jeudi 7 juillet 2011

599 : mercredi 6 juillet 2011

Plus jeune, je cirais mes chaussures tous les dimanches soirs et l’avenir me souriait tous les lundis matins. Mais les années filent et les semaines à venir portent de moins en moins d’espoirs, alors je me suis défaite de cette habitude. Je ne cire plus mes chaussures que tous les 36 du mois comme je me mets sur mon 31 : de préférence en prélude à événement aussi exceptionnel qu’un entretien d’embauche ou un rendez-vous avec un produc-édi-teur (selon les rêves caressés). Le dimanche, quand je m’y adonnais le dimanche, l’opération cirage s’imposait comme l’un des rites d’une soirée qui voyait tous les compteurs se remettre à zéro pour les sept jours à venir. Il y avait lieu, dans ce temps-là, d’attaquer les lundis du bon pied, certes, mais les deux chaussés comme neufs. Toutes mes paires de chaussures susceptibles d’être de saison étalées sur du papier journal dans l’entrée de l’appartement, je lançais un appel à la cantonade proposant d’étendre mes services aux mocassins/escarpins/richelieus/bottines qu’on voudrait bien me confier et dont je prendrais un soin irréprochable. Assise par terre en tailleur, autour de moi, posés en rond, chaussures et matériel : une boîte ronde métallique de cirage noir et un tube de Baranne crème incolore qui ferait l’affaire pour tous les autres coloris, un chiffon de coton fin, autrefois dos de chemise blanche pour étaler, un chiffon doux, laine et soie, pour reluire. Matériel que je rangerai dans sa boîte – boîte à chaussures - et cette dernière dans un bas de placard, la procédure terminée. Rien à voir avec l’accablement qui me saisit aujourd’hui quand, mue par un sursaut d’espoir, je me résous à la même tâche après avoir en vain tenté de la déléguer. Le cirage noir trop vieux se craquelle dans sa boîte quand le Baranne incolore au contraire, liquéfié, fuit son tube. Dieu merci, comme les dimanches soirs les chaussures ont bien changé et la plupart des modèles que nous portons s’accommodent de l’absence de toute forme d’entretien leur vie durant, tout en sauvant leurs apparences même pour les grandes occasions qui n’adviennent que tous les 36 du mois.


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C’était ressentir le temps. Bloc restant des jours aussi lourds qu’il y en avait peu. Le curieux était de prendre conscience de ce tard là seulement maintenant et, aussitôt, ressentir quelque chose de physique, un peu partout dans le corps. Bien sûr, rien que ce poids habituel sur les épaules et la poitrine, mais comme s’il avait pris confiance, contenance, meilleure prise, s’étant nourri de nos infimes retards et errances au long des semaines, ayant grossi de cette manière progressive qui fait qu’on ne sent rien si l’on ne prête pas attention et puis peut-être s’étant retiré la veille au soir après les bières de frais entre collègues – au pic de chaleur n’en pouvant plus – étant revenu le matin, couvercle bruyamment refermé sur nous, prisonniers désormais d’un calendrier dont l’échéance des vacances, plus que celle du projet, nous aidait à rendre possible la construction de l’édifice, sa livraison finale.


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Elle s'offre une journée. Ses collègues la pensent avec les siens, et les siens au bureau. Pas de comptes à rendre, pas d'emploi du temps, elle dispose de ce luxe rare de n'avoir rien de prévu. Ce soir elle soufflera ses bougies et ouvrira ses cadeaux, elle suivra la tradition familiale d'entendre une anecdote par année vécue et de boire son schnaps cul sec. En attendant elle savoure le calme d'une terrasse et boit son café brulant à petites gorgées. Plus tard elle reposera son corps dans la chaleur humide d'un hammam avant d'aller se promener dans des jardins de roses, l'âme tranquille, le cœur au repos.


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Rencontre XI Aude était assise à son bureau et répondait à son éditeur. L’été tirait à sa fin, le jardin avait changé de couleur. Un épais tapis de feuilles mordorées jonchait les allées, la température annonçait un automne précoce et humide. Elle n’avait pas écrit une ligne depuis plusieurs semaines, son dernier roman restait inachevé. Son éditeur s’inquiétait. Elle, aucunement. Elle restait sereine. Elle s’y remettrait bientôt. Les bouleversements des derniers mois l’avaient totalement accaparée. Elle termina sa lettre, brève, concise, puis s’assit dans le vieux fauteuil de sa grand-mère. Elle pensa avec émotion que celle-ci serait heureuse de la voir ainsi. Elle avait changé… ou plutôt, elle s’était retrouvée. Le calme de cette maison, la beauté des lieux y était pour beaucoup. Mathieu était reparti à Paris : il avait d’autres commandes. Dans quelque temps, elle le rejoindrait, s’il lui faisait signe. Pour partager simplement quelques moments de sa vie. Ils ne s’étaient plus quittés, elle décelait encore dans chaque pièce les traces de sa présence. Il l’aimait, il le lui avait dit. Elle n’avait rien pu lui promettre. Pas encore. Elle avait besoin de temps. S’engager était trop difficile, elle était trop meurtrie par l’échec de sa relation avec François. Elle le lui avait expliqué calmement, il semblait avoir compris, lui promettant d’être patient. Les derniers jours, il les avaient passés ici, tous les deux, à vivre au ralenti. Elle s’était dit qu’elle avait beaucoup de chance ! Au fond d’elle-même, elle savait avec certitude la profondeur de ses sentiments pour lui. Mais elle ne voulait plus se tromper. C’est pour cela qu’elle l’avait supplié de partir ! En aucun cas, elle ne voulait être un frein ! Il lui avait décrit l’état dans lequel il était lorsqu’il composait : il devait être seul ! Il lui avait pourtant fait promettre qu’elle viendrait à Paris. Elle s’était décidée à dire oui, pour la semaine suivante. Ainsi, ils iraient ensemble au vernissage de l’exposition de Lucie. Lucie, qui avait explosé de joie lorsqu’elle l’avait vue au bout de l’allée ! Elle n’avait même pas eu l’air étonnée. Lucie était ainsi, elle ne se posait plus de questions, elle prenait la vie comme elle vient, profitant pleinement de chaque instant. Elle en savourait chaque seconde comme si on allait la lui retirer ! Pierre était fou d’elle ; cela la rendait heureuse, encore plus fantaisiste. Elle rêvait tout haut et il la suivait dans ses rêves. Après l’exposition, ils partiraient en Afrique. Pierre avait passé des heures au téléphone avec le frère de Lucie et des nuits entières à élaborer des projets pour aider les habitants. Afin que chacun ait de l’eau, que chaque village ait son dispensaire, sa petite école, sa bibliothèque. Il disait que sa vie avait enfin un sens et il se démenait comme un diable pour réunir les fonds et le matériel. Il voulait que tout cela se concrétise rapidement ! Lucie était aux anges et le laissait faire, tout en le soutenant financièrement par la vente de ses toiles. Ils étaient souvent séparés mais se retrouvaient le week-end dans la jolie maison aux lilas. Le téléphone sonna, Aude s’extirpa de son fauteuil et alla répondre. C’était Mathieu. Il voulait la voir. Très vite ! Sa voix était ardente. Il ne voulait pas de refus !