. Elle s’était égarée un temps mais le chemin qui se dessinait devant elle était lumineux. Celui-là, elle ne le quitterait pas ! Elle secoua ses cheveux, attrapa son gros cahier et décida de trier ses notes. Elle se replongea dans l’Afrique… Mathieu l’appela beaucoup plus tard. Elle ne lui dit rien si ce n’est qu’elle le rejoindrait à Paris en fin de semaine. « Je dois voir mon éditeur » Il fut à la fois surpris et heureux. Il avait un nouveau contrat, il devrait aller en Suisse. « Si tu veux, nous pourrons faire du ski. Je t’aime, ma petite étoile ! Prends bien soin de toi ! » Aude raccrocha la première. Ainsi, elle allait à nouveau voyager ! C’était parfait ! Mais auparavant, elle allait clarifier la situation. Afin de n’avoir aucune zone d’ombre sur son chemin. Elle raconterait tout à Mathieu ensuite. Il fallait qu’il ait l’esprit libre de tout tracas pour pouvoir composer. Une bouffée de tendresse lui envahit le cœur. Elle voulait un enfant, très vite ! Il n’avait pas dit non…

vendredi 29 juillet 2011

621 : jeudi 28 juillet 2011

J'ai rêvé de cette lanterne – j'ai rêvé qu'elle éclairait le hall de cette grande maison qui serait mienne, et je le saurais en y arrivant enfin après longues marches et rudes peines - j'ai rêvé que nous la regardions, faisions la moue, échangions sourires ironiques, passions – j'ai rêvé qu'elle éclairait l'entrée de cette maison où habitait ma petite amie trop riche, et en la voyant je me disais que ne pourrai l'inviter chez moi, et puis je faisais une révérence à sa mère, la voyait surprise, m'en étonnais, n'étais plus intimidée – j'ai rêvé que j'étais paralysée, ou tétanisée, ou que j'obéissais à une injonction de ne pas bouger, là, sous elle, et que je la regardais se balancer pendant que le sol dansait – je n'ai pas rêvé de cette lanterne.



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Rencontre XXIV Une semaine plus tard, Tristan et Ondine virent le jour. La nuit avait été longue pour Lucie mais tout s’était bien passé. Antoine était heureux d’avoir mis au monde les enfants de sa sœur : des jumeaux ! Tristan était un bébé fin et long, avec les yeux de son père. Ondine, plus petite et plus ronde, avait le visage de sa mère. Tous deux allaient très bien. Aude n’avait pas quitté Lucie. La présence extraordinaire de ces deux tout petits l’avait plongée dans une exaltation intense. Son énergie permit à Lucie de se reposer quelques jours. Aude gérait tout, sans jamais accuser sa fatigue. Mathieu n’en croyait pas ses yeux ! Son frère l’avait réveillé au petit matin, lui annonçant la naissance de ses deux enfants : il pleurait de joie ! Pierre était père, cela le troublait beaucoup. Il observait l’extrême délicatesse avec laquelle il les prenait dans ses bras, la façon dont il leur murmurait de petits mots tendres, la douceur dont il faisait preuve ! En serait-il capable un jour ? Jusqu’à présent, il n’avait pas osé les toucher. Ils lui paraissaient si fragiles ! Aude riait de ses hésitations… Elle ne cessait de l’étonner : sa vitalité retrouvée, elle riait sans cesse, accomplissait joyeusement toutes les tâches nécessaires ; elle notait avec sérieux sur un petit carnet de mystérieuses phrases. C’était, disait-elle, pour plus tard, cela lui serait utile ! Elle passait beaucoup de temps avec Lucie. Depuis quelques jours, celle-ci s’était remise à peindre. Mathieu se dit alors qu’il était temps de rentrer. Lorsqu’ils quittèrent le village, tous les enfants se mirent à courir derrière la voiture. Pierre et Lucie, chacun un bébé dans les bras, étaient dans le champ devant la maison. Au moment de partir, Pierre l’avait étreint de toutes ses forces, lui demandant de le tenir au courant. « Je sais que tu es soucieux, fais-moi signe si tu as besoin de moi ! Je comprends ton silence mais je ne suis pas dupe ! » Mathieu avait juré de l’appeler bientôt. C’est Innocent qui les amena à l’aéroport, accompagné de Claudine, la « petite fée », comme l’appelait Aude. C’était une toute jeune fille qui n’avait pas quitté Aude tout au long de son séjour. Elle était orpheline. Elle lui avait confié son histoire, ou tout au moins ce qu’elle en savait. Aude avait promis qu’elle en ferait un livre. Claudine avait travaillé son français en suivant les conseils de sa nouvelle amie. Elle voulait être infirmière pour « soigner les enfants avec monsieur Antoine ! » Aude lui avait laissé tous ses livres en partant. A l’aéroport, Innocent les embrassa et leur recommanda de prendre soin d’eux. Il glissa une enveloppe dans la poche de Mathieu. « Pierre m’a demandé de vous la remettre ici. » Puis il s’éloigna en gesticulant, non sans leur avoir fait promettre de lui envoyer une carte de Paris avec la tour Eiffel. Dans l’avion, Aude montra à Mathieu un grand cahier dans lequel elle avait collecté des histoires, des témoignages, des récits de femmes, d’enfants, des pages et des pages pour son prochain livre. Lucie avait promis de l’illustrer. « Nous retournerons là-bas bientôt ! » Mathieu ne répondit pas et fit semblant de dormir. Il serrait dans sa main l’enveloppe cachée dans sa poche.



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J'ai senti l'oppression du passé de maman resurgir et me menacer. Ce fut par des intonations , des regards, des gestes esquissés... Qui se muèrent en questions et conseils entrecoupés de silences et d'inquiétudes.

jeudi 28 juillet 2011

620 : mercredi 27 juillet 2011

Les Samoyards ne sont pas des rustres, pour autant qu’on sache leur en donner l’occasion. Encore faut-il s’y atteler avec une certaine vigilance. Car un bonjour prononcé avec l’accent alsacien, un col froissé qui dépasse du veston, une haleine anisée ou un léger crachin (qu’ils vous attribuent sans hésiter), et les voilà sortis de leurs gonds. Ce qui advient alors ? Il est plus utile de le craindre que supportable de l’entendre. Après quoi ils repartent, la gencive pendante et le cœur léger, vers leurs occupations citoyennes.


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Rencontre XXIII Pierre fit signe à Mathieu d’approcher tout doucement. La petite école de N. résonnait de voix et de rires d’enfants. On apercevait Fatou qui se démenait dans la seule classe regroupant tous les âges. La plus jeune avait cinq ans et le plus âgé avait seize ans : il devait préparer son examen pour l’entrée au lycée, à la ville. Mathieu se pencha et aperçut Aude, un peu à l’écart, au milieu d’un groupe de très jeunes enfants auxquels elle racontait des histoires. Elle était radieuse. Mathieu n’en revenait pas ! Elle avait opté pour la tenue des femmes africaines : un boubou coloré, dans les tons de bleu. Les cheveux tressés très serrés sur la tête, un très joli collier de fines perles foncées autour du cou, elle racontait, gestuelle à l’appui, comment le léopard parvenait à déjouer les ruses du serpent. Les petits poussaient de petits cris et se pressaient contre elle. Mathieu en eut les larmes aux yeux. Bon sang ! Qu’elle était belle ! Son visage avait perdu sa pâleur, elle respirait la joie de vivre ! Lorsque les enfants se levèrent, il s’approcha d’elle. Elle lâcha son livre et toute la classe fut témoin de leur long baiser. Le soir même, ce fut la fête au village. Les femmes avaient préparé toutes sortes de plats succulents, les jeunes filles dansaient. Mathieu s’était joint aux musiciens et improvisait avec sa flûte. Aude dansait avec les enfants. Lucie suivait du regard Antoine qui semblait heureux et détendu auprès d’une belle jeune femme nommée Espérance. La soirée était délicieuse ! Toutefois, Lucie se sentait très fatiguée. Depuis plusieurs jours, elle avait du mal à marcher et n’avait pas pu continuer l’atelier avec les enfants. La fresque attendrait… C’était pour bientôt, elle le sentait. Tout était prêt : Antoine avait pensé à tout et l’avait rassurée. Elle leva les yeux et croisa le regard de Pierre. Il était épuisé. Elle lui fit un petit signe et tous deux s’éclipsèrent jusqu’à leur petite maison. Beaucoup plus tard, quand les tambours s’étaient tus, elle entendit Mathieu et Aude rentrer. C’est avec un grand sourire qu’elle s’endormit. Cette nuit-là, les chuchotements durèrent longtemps. Deux êtres se retrouvant après un cataclysme… Mathieu était ému de la métamorphose de celle qu’il tenait dans ses bras. Elle ne s’arrêtait plus de lui raconter son retour à la vie. Il décida de taire tout ce qu’il avait appris. Elle ne parlait plus de l’accident, elle ne lui posait aucune question. C’était mieux ainsi. Lui seul s’en préoccuperait, quand il reviendrait. Lucie lui avait imposé le silence. « Elle construit son présent, elle renait, elle est comme un petit animal qui se met sur ses pattes pour la première fois et qui découvre son environnement, elle reste fragile mais sa détermination revient. Sais-tu qu’elle écrit des contes ? Tu devrais les lire, ils sont magnifiques ! » Mathieu n’avait pas besoin qu’on le persuade. Celle qu’il avait devant lui était vibrante de désir, elle lui clamait son amour sans retenue. Comme si elle avait brisé sa cage de verre. Elle se blottit contre lui, lui chuchotant, pour la première fois, son désir d’enfant.


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Tu trouvais un réconfort à sentir le vent claquer contre ton visage, emmêlant tes cheveux dans le crachin permanent et faisant pleurer tes yeux de fatigue et de froid.

mercredi 27 juillet 2011

619 : mardi 26 juillet 2011

Elle s'est enfermée depuis trois jours et elle ne sait plus. Le jour, la nuit, cela n'a plis d'importance. Elle se nourrit des reste dans le frigo, d'alcool et de cigarettes surtout. Dans les toilettes, elle se hausse sur la pointe des pieds pour exhaler par la lucarne : l'odeur du tabac froid l'écœure. Enfin, le téléphone sonne. Elle laisse sans répondre puis se précipite sur la messagerie, ouvre les fenêtres à grand fracas, saute sous la douche en avalant une tartine. Ces quelques mots ont suffi, sa vie peut reprendre.

mardi 26 juillet 2011

618 : lundi 25 juillet 2011

Elle rentrait sa peine depuis quatre jours déjà, quatre jours d'absence, de silence de manque. Quatre jours nécessaires, et s'il fallait quatre mois alors soit. Le temps n'existe pas quand on aime. Elle continue à avancer coûte que coûte, les larmes au bord et le cœur en vrac, l'espoir tapit au fond et la résignation, aussi, que son avenir puisse ne pas être. Il a suffit de quelques lignes pour qu'elle se penche en avant et vomisse les larmes qui se refusaient à elle. Maintenant le temps toujours inexistant lui apporte la sérénités nécessaire à l'attente.

lundi 25 juillet 2011

617 : dimanche 24 juillet 2011

je voudrais ne pas avoir fait ce rêve d'un noir plus profond que la nuit, absolu, et des soudaines lignes argent ou blanches qui l'ont strié, mon cœur s'emballant d'une liesse inconnue à la suite de mes yeux – la variété délicieuse des formes, leur dynamisme – et à leur suite une évasion éperdue, avant la chute, tremblante, un goût de fer dans la bouche, dans le réveil.


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Je pédalerai lentement. Avec peine, je parviendrai au séchoir du village, une hutte de bois garnie de claies. Une à une, je saisirai les noix de la remorque et je les empilerai sur le sol. Le lendemain, je reviendrai les fendre, pour les mettre à sécher sur les claies.


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Rencontre XXII Quand Aude refit surface, elle ne comprit pas où elle se trouvait. Une femme en uniforme la regardait, l'air inquiet. "Vous sentez-vous mieux ? Nous avons appelé un médecin. Ce sont les turbulences ! Si vous n'êtes pas habituée, c'est normal, ça perturbe !", dit-elle avec sollicitude. Aude se releva et lui demanda s'il y avait d'autres cabines. "Ah, vous voulez changer de place ?" "Oui, c'est cela, je préfèrerais un coin où me reposer, un peu éloigné des autres passagers." "Bien sûr, madame ! Il est certain qu'il faut que vous dormiez, le voyage est long !" Le médecin l'ausculta et diagnostiqua une tension trop basse. Elle allait boire quelque chose de chaud, cela irait mieux après. On la conduisit dans un tout petit recoin privé, il y avait une couchette où elle put s'allonger. L'hôtesse tira les rideaux et la laissa seule. Aude put se détendre un peu. Ici, il n'irait pas la chercher! Il n'oserait pas, l'hôtesse l'en empêcherait ! Que faisait-il là ? L'avait-il vue ? Etait-ce un hasard ? Pourquoi cet acharnement à la poursuivre ? Elle appela l'hôtesse et lui demanda si elle pouvait passer un message à son compagnon. "Ça va être difficile mais du fait que vous n'êtes pas très bien, le commandant acceptera peut-être. "Appelle Pierre et Lucie, François est dans l'avion !" Elle donna le numéro de Mathieu et le message fut envoyé. Le steward revint le lui confirmer. Elle l'étonna en lui demandant si elle pouvait descendre de l'avion en dernier, à l'arrivée. Il perçut aussitôt sa peur. Il la rassura : "Ne vous inquiétez pas, je descendrai avec vous. Ainsi, vous ne serez pas seule. Reposez-vous, maintenant !" À l'atterrissage, tout alla très vite. Elle attendit que tous les passagers soient sortis pour suivre le steward. Elle le remercia d'un généreux pourboire qu'il refusa. Lucie lui tendit les bras, Pierre la prit par les épaules et l'embrassa sur les deux joues. Puis il alla chercher ses bagages. "Qu'est-ce que c'est que cette histoire ?" s'écria Lucie. "Nous avons observé chaque passager : aucun ne ressemblait à François ! Es-tu certaine de ne pas t'être trompée ? Tu nous a fait une de ces peurs !" Lucie était belle à croquer ! Elle avait laissé pousser ses cheveux, cela lui allait bien. Son beau ventre rond attendrit Aude qui posa ses mains dessus et fondit en larmes. Pierre et Lucie se regardèrent et l'entraînèrent dans un véhicule flambant neuf mais couvert de poussière. "C’est ma nouvelle acquisition, tu comprends, il fallait que je puisse les conduire tous les trois avec précaution !", dit-il joyeusement. A l'arrière, rassurée, Aude écarquillait les yeux. La chaleur lui avait sauté au visage... Elle était en Afrique! Une vague de joie la submergea. Elle se sentit en sécurité. Son cerveau malade lui avait-il joué un tour ? Elle voulait s'en convaincre ! Elle en avait assez de cette impression permanente d'être en sursis. Ici, elle guérirait ! Elle chasserait l'image qu'elle avait dans sa tête, toujours la même ! Elle se voyait tendre les bras à une autre femme qui n'était autre qu'elle-même ! Cela la rendait folle !


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Comme tous les jours, leur dispute se prolonge jusque tard dans la nuit. A force de vin, leur diction s'invente de nouveaux accents, leurs propos sont ponctués par des tintements de casseroles et de tiroirs. Enfin la réconciliation les fait basculer dans les plumes et les cris outragés laissent place à des râles outrageants. Les voisins soupirent. Vivement la fin de l'été, qu'ils ferment leurs fenêtres...

dimanche 24 juillet 2011

616 : samedi 23 juillet 2011

Qu'un homme puisse lui dire ainsi qu'il la quitte parce qu'il l'aime lui parait aussi insensé qu'incongru, qu'on l'aime certes mais qu'on la quitte non, elle ne sait si elle doit en rire ou se vexer, le prier de vider les lieux ou le supplier de rester. Elle a l'habitude de dicter ses règles. Finalement elle réalise que c'est en le laissant partir qu'elle prendra le risque qu'il revienne, mais pour cela encore lui faut-il accepter d'avance qu'il puisse choisir de rester au loin. Elle raccroche le tchat et éteint l'ordinateur, secoue sa tête, agacée et énervée, ses cheveux courts et sombres luisent sous les lumières en veille. Elle s'étire, s'enveloppe dans ses draps à en faire des nœuds et cherche en vain le sommeil.

samedi 23 juillet 2011

615 : vendredi 22 juillet 2011

Dernière sortie, fin. Le chasseur épaule son Simplex à double canon, vise et tire. Dans l'air confiné du musée de cire, sa seconde balle trace un couloir horizontal et percute une face livide, l'explose. Mais cela n'interrompt pas la progression du monstre. Désormais sans tête, il marche suivi par un troupeau de congénères, comme attaché par un lien invisible dans une ultime illusion grégaire. Inquiet, le chasseur se terre dans la salle du 19ème siècle, se demandant quoi faire si supprimer la tête ne suffit pas. Il ne reste pas une foule d'options dans son manuel le parfait liquidateur de zombis. Arme sur l'épaule, attente immobile malgré une foule de fourmis dans les jambes. N'osant se gratter, l'homme espère ne pas avoir laisser de trace derrière lui, toujours possible qu'il reste un peu de terre sous ses grolles, le genre de détail qu'on n'a pas le temps de regretter. Un zombi surgit, s'approche, derrière des orbites sombres quelque chose d'éteint le dévisage, le face-à face est rude enfin la créature puante repart. Ouf, il a fait illusion. Il frémit, y aurait-il un quelconque lien entre lui et l'autre ? Passage à vide. Ça lui revient, oui bon sang, des liens se tissent dans ses galaxies d'informations. Il sait comment procéder, tout s'éclaircit dans son esprit, sa foule d'illusions anéanties. Les fourmis ont disparu, son cœur bat plus vite, requinqué il passe en mode opératoire furtif, celui qui laisse zéro trace. Il sort de la pièce, trois zombis le choppent et l'éparpillent sur le tapis écarlate. En une morsure de seconde, sa carcasse mise en pièce. Ca ne change pas la face de la terre, en tout cas pas tout de suite.


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Alors se rend Farigoule chez l'ami Picris. Picris loge dans une vieille masure, un peu à l'écart de la rue la plus excentrée depuis la fontaine • celle de la place. Sa maison n'en touche aucune autre. Elle est cernée de grandes herbes et l'été, c'est à peine qu'on parvient en son perron. Qui est une grande dalle constituée de pierres de Taulignan, levées, couchées, venues de loin, à pied. Les avoines et carottes s'écartent au pas de Farigoule Bastard, ainsi les laitues montées et piquantes. Il ne frappe pas, mais gratte un peu le bois charnu, desquamé de la porte, puis la pousse. Hé, lace-t-il en traversant la cuisine, qui est nue, propre. Picris est de l'autre côté, dans l'espace vague qu'il s'est constitué, d'herbes folles et d'arbustes glanés sur les collines, dont certains n'ont pas survécu au transfert ou au voyage. ”Alors prêt ?”, en voyant arriver l'autre. Farigoule hoche. Ils s'assoient comme à l'accoutumé des beaux jours, sous le tilleul qui ferme le terrain. Derrière une ligne d'aurioles, les paliures se sont parés des boucliers. Après les quelques pieds trop vieux de vigne, voilà la forêt qui ceint non seulement le territoire de Picris, mais tout le village et grande partie de la vallée. Mauvaise forêt de blaches qui ne grandissent pas mais embâclent quand même les va-et-vient — et recèle toutes les bêtes. Chacun extrait son petit cube de tabac gris, et c'est toujours un étonnement de le voir entier, solide, fermement cubique, alors que permanent serré dans les gilets, les gibecières, ou les mauvaises sacoches. Ils ne parlent guère, chacun plus minéral, mais entre eux c'est soudé, coopérant, compatissant. Syntone. "Tu as vu Celle ces jours ? — Non." (Silence de cigale, de martinets.) "Tu entraînes Sabrina ? — Oui." (A nouveau.) "Je prends un abricot. — Va." Lorsqu'il franchit la ligne végétale que les clôtures miment, les nuit glissent sur les serres et dans les combes. C'était leur séparation, qui s'est terminée au vin piquette. Âpre est le jour qui vient.


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Ce soudain silence dans sa vie la déconcerte. L'apaisement attendu se refuse à elle, les sens en alerte elle ne comprend pas. Elle se souvient de la cohue, du bruit, de l'énervement agacé qui devenait le sien, et pourtant aujourd'hui elle sombre dans le vertige assourdissant de l'inexistant. Il n'y a plus de cris, de portes qui claquent, plus de disputes, ce néant la glace elle ne parvient à s'y faire. Doucement, elle réapprend le manque.

vendredi 22 juillet 2011

614 : jeudi 21 juillet 2011

Le jour s'étire; et tu sais que viendra l'été. Il en émane une acuité que tu ne retrouves pas à d'autres moments de l'année. Une vacuité. Un calme aussi présent qu'impossible à définir. Ce qui te l'intime, ce qui t'y incline, ce ne sont pas tes souvenirs. Une forme de permanence. Tu t'y retrouves et tu t'y perds. Atmosphères de sommeil lourd et de veilles tranquilles. L'été tout semble éphémère - l'été tout entier fugacité... Va regarder à l'intérieur de l'été profond, l'été ciselé de plomb, avec ses sangles et ses aiguilles; tu es le calice qui s'en va recueillir l'élixir d'été; lueurs qui s'accrochent dans les yeux dans les cheveux, sueur qui scintille qui glisse qui s'insinue aussi en la brisure du coude, le creux du poignet, la surface bosselée de l'ongle du pouce, dans les plis du cou...

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L'été glisse d'un jour à l'autre, les ciels gris se succèdent et fondent sur la terre en averses fines et drues. Agnès lève les yeux de son ordinateur et soupire. Son regard se perd dehors à la rencontre d'un ciel dans le ciel, d'une superposition de gris passant de l'ombre à la lumière. Tout à coup, un vent se lève et le soleil illumine une pluie nouvelle, la lumière blanche irradie les toits sous l'obscurité entière de l'orage naissant. Agnès admire cette rencontre entre tout et son contraire, elle s'imprègne de cet instant immense avant de replonger le nez dans ses dossiers.

jeudi 21 juillet 2011

613 : mercredi 20 juillet 2011

Hélène trace des dessins à l'eau sur la table du café. Tous les dimanches matins, sa fourchette croise, décroise, ondule et rondule sur la surface noire. Le liquide transparent trace des sillons qui s'affinent avec la distance. Son geste rappelle les cours de dessins au collège et les exercices à la plume, qu'il fallait recharger d'encre noire si régulièrement. Hélène a une peau de pêche, une chevelure claire aussi ondulée que fournie. Parfois, son regard se tourne vers la vitre à la rencontre de la lumière, à la recherche d'un appel qu'elle aurait entendu. Elle n'attend rien, elle est. Je pourrais lui parler mais je la regarde en jetant des miettes de pains sur son œuvre. Elle peste un peu, me sourit. Nous commençons cette journée dans la tranquillité de son petit-déjeuner, et moi en face d'elle avec un simple café noir. Nous savourons ces instants, elle dans le silence, et moi dans la contemplation. Ensuite nos vies reprennent leurs cours, leurs courses, leurs fatigues parsemées de petites et grandes joies, et de tristesses aussi. Nous savons que nous nous retrouverons ainsi le dimanche suivant, et cet instant nous porte jusqu'au prochain.


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Ce qui nous tient alertes, vigilants, phase après phase ce qui à chaque instant nous tient en éveil, ce n'est pas l'attente, ce n'est pas l'absence, ce n'est pas l'inconnu, que celui-ci nous effraie ou non. Ce qui nous illumine, radical, vertige vertical, ce qui nous guide au travers des cycles, c'est la sensation de présence. C'est le ciel qui pèse de tout son poids sur nous.

mercredi 20 juillet 2011

612 : mardi 19 juillet 2011

C’était savoir chaque année identique à la précédente.

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Elle attend nerveusement en se limant les ongles. Le téléphone est installé sur son lit, le fil s'étend sur les couvertures, se glisse le long du tapis et tourne dans le couloir avant d'arriver à la prise du bureau dont elle a bien vérifié l'enclenchement. La lime s'affaire, une poussière blanche s'accumule sur ses mains et ses genoux. A quatorze ans, elle n'est pas encore autorisée à avoir un portable et doit se résoudre à cette surveillance vigilante. Kévin avait promis de l'appeler avant 17h00. Il est 16h45, elle est installée depuis 15 minutes, on ne sait jamais, s'il voulait l'appeler avant, il ne faudrait pas que ses parents répondent à sa place... Quelques minutes plus tard sa tête dodeline... Elle est réveillée à 18h00 par le son strident de la sonnerie, se jette sur le combiné et répond avec dépit : "Non, ce n'est pas la boucherie Sanzot".

mardi 19 juillet 2011

611 : lundi 18 juillet 2011

C’était se sentir prêt, juste après ce mail envoyé, et celui-ci, et ce coup de fil, et ce mot dit (qui aurait pu être omis) à la pause café. Considérer la journée du lendemain comme vide. Écrire de la doc comme aujourd’hui, penser au réglage du message automatique d’absence. Prolonger le déjeuner en terrasse avec apéro, entrée, plat, dessert, café, revenir lentement sur mes pas jusqu’au bâtiment bientôt oublié, ressentir le plaisir de quitter tout ça, encore une fois imaginer quitter tout pour toujours, mais alors imaginer tout perdre également et avoir peur de ça plus que de la mort.


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je rêvais - j'étais dans une rue, pleine de soleil, vide, bordée de voitures, carrosseries surannées, toutes en rondeurs douces, de couleurs délicieusement pastel, fondant vers le mauvais goût comme des bonbons industriels - j'étais dans cette rue, et je marchais en regardant devant moi, guettant la fin de ces coulées parallèles d'asphalte et de tôles acidulées - et j'étais en dehors, au dessus peut-être, autre part, en dehors en tout cas, oui c'est ça, me regardant regarder cette rue, sans me voir.


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Sophie entend des pas lourds dans l'escalier. Sa chambre est fermée à clé, elle se tient derrière son armoire un balais entre les mains. Dehors le vent siffle, les arbres se tordent et le ciel s'illumine avec rage et fracas. Sophie mord sa lèvre pour ne pas crier. Elle sent son cœur lui échapper tant il bat fort, elle se sent prisonnière de ces murs, qui sait si la serrure sera assez solide et si elle aura le courage de frapper l'intrus, son balai sera-t-il assez fort et s'il se casse, que faire? Les pas s'arrêtent, hésitent dans le couloir, une ombre se profile sous la porte. Alors qu'une bourrasque fait trembler la maison, la porte vole en éclat tandis que Sophie se réveille en hurlant dans son lit. Son mari arrête son bras juste à temps avant qu'elle ne puisse abattre sa lampe de chevet sur lui.

lundi 18 juillet 2011

610 : dimanche 17 juillet 2011

J'entasserai les noix dans la brouette, elle s'enlisera dans le sable, je tirerai sur les poignées pour la dégager. Avec beaucoup d'efforts, je déverserai son contenu dans la remorque attachée à mon vélo. Je me mettrai debout sur les pédales et j'essaierai d'avancer. Tout le monde y parviendra très bien, récoltera son secteur en un jour ou deux, alors qu'il me faudra la semaine.


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Georges ramène du saucisson de ses voyages, de différentes tailles et parfum. Tous les soirs il engouffre quelques tranches avec délectation en sifflant un petit rouge léger et vif, un Beaujolais souvent ou encore un Loiret. Sarah sa femme est végétarienne. Elle appréhende chacun de ses retours, se sachant ignorée, comme si supporter ce désagrément faisait partie du contrat de base et que quelque soit son mot à dire il ne serait écouté. Tous les soirs son mari vient se coucher contre elle en puant la viande morte, il l'enserre de ses bras en soufflant des mots enviné, elle se raidit alors dans un prétendu sommeil en attendant que sa réserve de saucisson s'épuise, et en priant pour qu'il reste plus longtemps, cette fois, avant de repartir.


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Rencontre XXI Dans l’avion, Aude avait choisi un siège près du hublot. Il faisait beau, avec quelques petits nuages floconneux. Elle s’était résolue à partir seule, laissant Mathieu retourner à Paris. C’est lui qui l’avait accompagnée à l’aéroport. Elle avait eu du mal à le quitter. Elle voulait être forte alors elle lui avait donné un long baiser en le priant de s’en aller aussitôt. Ce qu’il avait fait, sans se retourner. Les derniers jours avaient été paisibles, elle semblait aller mieux. Lucie l’avait appelée, elle l’attendait avec impatience pour la faire intervenir dans son projet. Aude avait dit oui, pour s’échapper, pour mettre un terme à ce qu’elle appelait le « creux de la vague ». Elle ne faisait rien de bon, elle ne parvenait plus à se concentrer ! Même Mathieu l’exaspérait ! Non ! Ce n’était pas ça ! Il avait cherché par tous les moyens comment l’aider à retrouver sa sérénité. Elle était injuste, elle ne se reconnaissait plus ! Depuis l’accident, elle avait l’impression d’être une autre. Comme si on l’avait enfermée dans une cage de verre ! Elle voyait tout, entendait tout mais ne pouvait plus ni réagir ni ressentir comme avant. Elle avait dit à Mathieu qu’à l’hôpital, on lui avait volé une partie d’elle-même. Celui-ci l’avait rassurée mais son regard préoccupé l’avait trahi. Elle espérait vraiment que ce voyage allait la remettre d’aplomb ! Treize heures d’avion ! Une escale d’une nuit à Amsterdam, où elle pourrait dormir, chez une amie de Lucie. Elle ferma les yeux, laissant aller ses pensées. Dans un peu plus d’une heure, elle serait avec Manon. Celle-ci était professeur de peinture, elles s’étaient déjà vues, elle avait un petit garçon de trois ans, un véritable petit ange avec des cheveux blonds tout bouclés. Elle était contente de la revoir, ce serait une bonne soirée. Elle descendit de l’avion le cœur léger. A la sortie, elle aperçut Manon qui gesticulait dans tous les sens. Elles sautèrent dans un taxi et se dirigèrent vers la ville. Manon était une grande femme blonde, les cheveux coupés courts à la garçonne, un regard franc, un large sourire qui illuminait un visage intelligent. Elle était très bavarde et débordait d’énergie. Elle avait prévu une soirée théâtre, son fils était chez sa grand-mère. Aude se laissa guider à travers la ville tout en admirant la beauté de son architecture, ses couleurs, sa diversité culturelle. Elles passèrent une excellente soirée. Le lendemain, à sept heures, elle était à nouveau dans l’avion. Mathieu lui avait laissé un message sur son portable : « Je te rejoins dans dix jours. Je t’aime ! » Ses yeux se remplirent de larmes. Au même instant, un homme devant elle se retourna. Elle s’agrippa à son voisin, ne parvenant plus à respirer. Sa vue se brouilla, elle n’entendit plus rien. Elle était dans l’eau, il faisait très froid, elle descendait trop vite, tout était sombre, de plus en plus sombre ! Elle sentit qu’elle allait mourir, son corps ne répondait plus…

dimanche 17 juillet 2011

609 : samedi 16 juillet 2011

Pour que Rosalie cesse de s'ignorer, il faudrait qu'un regard bienveillant se porte sur elle et lui donne existence.

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Rencontre XX François en avait assez de cet imbécile qui le suivait partout ! Il n’essayait même plus de se cacher. Irait-il jusqu’à lui serrer la main chaque matin ?! Le mieux était de vivre normalement. Il en était persuadé. Depuis son retour de Rome, il n’avait cessé de se poser mille et une questions. Il était pourtant heureux à sa descente de l’avion : pour la première fois, ses poèmes avaient été lus et appréciés. Deux éditeurs étaient intéressés ! Ça tombait bien, il avait besoin d’argent ! Il lui fallait une nouvelle voiture. Un policier l’attendait au contrôle, à la descente de l’avion. La suite avait été un cauchemar ! Une nuit entière et toute la journée du lendemain, on l’avait questionné, harcelé, presque maltraité ! Jusqu’à ce qu’ils vérifient son alibi. Ils l’avaient libéré le soir, sans même s’excuser et le priant de ne pas quitter le territoire jusqu’à nouvel ordre ! Furieux, François avait donné rendez-vous à Lucas, dans un bar fréquenté de Barbès. Il voulait des explications ! Lucas était arrivé en retard. Petit, trapu, musclé, il travaillait chez Peugeot comme chef mécanicien. « Je t’avais demandé de leur faire peur, pas de leur faire mal ! Tu as failli les tuer ! » martelait François en tapant du poing sur la table. Lucas était désolé. Il les avait suivis, s’était planqué sur un petit chemin. Jamais il n’aurait imaginé que cette nana ne maîtrisait pas son véhicule à ce point ! « Je t’assure, elle avait largement la place de se rabattre, elle a foncé droit sur l’arbre, je n’y suis pour rien ! En plus, après, il a fallu que je rentre à pieds ! » François se calma et lui expliqua l’enfer qu’il vivait depuis qu’il était rentré. « Je n’ai plus de voiture, ils ne me la rendront pas ! On me suit partout, tout le temps ! Écoute, tu dois partir, sinon ils vont bien finir par te trouver ! » Lucas éclata de rire. « Partir ? Mais où ? Et mon boulot ? Tu rigoles ! C’était un jeu, juste un jeu qui a mal tourné ! Et puis, ils ne sont pas morts, que je sache ! Écoute, j’assure les essais pour les pilotes dans deux jours. On avisera après, OK ? Mais tu te fais de la bile pour rien ! » Lucas était d’un naturel optimiste, contrairement à François, qui le regarda s’éloigner en pensant qu’il se trompait. Jamais il n’avait voulu cela ! Aude lui manquait trop ! Il avait mis du temps à s’en apercevoir, certes, beaucoup de temps ! Mais il avait changé, beaucoup changé. Il devait la voir, il fallait qu’il le lui dise !

samedi 16 juillet 2011

608 : vendredi 15 juillet 2011

C’était prendre plaisir à ne pas avoir pris le pont et se sentir doublement privilégié de longues vacances toutes proches et de ce jour déserté, seul à bord à pouvoir s’occuper librement voire inutilement – à peine quelques mails à envoyer, à faire suivre surtout, quelques tâches à documenter, quelque nettoyage dans le code – prendre des pauses avec des collègues rares, eux-aussi sans pont – compta, RH, repro – et partir tôt, ce qu’on appelait « tôt », à 16h15.


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Farigoule se rameute, après éparpillement. Les questions pressent autour de lui comme des bougies Il, s'en passerait. Le chemin serait praticable (en particulier sur le Devers) ? La mule serait constante dans son dodelinement ? Quelles seraient les haltes ? Trouverait-on de l'eau en chemin ? Et les gués seraient accessibles ? Et croiserait-on Qui ? La pluie ? Le soleil accablant ? La chaleur ou le vent ? Il fallait laisser venir, cela, et laisser déborder, le reste, pour retrouver son semblant de surface, son devenir tranquille. Il ressasse une nième fois le contenu de la petite cantine, le frottement des nœuds, le tracé des épissures, les eaux. Puis comme se détachent les ombres dans le couchant, se détachent des cordes de son esprit toutes les nodosités, une à une... il vient s'asseoir sur la pierre d'angle, et connaissant de tête la mosaïque du parement, s'inspire de ses trames pour allumer son tabac. La scutigère s'enfuit, qui effrayée. C'est son coin, il respecte ce choix. C'est un bon coin. Elle lui rappelle, elle l'oblige, comme les petits tas de moût qu'il aperçoit dans le repli d'un meuble, qu'il n'est pas seul avec lui-même, et que ses inquiétudes sont également favorables. Ses pieds portent lourds, lorsqu'ils s'étendent, c'est une décharge dans leur plante, et le gourd s'installe. Les poches ébrouées, la gorge raclée, les mains crissent, il se pose en lui-même. Les bougies s'éteignent. Il se prend au velours du tabac, déjà sec, il fait si chaud dehors. Il y a ça aussi, que sans humidité, et constamment accablé de touffeur, le corps est projection, mais constante si perfectible. Le hibou s'égrène. Farigoule se ramène, il se rassemble, et tous ses plis s'embourbent les uns dans les autres, son dos : un levier. Il fait liquide. Epais. Poisseux. Il aime comme ça s'effondrer. Tout compte fait, ce n'est pas un voyage plus pénible que la tâche du jour. C'est comme le bras mort d'une rivière qui se perdrait dans les cailloux, une pause dans une chasse, un rêve. Reste à savoir ce qu'on en retirera, pas même un souvenir, à coup sûr Jamais je ne tiens mes rêves, il pense, mais je sais qu'ils ont été, pas même un souvenir, quelques brins éméchés, quelques images émoussées, quelques rencontres trop blanches, de ces choses qu'on ne saisit pas : un soupir, un rond dans l'eau, l'épaisseur de la nuit. Un hibou plus lointain, plus aigu, semble répondre au familier. Farigoule fume, et quand il fume il n'est à rien. Ses pensées s'étiolent, son corps à nouveau se disperse, mais à présent d'apaisement. Il est en vrai, Farigoule, il est gaz, tout entier dans la pièce et la nuit, on dirait qu'il la contient tant il la seconde. Il patine sur les volutes, il s'en inspire et s'y enchaîne. Il est ce que devient l'herbe brûlée, consumée en spirales bleuissantes. Il est tant fidèle, on dirait, que la nuit.


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Dernière sortie, début. C'est une surface qui craquelle, c'est de l'intérieur qu'ils grattent, c'est de la terre dont ils s'extirpent hébétés. Leurs pas la martèlent sans la faire trembler. Certains ont encore des Adidas aux liens dénoués, leurs enjambées sont maladroites, certains chutent et s'écrasent platement sur leurs faces, puis ils se relèvent. Une vingtaine de plus et on aurait pu parler de foule. Bien que lents, ils ne tiennent pas en place. Comment les empêcher de laisser une trace définitive dans l'histoire, sont-ils illusion plus puissante qu'une multitude de réalités ? L'illusion, ce serait être rassuré par leur progression d'escargot, espérer que courir suffit, imaginer que ronde est la terre. La notion de temps effacée de leurs mémoires cramées, ils vous rattraperont toujours. Seul, un chasseur les trace pour couper tout lien qui les rattacherait aux humains. En professionnel, il a une foule de choses à préparer, pour les éliminer avec panache sans pas perdre la face. En face d'un passage parisien que les créatures saccagent grossièrement, il y a l'entrée du musée Grévin: pelletés d'illusions colorés, vertigineux miroirs, une foule de célébrités figées. A terre, un tapis rouge leur tapent dans la cornée, une bien appétissante couleur, quelque-uns y entrent en bavant. (Par respect pour la nature, le chasseur utilise une lessive sans phosphates, ce qui n'a aucun lien avec cette histoire, mais il est toujours utile de rappeler qu'à 30 degrés Bonux élimine toute trace de tache, même de ketchup.)


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Isabelle a les yeux qui piquent. Elle a passé sa journée à faire le tour des bureaux, à laisser des post-it ça et là avec un petit bonbon à la menthe. Elle sait que son geste fera plaisir cinq minutes, le temps d'un anecdote à la machine à café. Puis une autre prendra sa place et elle se fondra dans les fantômes ayant occupé ce bureau, dont les noms se confondent dans le brouillard des oubliés.


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Rencontre XIX Mathieu ne décolérait pas ! C’était intolérable ! Il était passé voir l’avocat qui s’occupait d’eux. Celui-ci l’avait fait attendre une heure pour lui dire tout simplement que ça n’avançait pas, que ce serait une enquête longue et difficile et… qu’il avait d’autres dossiers bien plus urgents à traiter. Il avait claqué la porte et s’était dirigé vers le commissariat. Là aussi, il avait patienté. Le commissaire l’accueillit toutefois très poliment, le fit asseoir et lui expliqua que dans cette affaire, tout était compliqué ! Ils avaient retrouvé le propriétaire de la voiture mais, hélas, pas le conducteur ! François était à Rome le jour de l’accident, pour une rencontre littéraire. Les preuves apportées avaient été vérifiées, il n’y avait aucun doute. Il ne savait pas, bien entendu, qui lui avait volé sa voiture ! Mathieu n’en croyait pas ses oreilles ! « Ne trouvez-vous pas étrange, vous, que cette voiture appartienne à l’ancien compagnon de ma femme, qui, de surcroît, se trouvait aussi au vernissage et s’est permis de la gifler devant une centaine de personnes ! Et vous pensez qu’il n’y est pour rien !!! » hurla-t-il ! Le commissaire attendit qu’il se calme et lui répondit que des choses étranges, dans leur métier, ils en voyaient tous les jours. Il comprenait sa colère et l’assurait que l’enquête poursuivait son cours. Le jeune homme était surveillé mais ils recherchaient avant tout le conducteur. Mathieu le remercia, lui dit qu’il l’appellerait tous les jours. Ce qu’il redoutait se confirmait : cette ordure de François allait s’en sortir ! Qui était derrière tout ça ? Il ne croyait pas au hasard, Aude avait trop souffert ! Encore maintenant, elle endurait de terribles maux de tête, ses crises de panique la laissaient exténuée, son regard se noyait subitement, elle tremblait, elle se fermait à tout réconfort. Dans ces moments-là, il n’avait pas de place, elle s’enfermait pendant des heures, le laissant totalement désemparé… Il décida de rentrer sur le champ. Il n’avait plus rien à faire ici. Il devait trouver une solution, sans aide de ces gens-là, pour que tout ça s’arrête ! Heureusement, Aude ne suivait pas le développement de l’enquête. Elle n’en parlait jamais. Peut-être vaudrait-il mieux qu’ils s’éloignent pour un temps ? Elle pourrait rejoindre Pierre et Lucie. Il les retrouverait plus tard. La maison était silencieuse lorsqu’il arriva. Pantoufle trônait sur la table et Aude lisait. Elle le regarda entrer et son visage s’illumina. Il la serra dans ses bras et lui raconta combien il était heureux de sa rencontre avec Grégoire. Ils s’étaient très bien entendus ! Il lui proposait de jouer sa musique au cours du festival de la Roque d’Anthéron ! Il était aussi pianiste et se produisait régulièrement l’été. Aude était ravie. Elle avait préparé une tourte aux légumes et sorti une bonne bouteille de Gigondas. Il fallait fêter ça. Et puis, elle aussi avait des choses à lui dire. Mathieu l’écoutait attentivement. Ses yeux brillaient lorsqu’elle lui annonça que Lucie attendait des jumeaux. Il sauta sur l’occasion et lui dit qu’elle devait partir, que cela lui ferait du bien ! Il ne comprit pas pourquoi Aude se leva d’un coup, renversant son verre de vin. Elle était face à lui, blême, le visage tendu, le regard furieux. Elle prit son imperméable et s’enfuit dans le jardin. Il entendit ses pas précipités et sa respiration haletante. Ses sautes d’humeur commençaient vraiment à l’inquiéter. Qu’avait-il dit de si terrible ? Il enfila sa grosse veste en velours et partit à sa recherche. Au bout d’une heure, il ne l’avait toujours pas trouvée. Il fit demi-tour, rentra dans la maison. Le feu s’était éteint, mais il l’aperçut, debout contre le mur du bureau, Pantoufle dans les bras. Elle avait l’air pitoyable, totalement perdue. Une enfant, une toute petite enfant…

vendredi 15 juillet 2011

607 : jeudi 14 juillet 2011

Rencontre XVIII Aude se reposait, roulée en boule sur le canapé de sa grand-mère. Elle était seule. Dehors, il pleuvait, l’hiver approchait, les arbres avaient perdu leurs feuilles. Pantoufle, le petit chaton que Mathieu lui avait offert, dormait au coin du feu. Il avait les yeux verts avec une pointe dorée, le poil long, gris perle et le bout des pattes blanc, d’où son nom. La veille, elle s’était remise à écrire et tranquillement, Pantoufle avait poussé les feuilles pour s’installer sur son bureau. De temps en temps, il attrapait son stylo qu’il mordillait en ronronnant. Ce nouveau compagnon lui avait fait du bien. Il calmait l’angoisse qui la gagnait subitement. Depuis son retour, elle avait des crises de panique intenses qui la laissaient épuisée. Le médecin lui avait affirmé que cela passerait avec le temps. Il avait donné un médicament qu’elle refusait de prendre. Pour elle, le meilleur remède était l’écriture, elle le savait depuis son enfance. Ce matin, Mathieu était reparti à Paris, afin de remettre les clefs de son studio et de débarrasser toutes ses affaires. Il avait aussi rendez-vous avec un jeune chef d’orchestre intéressé par sa musique. Il reviendrait dans la soirée, lui avait-il dit, elle ne devait pas s’inquiéter. Elle se leva, enfila un imperméable et décida de faire une promenade sous la pluie. Elle avait retrouvé le plaisir de traverser les champs à grandes enjambées. Elle s’obligeait à marcher chaque jour, guettant le retour de sensations qu’elle avait perdues. Mathieu avait été d’une patience d’ange, ils avaient beaucoup discuté et fait de nombreux projets. Mais ils n’avaient jamais reparlé de l’accident. Elle ne pouvait pas ! Elle s’aperçut que ses pas la menaient à la maison aux lilas. Machinalement, elle poussa le petit portillon. Elle fit le tour de la maison, ramassa le petit arrosoir, repoussa du pied la porte de la remise qui s’était ouverte avec le vent. La pluie s’était arrêtée. Elle s’assit au bord de la terrasse tout en songeant aux évènements des derniers mois. Lucie avait rejoint Pierre au Rwanda, son dernier message était émouvant : « Les enfants du village m’ont fait un accueil magnifique, ils viennent dans mon atelier deux fois par semaine et dessinent avec enthousiasme. Certains d’entre eux sont très doués ! Je pense à une grande fresque sur les murs de leur école. Aujourd’hui, je suis allée au dispensaire. Antoine n’y était pas : il y a eu un accident de bus près d’un village voisin. Son jeune remplaçant m’a auscultée. Aude, j’attends des jumeaux ! Ici, il n’y a pas d’échographie, mais le médecin en est certain ! Il va falloir que je me repose. Jure-moi que tu viendras pour l’accouchement ! » Aude était heureuse pour son amie. Le dernier jour avant sa sortie de la clinique, elle lui avait confié qu’elle était enceinte. Pierre était fou de joie ! Il avait aussitôt tracé les plans de leur maison. Bien sûr qu’elle irait en Afrique ! Si Mathieu voulait bien, ils pourraient y rester quelques mois…Il était réticent quand elle lui en parlait. Pourtant, il s’était documenté, avait acheté de nombreux ouvrages qu’il lui faisait partager. Aude se leva et reprit la petite route qui conduisait chez elle. Elle avait très froid tout à coup. Elle se mit à courir, persuadée que Pierre saurait convaincre son frère. « Grand-mère ! Je te promets que ta maison résonnera un jour de rires d’enfants ! » Elle ne pouvait s’en empêcher : elle continuait à lui parler, souvent même à voix haute, persuadée que sa grand-mère l’entendait. Elle poussa la porte : une petite boule de poils l’accueillit en bondissant. La nuit tombait, elle ralluma le feu, se fit un bon thé et se remit à son bureau, relisant le premier chapitre de son livre. C’était un conte pour enfants. Son éditeur ne serait pas content !


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Le rideau en mousseline se soulevait au grès du vent, laissant l'air s'engouffrer joyeusement jusqu'à leurs corps repus et apaisés de sommeil.

jeudi 14 juillet 2011

606 : mercredi 13 juillet 2011

C’était sentir, malgré la frénésie autour, l’immobile attente. Un sourire intérieur savait combien ce serait long et oublieux. Multiplier les coups de fils, les mails, envoyer, tester, vérifier, livrer, enfin.


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J’ai essayé avec persévérance de dormir sur mes deux oreilles, mais ce n’était pas possible simultanément, car figurez-vous qu’elles ne sont pas situées sur le même côté de ma tête. J’étais obligé de me réveiller toutes les heures pour me tourner de l’autre côté. Tout ça pour éviter d’avoir les oreilles trop chiffonnées au défilé du 14 juillet. Ça la ficherait mal, tout de même. Par contre je vais certainement avoir les yeux brouillés « Aux larmes citoyens ! » et le nez encombré de véhicules qui dépassent la longueur réglementaire. Je m’interroge sur la pertinence éventuelle d’un bonnet qui permettrait de rabattre à plat mes oreilles, au cas où elles feraient diversion, et accessoirement de me protéger la tête de la pluie, qui hésite à tomber mais pourrait se décider demain matin. Un bonnet de laine péruvien serait un peu hors saison, mais me donnerait un look original propice à des rencontres prometteuses de galipettes dans le foin – si toutefois il reste encore du foin, étant donné la sécheresse qui règne actuellement dans ce pays. L’un dans l’autre, excellentes perspectives pour fêter la nationale.


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Pourquoi ai-je rêvé cette nuit, sur la terrasse, sous les étoiles, d'une forêt de fermes, serrées drues, si proches que je pouvais enjamber un vide dont j'avais vaguement conscience, en avançant d'entrait en entrait, interminablement. Depuis longtemps une lassitude m'envahissait, et le vertige rodait, prêt à m'envahir dès que j'aurais consenti à ma faiblesse. La charpente n'était pas tout à fait rectiligne mais décrivait une courbe tendue et m'appuyant sur la main que je posais sur le bois rugueux, anormalement, presque gorgé de sève, odorant, des arbalétriers successifs, je les voyais devant moi, légèrement décalés en une géométrie mouvante. Je savais que je ne pouvais m'arrêter, je savais aussi que je ne désirais pas ce qui m'attendait à l'improbable extrémité de cet ouvrage. Pourtant je me suis réveillée dans l'image d'un grand pré infiniment doux et beau, aperçu en un éclair, devant la dernière ferme, pré vers lequel je tombais, attirée par son calme, rejetée dans le jour.


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Le talon de Sophie reste coincé dans les rails de l'ascenseur. Elle essaye de se dégager avec précipitation, d'enlever les fines lanières de cuir enserrant ses chevilles tout en retenant les dossiers glissants malgré tout de sa main. Les portes se referment, se rouvrent, Sophie hésite et en pleurerait presque... Finalement, elle éclate de rire.


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Rencontre XVII Pierre roulait à toute allure sur les pistes. Il tentait vainement de se protéger de la poussière qui lui entrait dans les yeux. La chaleur était épouvantable ! Son compagnon était affalé à côté de lui. Comment pouvait-il faire la sieste dans ces conditions ? Ce grand jeune homme lui avait tout de suite plu. Serviable, calme, attentif, toujours souriant, ils avaient immédiatement sympathisé. Il avait vingt-deux ans, huit frères et sœurs, une petite amie « fiancée », Épiphanie, qui était infirmière. Sa devise : ne jamais regarder en arrière ! Son père était mort, sa mère travaillait aux champs mais n’avait pas retrouvé de mari : c’est lui qui nourrissait toute la famille. Contrairement aux jeunes du village, il travaillait dur ! Pierre s’était rendu compte qu’il apprenait vite et, mieux encore, il retenait tout ! Dans sa façon de travailler, il avait découvert une grande ténacité. Sans lui, il aurait eu du mal à s’adapter. Il l’avait engagé pour la gestion des chantiers. Son efficacité l’avait surpris plus d’une fois. Il savait parfaitement se faire entendre. Mais il ne s’énervait jamais. Au début, Pierre avait eu beaucoup de mal à accepter le rythme affreusement lent des africains. Il s’était senti totalement déphasé, inadapté ! Lucie l’avait pourtant prévenu ! Son enthousiasme en avait pris un coup. Il avait piqué des colères dont il avait honte maintenant. Jusqu’au jour où les ouvriers lui avaient tourné le dos, le laissant seul sur son chantier ! Alors, il avait réfléchi… et compris qu’il s’y prenait mal. Puis Innocent était venu le trouver. Depuis, ils ne se quittaient plus… Chaque soir, ils faisaient le point de l’avancement des travaux. Et aujourd’hui, il savait que c’était gagné. L’école serait prête dans quelques jours, le petit dispensaire attenant pouvait déjà recevoir les patients. Le matériel médical était arrivé ce matin. Innocent avait tout déballé et suivi les instructions de Mr. Antoine. C’est ainsi qu’ils appelaient le frère de Lucie. Il jouissait ici d’une grande popularité et tous le respectaient. Pierre et lui se voyaient souvent et partageaient certains soirs le repas. Un dimanche, ils étaient partis tous les deux, arpentant ce beau pays aux « mille collines » Ils avaient longuement parlé de Lucie. Antoine ne lui avait rien caché. Pierre en avait été bouleversé. Il s’expliquait l’empressement de Lucie, son air buté et tendu parfois, quand il y avait un contretemps. Il comprenait pourquoi elle avait toujours refusé de parler de son passé. Elle aussi suivait la devise d’Innocent ! Lucie ! Où était-elle en ce moment ? Il la voulait ici, auprès de lui, pour être sûr qu’elle allait bien. Il avait tenté vainement de la joindre depuis deux jours. Excédé, il avait pris la voiture, décidé à rejoindre la ville pour pouvoir l’appeler. Innocent l’avait suivi, il voulait acheter des boissons pour l’inauguration de l’école. Fatou, la jeune institutrice avait préparé les enfants, leur apprenant des chants et des danses pour l’occasion. Tout le village se préparait pour une grande fête. Pierre suivait les préparatifs mais le cœur n’y était pas. Il pensait sans cesse à la voix du jeune gendarme au téléphone qui lui criait de venir le plus vite possible à l’hôpital… Il avait soutenu son frère du mieux qu’il pouvait, il voyait son visage défait, douloureux, son regard hanté apparu à la mort de leur mère… Pendant la nuit, au retour de l’hôpital, Lucie avait hurlé, se cognant la tête contre le mur. Il s’en voulait de les avoir laissés. Après l’inauguration, il prendrait l’avion pour Paris. Comme s’il avait deviné ses pensées, Innocent ouvrit les yeux et lui demanda s’il allait chercher Mademoiselle Lucie. Le regard de Pierre se troubla. Il lui répondit d’une voix monocorde qu’il ne savait pas quand elle pourrait revenir. Alors, Innocent lui dit cette chose qui le sidéra : « Commence à construire ta maison et elle reviendra ! » Puis il se lança dans une histoire très compliquée d’oncles et de tantes qui avaient été séparés pendant la guerre et s’étaient tous retrouvés dans la même maison…Pierre n’écoutait plus. Ils se séparèrent à l’entrée de la ville et se donnèrent un point de rendez-vous. Lucie décrocha à la première sonnerie. Sa voix traduisait une excitation intense : « Aude s’est réveillée ce matin, elle nous a reconnus, elle a même souri ! Oui, Mathieu est auprès d’elle, il va mieux maintenant ! Pierre, c’est fini ! Je veux te voir ! Je prends l’avion dans trois jours ! Oh ! Dis-moi, dis-moi que tu ne me laisseras plus jamais ! Pierre, il faut que tu saches quelque chose ! Pierre ! Allo ! Allo ! Je… » La communication fut coupée.

mercredi 13 juillet 2011

605 : mardi 12 juillet 2011

C’était vouloir partir, mais cette fois simplement vouloir partir en vacances plus tôt, claquer la porte pour partir mais aussi pour revenir, et le réaliser un peu en descendant les marches, en poussant la porte vitrée. S’arrêter, respirer l’air lourd et pierreux sous l’ombre inutile des arbres ; et vite remonter traiter les urgences estivales.


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Rencontre XVI « Il fait froid ! Si froid ! C’est la nuit. Je… Je veux sortir ! Où est grand-mère ? On m’a oubliée. Je ne peux pas bouger ! Je suis en pierre. J’entends… Qu’est-ce que c’est ? Je flotte, c’est doux ! Oh ! Des algues ! Je coule ! Au secours ! Aidez-moi ! Je veux remonter à la surface… J’ai peur, je me noie ! Ca tourne, je suis dans un tourbillon, j’ai mal au cœur ! J’entends des sons… Qu’est-ce que c’est ? Un piano ! Au fond de l’eau ! Je glisse sur les touches, je rebondis, je glisse, je veux m’accrocher ! Je ne vois plus rien ! C’est sombre, je m’enfonce, au secours ! Ah ! Ca va mieux ! Grand-mère ! Pourquoi me regardes-tu ainsi ? NON ! Ne pars pas ! Grand-mère ! Reviens ! Reviens ! Je remonte, je respire, mes yeux, ils ne veulent pas s’ouvrir, ils sont cousus ! Ils me font mal ! J’ai le hoquet. Hé ! Lâchez-moi ! Vous me faites mal ! QUE VOULEZ-VOUS ? Ah, ça va mieux ! Ca coule dans mon corps, c’est chaud. Oui, comme ça, c’est doux, ça crisse sous mes doigts, ça pique maintenant. Du sable ! Je suis enterrée dans le sable. J’ai chaud. Il y a plein de petites bêtes qui me chatouillent. Je ne vois rien. Mes yeux, ils sont à côté de moi, ils me cherchent. Je suis là ! Je les sens sous mes doigts. Quel silence ! Où sont-ils tous ? Pourquoi suis-je ici ? Je veux parler ! Je veux leur dire… Ils n’entendent pas ! Ils sont loin ! Oh ! Mes yeux ! Des éclairs, de toutes les couleurs ! J’y vois ! La lumière est trop forte ! S’il vous plaît, arrêtez ! Ca brûle ! Sortez-moi de là !!! Je… je m’endors, je suis loin de moi, je me vois dormir, c’est moi, là, je sais que c’est moi ! Je dois revenir, je m’éloigne trop vite ! Là, comme ça ! C’est bien ! J’ai sommeil. Je les entends… Ils m’appellent. Pourquoi crient-ils ainsi ? Oui ! Je suis là ! Ils ne me voient pas, je suis translucide. Je suis bien, laissez-moi, je m’enroule sur moi-même, je m’échappe… C’est agréable, du bleu, tout est bleu, je traverse l’espace, je suis légère, légère, une plume qui virevolte, c’est merveilleux, ils sont tous partis, le vent m’emporte, c’est doux… musique, musique, c’est sa musique, je m’endors… c’est doux… » Mathieu avait alerté tout le personnel de l’étage. Aude avait bougé ! Ses pieds, d’abord, s’étaient agités. Puis sa main droite. Il l’avait prise dans la sienne et avait senti les légers tremblements des doigts. Une infirmière était arrivée avec le médecin et tous deux guettaient les premiers signes encourageants. Ils l’avaient prié de sortir dans le couloir. Au terme d’un examen approfondi, ils le firent revenir. Le Docteur L. avait un grand sourire. Oui, elle était en train de se réveiller. Il fallait rester très vigilant, veiller à ce qu’elle ne s’étouffe pas. Cela pouvait prendre des heures. Il repasserait, pour vérifier. L’infirmière lui dit aussi que le retour pouvait être violent, elle pourrait être très agitée. Ils lui donnèrent toutes les consignes à respecter. Au même moment, Aude ouvrit les yeux, les referma aussitôt, secouée d’un tremblement, et sembla s’endormir à nouveau. Mathieu était tout près d’elle, lui chuchotant qu’elle ne devait pas avoir peur, qu’il était là, qu’il l’aimait. Quelques heures après, Lucie arriva pour le relayer. Elle avait téléphoné, elle était au courant, elle avait prévu de rester toute la nuit. Mathieu était épuisé mais il refusa de partir. Il était à la fois heureux et terriblement inquiet ! Lucie l’obligea à s’allonger dans le fauteuil. Le silence emplit la petite chambre. De temps en temps, Aude frissonnait. Ses doigts remuaient. Elle respirait calmement. Dans quel monde était-elle ? Lucie se promit de le lui faire écrire, plus tard. Saurait-elle les reconnaître ? Pourrait-elle parler ? Elle n’avait rien dit à Mathieu mais la gendarmerie avait retrouvé la voiture du chauffard, abandonnée en rase campagne. Elle appartenait à un certain François G. qu’ils recherchaient activement. Le médecin était au courant et leur avait interdit d’en parler pour l’instant. Lucie se sentit mal tout à coup, elle se précipita aux toilettes et rendit tout son dîner. L’angoisse la rongeait. Elle devait se reprendre ! Elle but un grand verre d’eau, se rinça le visage et retourna auprès de son amie, juste à temps : Mathieu se réveillait et la questionnait du regard. Il avait dormi une heure. Elle le laissa auprès de son amie et sortit à pas de loup pour prendre l’air. Elle discuta un moment avec l’infirmière de garde, l’assura que tout allait bien. Celle-ci la dévisagea, lui demandant si elle se sentait bien. « Vous êtes toute pâle ! Il faut vous reposer ! » Lucie la laissa, dévala l’escalier, traversa le parc à grandes enjambées et alluma sa cigarette. De l’air ! Elle avait besoin d’air ! Elle étouffait ! Elle se laissa tomber sur l’herbe et apprécia la fraîcheur de la nuit. Depuis quelques jours, elle ne se sentait pas bien. Toujours fatiguée. Ca ne lui ressemblait pas ! Elle se surprit à formuler une prière. Ce cauchemar devait cesser ! Elle allait devenir folle ! « Dépêche-toi, Aude, s’il te plaît, dépêche-toi ! », murmura-t-elle en remontant dans la chambre.


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Dans l'apaisement du soir, elle compte les gouttes ruisselant de la gouttière. On lui pose des questions mais elle répond qu'elle n'a pas plus mal que d'habitude. Ses draps sont changés, sa perfusion surveillée. La sueur perlant de son front est tamponnée avec sollicitude. Enfin ses paupières se ferment sur des rêves où, du haut de ses dix ans, elle peut sortir de sa chambre au papier peint jaune et violet, pour aller courir au fond du jardin ramasser des fleurs et s'admirer dans le ruisseau.