jeudi 14 juillet 2011

606 : mercredi 13 juillet 2011

C’était sentir, malgré la frénésie autour, l’immobile attente. Un sourire intérieur savait combien ce serait long et oublieux. Multiplier les coups de fils, les mails, envoyer, tester, vérifier, livrer, enfin.


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J’ai essayé avec persévérance de dormir sur mes deux oreilles, mais ce n’était pas possible simultanément, car figurez-vous qu’elles ne sont pas situées sur le même côté de ma tête. J’étais obligé de me réveiller toutes les heures pour me tourner de l’autre côté. Tout ça pour éviter d’avoir les oreilles trop chiffonnées au défilé du 14 juillet. Ça la ficherait mal, tout de même. Par contre je vais certainement avoir les yeux brouillés « Aux larmes citoyens ! » et le nez encombré de véhicules qui dépassent la longueur réglementaire. Je m’interroge sur la pertinence éventuelle d’un bonnet qui permettrait de rabattre à plat mes oreilles, au cas où elles feraient diversion, et accessoirement de me protéger la tête de la pluie, qui hésite à tomber mais pourrait se décider demain matin. Un bonnet de laine péruvien serait un peu hors saison, mais me donnerait un look original propice à des rencontres prometteuses de galipettes dans le foin – si toutefois il reste encore du foin, étant donné la sécheresse qui règne actuellement dans ce pays. L’un dans l’autre, excellentes perspectives pour fêter la nationale.


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Pourquoi ai-je rêvé cette nuit, sur la terrasse, sous les étoiles, d'une forêt de fermes, serrées drues, si proches que je pouvais enjamber un vide dont j'avais vaguement conscience, en avançant d'entrait en entrait, interminablement. Depuis longtemps une lassitude m'envahissait, et le vertige rodait, prêt à m'envahir dès que j'aurais consenti à ma faiblesse. La charpente n'était pas tout à fait rectiligne mais décrivait une courbe tendue et m'appuyant sur la main que je posais sur le bois rugueux, anormalement, presque gorgé de sève, odorant, des arbalétriers successifs, je les voyais devant moi, légèrement décalés en une géométrie mouvante. Je savais que je ne pouvais m'arrêter, je savais aussi que je ne désirais pas ce qui m'attendait à l'improbable extrémité de cet ouvrage. Pourtant je me suis réveillée dans l'image d'un grand pré infiniment doux et beau, aperçu en un éclair, devant la dernière ferme, pré vers lequel je tombais, attirée par son calme, rejetée dans le jour.


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Le talon de Sophie reste coincé dans les rails de l'ascenseur. Elle essaye de se dégager avec précipitation, d'enlever les fines lanières de cuir enserrant ses chevilles tout en retenant les dossiers glissants malgré tout de sa main. Les portes se referment, se rouvrent, Sophie hésite et en pleurerait presque... Finalement, elle éclate de rire.


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Rencontre XVII Pierre roulait à toute allure sur les pistes. Il tentait vainement de se protéger de la poussière qui lui entrait dans les yeux. La chaleur était épouvantable ! Son compagnon était affalé à côté de lui. Comment pouvait-il faire la sieste dans ces conditions ? Ce grand jeune homme lui avait tout de suite plu. Serviable, calme, attentif, toujours souriant, ils avaient immédiatement sympathisé. Il avait vingt-deux ans, huit frères et sœurs, une petite amie « fiancée », Épiphanie, qui était infirmière. Sa devise : ne jamais regarder en arrière ! Son père était mort, sa mère travaillait aux champs mais n’avait pas retrouvé de mari : c’est lui qui nourrissait toute la famille. Contrairement aux jeunes du village, il travaillait dur ! Pierre s’était rendu compte qu’il apprenait vite et, mieux encore, il retenait tout ! Dans sa façon de travailler, il avait découvert une grande ténacité. Sans lui, il aurait eu du mal à s’adapter. Il l’avait engagé pour la gestion des chantiers. Son efficacité l’avait surpris plus d’une fois. Il savait parfaitement se faire entendre. Mais il ne s’énervait jamais. Au début, Pierre avait eu beaucoup de mal à accepter le rythme affreusement lent des africains. Il s’était senti totalement déphasé, inadapté ! Lucie l’avait pourtant prévenu ! Son enthousiasme en avait pris un coup. Il avait piqué des colères dont il avait honte maintenant. Jusqu’au jour où les ouvriers lui avaient tourné le dos, le laissant seul sur son chantier ! Alors, il avait réfléchi… et compris qu’il s’y prenait mal. Puis Innocent était venu le trouver. Depuis, ils ne se quittaient plus… Chaque soir, ils faisaient le point de l’avancement des travaux. Et aujourd’hui, il savait que c’était gagné. L’école serait prête dans quelques jours, le petit dispensaire attenant pouvait déjà recevoir les patients. Le matériel médical était arrivé ce matin. Innocent avait tout déballé et suivi les instructions de Mr. Antoine. C’est ainsi qu’ils appelaient le frère de Lucie. Il jouissait ici d’une grande popularité et tous le respectaient. Pierre et lui se voyaient souvent et partageaient certains soirs le repas. Un dimanche, ils étaient partis tous les deux, arpentant ce beau pays aux « mille collines » Ils avaient longuement parlé de Lucie. Antoine ne lui avait rien caché. Pierre en avait été bouleversé. Il s’expliquait l’empressement de Lucie, son air buté et tendu parfois, quand il y avait un contretemps. Il comprenait pourquoi elle avait toujours refusé de parler de son passé. Elle aussi suivait la devise d’Innocent ! Lucie ! Où était-elle en ce moment ? Il la voulait ici, auprès de lui, pour être sûr qu’elle allait bien. Il avait tenté vainement de la joindre depuis deux jours. Excédé, il avait pris la voiture, décidé à rejoindre la ville pour pouvoir l’appeler. Innocent l’avait suivi, il voulait acheter des boissons pour l’inauguration de l’école. Fatou, la jeune institutrice avait préparé les enfants, leur apprenant des chants et des danses pour l’occasion. Tout le village se préparait pour une grande fête. Pierre suivait les préparatifs mais le cœur n’y était pas. Il pensait sans cesse à la voix du jeune gendarme au téléphone qui lui criait de venir le plus vite possible à l’hôpital… Il avait soutenu son frère du mieux qu’il pouvait, il voyait son visage défait, douloureux, son regard hanté apparu à la mort de leur mère… Pendant la nuit, au retour de l’hôpital, Lucie avait hurlé, se cognant la tête contre le mur. Il s’en voulait de les avoir laissés. Après l’inauguration, il prendrait l’avion pour Paris. Comme s’il avait deviné ses pensées, Innocent ouvrit les yeux et lui demanda s’il allait chercher Mademoiselle Lucie. Le regard de Pierre se troubla. Il lui répondit d’une voix monocorde qu’il ne savait pas quand elle pourrait revenir. Alors, Innocent lui dit cette chose qui le sidéra : « Commence à construire ta maison et elle reviendra ! » Puis il se lança dans une histoire très compliquée d’oncles et de tantes qui avaient été séparés pendant la guerre et s’étaient tous retrouvés dans la même maison…Pierre n’écoutait plus. Ils se séparèrent à l’entrée de la ville et se donnèrent un point de rendez-vous. Lucie décrocha à la première sonnerie. Sa voix traduisait une excitation intense : « Aude s’est réveillée ce matin, elle nous a reconnus, elle a même souri ! Oui, Mathieu est auprès d’elle, il va mieux maintenant ! Pierre, c’est fini ! Je veux te voir ! Je prends l’avion dans trois jours ! Oh ! Dis-moi, dis-moi que tu ne me laisseras plus jamais ! Pierre, il faut que tu saches quelque chose ! Pierre ! Allo ! Allo ! Je… » La communication fut coupée.