mardi 31 mai 2011

563 : lundi 30 mai 2011

Non, jamais Léon n’ondule.

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Le jasmin n’en peut plus de dérouler ses métaphores. Il ouvre un large bec et pointe une langue bifide vers la joue vermeille du printemps. Celui-ci secoue en riant ses boucles encore humides et le rabroue d’un revers de main, sans se fâcher. Tout le monde est tombé dans l’eau du canal, d’un vert jaunâtre, si jaunâtre que c’est peut-être, en fait, un jaune verdâtre. Impassible devant tant de sollicitations, je coche sur ma liste des tâches polymorphes et, le soir venu, je soupire d’aise.


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Il était encore un peu trop tôt dans la saison, et nous avons eu du mal à trouver un restaurant qui accepte de nous servir, vers quinze heures, assiettes de carpaccio et salades. Notre table était noyée de lumière, mais un petit vent très léger tempérait la chaleur. Je regardais tes bras dorés dans le soleil, et parfois ton visage. Pour éviter de parler, tu regardais ton assiette ou, à travers les branchages qui nous en séparait, l'agitation absente de la petite place.


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Dans son bureau, Georgette toussote, siffle, crache. Sa bouilloire chauffe toute la journée tandis qu'elle ingurgite miel et tisane au thym. Exaspérée, elle interdit aux visiteurs de toucher aux boutons de la clim. Le va et vient des collègues se transforme vite en une visite de curieux. Il fait 30°C dehors, tous le monde transpire, et Georgette seule dans son bureau soigne une bronchite carabinée.


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Suspension provisoire de l'incrédulité Un rictus s'empare de la partie inférieure de son visage ; des évidences il réfléchit il divague il pense : établir une liaison comme ça, ma foi, entre mensonge et fiction, une association d'idées qui revient à faire le lien entre fable et affabulation, il voit ça il sursaute et se reprend il se dit "tous ces procès d'intentions ces enfers volontaires mécanismes de projections ces questions parfois ces idées fixes c'est obsessionnel et radicalement viscéral ça vous fout mal" : ce problème du mentir-vrai l'effraie - pas toujours en fait - la part des choses lui revient comme un miroir, examen de conscience bien involontaires, éphémères, en éclats, et ce qui reste: rires clairs, visions d'angoisses.

lundi 30 mai 2011

562 : dimanche 29 mai 2011

Discuté ce matin avec le concierge ; bientôt une nouvelle locataire au troisième ; une Anglaise, mais pas bien sûr d'orthographier son nom correctement : Heavysham, Havisham…


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J'ai demandé si la désinfection a eu lieu, depuis. De l'explication de l'école, j'ai retenu que ce n'est pas possible d'exterminer ainsi les rats sur l'atoll, parce que les produits chimiques sont dangereux pour les plantes, qu'ils le sont pour les poissons, et quoique délayés par les pluies et dilués par l'océan, ils restent dangereux pour l'homme...

dimanche 29 mai 2011

561 : samedi 28 mai 2011

Peu de chances qu’un jour Emma m’émascule, se dit Léon...

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De son bain elle concocte un mail incendiaire sur son téléphone-qui-fait tout, son corps disparu parmi des bulles de savons sentant la lavande. Elle s'émerveille de sa propre verve et de la façon fort aimable dont elle parvient à insulter et rabaisser ses destinataires. C'est son rituel du samedi soir alors qu'elle se connecte au webmail pour lire les comptes rendus hebdomadaires de son équipe. Elle tend parfois son bras pour attraper un verre de vin, se relit et sourit et oups... Son téléphone tombe dans l'eau...

samedi 28 mai 2011

560 : vendredi 27 mai 2011

Fiche personnage : pourquoi diable Charles, cocufié par Léon mais néanmoins fidèle à Emma (et de surcroît médecin de campagne !), s’encombrerait-il d’un baise-en-ville ?


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Trembler dans le ciel qu'il vient d'ouvrir à la hache, des paroles scandées accrochent son oreille, petit soldat à ressort qui en rajoute trois tonnes à chaque raclement de corde, se décalant sur ses pieds dans un enchaînement de poses aussi désarticulées qu'étudiées, gavé autant qu'assommé des battements accélérés de son cœur, pulsations transmutées dans la seconde en lave, inventer un accord incandescent jamais entendu nulle part, et jouir de ne plus rien ressentir – plus rien qui puisse l'atteindre niché qu'il est à surplomber tous les horizons, ce qui n'empêche pas de repérer l'emplacement de chaque musicien et la béance du coulisse juste sur la gauche; pilonner des pavés d'accords avec une régularité Grosse Berta, accélérer malgré le piquant des doigts écorchés, que jamais son jeu ne s’arrête, planer au-dessus de cette mélasse sautillante ; pourvu qu'avant que la dernière chanson déboule dans cette chaleur de placenta, les notes continuent de se déployer dans ce grand vide transpirant, et qu'aussitôt qu'il reconnaisse le dernier morceau, la trace de ses semelles se grave sur cette scène comme une étoile s'incruste dans du goudron, et que les volutes de poussière qui s'élèvent devant ses yeux en contre-jour s’arrêtent de tournoyer, soudain figées, en remparts, en foutus remparts définitifs.


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A partir du nom d’un producteur de gazouillis, le thème du jour s’est imposé, les termes devant être pris dans l’ordre, l’ordre du jour évidemment. Nous disposons pour notre mission des mercenaires voulus, nos partenaires, qui ne sont pas centenaires, mais quadragénaires ou quinquagénaires tout au plus. De crainte que le processus dégénère, nous ne nous adresserons qu’à nos congénères. Suspendons-nous aux caténaires pour dire ce que chacun de nous vénère. Il y aura évidemment des séances ordinaires et des séances extraordinaires dont seront exclus tous ces vieillards valétudinaires. J’ai exercé mon imaginaire à trouver d’où les participants sont originaires. Point d’appétit sanguinaire mais un goût appuyé pour les découvertes culinaires ! Prévoir aussi quelques mesures disciplinaires, à annoncer dans mon discours liminaire dès le premier jour du séminaire. (Ça manque de luminaires, ici.) Il est avéré que dans cette assemblée, les vétérinaires ne sont pas poitrinaires et que les tambourinaires ont été, dans une autre vie, des légionnaires. Tous millionnaires, sauf les missionnaires. Le factionnaire, lui, est pensionnaire dans un établissement modeste. Les fonctionnaires recrutés recourent au dictionnaire beaucoup plus souvent que les tortionnaires. Penser à inclure aussi quelques visionnaires bien débonnaires, et au milieu des éclairs et des coups de tonnerre, j’accepterai que seule la lumière lunaire me rémunère.


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C’était au bout du cinquième appel à déjeuner, partir seul, par les rues jamais empruntées, à la recherche d’un restaurant, d’un bar, d’un jardin public, d’un espace élastique où nous pourrions lire ou écrire.

vendredi 27 mai 2011

559 : jeudi 26 mai 2011

Peu de chances que Léon lise un jour l’autobiographie de Johny Shine.


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C’était quatre fois rien.


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Martine ne décrit jamais physiquement ses personnages et cela dérange Alex, le meneur du cercle d'écriture. Elle ce qui l'intéresse se sont leurs contraintes, leurs blessures, leurs espoirs. Leurs petites manies et miracles de tous les jours. Elle estime que chacun de ses lecteurs a le droit de se les approprier et de les imaginer comme bon leur semble, ce qui compte c'est comment qu'ils sont a l'intérieur.


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Je l'avais attendu pour choisir le vin. J'y connais rien. Je n'aime pas ça. J'ai jamais aimé ça. Jean était un peu dépité, mais il m'acceptait comme ça. Il m'a demandé quel était le menu, il m'a demandé ce que j'avais comme bouteilles. J'ai ouvert la porte de la cave. Il a inventorié le petit rayonnage, contre le mur, à côté de l'escalier. Il faisait la moue. Il en a choisi une, mais : « ça m'étonne un peu du Jean. Je m'attendais à des merveilles, pas évidentes, pas les bouteilles de tout le monde, enfin de tout le monde qui a du goût, mais des merveilles, tu sais, comme il savait en trouver... » alors je l'ai pris par la main, emmené dans la seconde cave, et il était comme un gamin devant une collection de petites autos. Je l'ai laissé. Je suis remontée mettre la table et attendre les autres.

jeudi 26 mai 2011

558 : mercredi 25 mai 2011

Encore et toujours ces insomnies qui n’en finissent pas ; regardé un documentaire sur la réhabilitation des friches industrielles de Coketown ; impressionnant…


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Je suis un lecteur boulimique de poésie. Parmi "mes vrais" poètes ( je ne prétend à aucune objectivité!), il y en a beaucoup dont j'aime, parfois à la folie, tel ou tel écrit... Et puis il y a ceux dont - en reprenant la magnifique formulation de Steiner : "la présence parente est tout du long talismanique, mais toujours à renégocier", qui de toujours m'accompagnent, me secouent, m'interrogent, me portent et m'aiguillonnent, m'enseignant, d'un même jet, l'humilité et la visée, sans trêve assénant qu'il n'y a de pari qu'insensé, de jeu que si l'on est prêt à TOUT jeter dans la balance, y compris la vie, ou ce qui en tient lieu... (en vrac : Pessoa, Holan, Dino Campana, Hölderlin, Rimbaud, Carlos Drummond de Andrade, Dylan Thomas, Essénine, Char, Borges, Lucian Blaga, Ekelöf, Artaud, Auden, Celan, Saint-John Perse, Montale, Trakl, Herberto Helder, Vallejo, Danielle Collobert, Rilke, Nauro Machado, Nichita Stanescu, Somlyo, W.H. Auden) Certains se pencheront surtout sur les absents, je le sais, mais qu'y puis-je? Rien, sinon répondre qu'il y a de bien pires adieux...


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C’était aller trois fois à la machine à café dans la matinée, pas moyen. Y rencontrer trois fois les trois mêmes qui, en écho, résumaient : « pas moyen aujourd’hui. » Après-midi, éviter la zone, l'estomac pesant de pâtes, tournant la souris en rond par-dessus le code impénétrable, aujourd'hui.


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Lentement son corps se déplie vers la conscience. Ses yeux sont réveillés mais refusent de s'ouvrir à la lumière, ses cellules quittent doucement leur état indolore et le rêve prend fin. Un rêve de silence insensible et profond, un rêve d'oubli et d'inexistence. Lentement elle respire l'oxygène, première bouffée hors du sommeil, première seconde ou la douleur s'oublie encore, il n'y en a qu'une par jour, un souvenir, un rappel cruel de sa vie d'avant quand tout n'était qu'insouciante et excès. Lentement ses yeux s'ouvrent enfin avec tristesse, elle a droit à quelques minutes de résignation sans espoir avant d'agrapher un sourire sur son visage, avant d'aller réveiller ses enfants. Ses enfants ont une mère ensoleillée et enjouée qui les couvre de tendresse, elle leur apprend le rire et l'inscouciance tant qu'elle le peut encore, tant qu'ils ne seront pas assez grand pour deviner ses ombres permanentes, les abîmes de souffrance qu'elle porte en elle et qui suivent chacun de ses pas.


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C’est un si bel hommage ! A la sortie de ce film, les mots m’ont manqué. Nous étions cinq dans cette petite salle. Cinq à partager ce film splendide qui nous a tous laissés sans voix. Un joyau, un hymne à la danse, à la beauté, à la douceur, à la vie ! Un immense message sur l’art dans toute sa noblesse. Un film magnifique, certes, mais bien plus que cela : une vie toute entière dédiée à la danse, à la recherche, à la magie des corps, à tout ce que peut exprimer chaque individu lorsqu’il lâche prise pour se retrouver lui-même, parfois jusqu’à l’épuisement, à tout ce qu’il peut donner, ressentir, laisser voir, offrir sans retenue. Une danseuse extraordinaire qui avait traqué les trésors enfouis… Une femme entièrement vouée à son art, une femme au merveilleux sourire, une femme oiseau aux bras aussi légers que gracieux, qui aimait l’humain avec ses secrets, ses doutes, sa peur, ses différences, sa sensibilité ! Qui souhaitait que chacun de ses danseurs puisse montrer, dans toute son expressivité, dans toute sa fluidité, ce qu’il avait de meilleur. Une femme qui souffrait, qui portait en elle un désespoir qu’elle transformait, à la façon d’une magicienne, pour nous offrir une sacrée leçon de vie ! Une chorégraphe qui alliait couleurs, matières, éléments, qui cherchait et fouillait l’intimité pour en faire jaillir la beauté. L’hommage est bouleversant. Que vont devenir ses danseurs qui, aujourd’hui encore, la cherchent partout ? L’empreinte laissée en chacun d’eux est à l’image de cette femme extraordinaire : à la fois dure, forte, chargée, mais aussi pleine de douceur, de légèreté, d’amour et porteuse d’espoir. Tous l’ont compris et ont su exprimer l’immense talent qu’elle leur a transmis. A travers leurs larmes, leurs corps, leur tristesse, leur désarroi, ils parlent tous la même langue : celle qu’ils ont entendue tant de fois et qui s’est tue.

mercredi 25 mai 2011

557 : mardi 24 mai 2011

Longtemps l’entregent fut pour Léon synonyme de démangeaisons.

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C’était voir deux raisons de décaler la date de livraison, et voir opposer à ses arguments, la date de livraison. Prendre aussitôt plaisir à coder vite et mal.


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René enjambe des corps endormis et se dirige vers la sortie. A quatre ans, il a décidé que sa sieste est terminée, la vie est trop courte, tout ce sommeil, c'est du gâchis... Il trottine vers la classe des grandes sections de maternelle et s'assoit devant la salle ouverte, et devant, surtout, les longues jambes de madame Robert, la maîtresse.

mardi 24 mai 2011

556 : lundi 23 mai 2011

Peu de chances qu’un jour d’Emma n’émane un quelconque soupçon quant à Léon.

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C’était avoir un peu de mal à zapper entre les dossiers, compétence à part, simplement sentir s’entrechoquer mal les concepts, mélanger, être lent à démarrer, s’arrêter trop vite, se tromper d’e-mail, de numéro de téléphone, de chiffrage, de conseil. Décevoir beaucoup.


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Puisque ce n'était pas la saison du Gaperon – d'ailleurs on n'en avait guère vu à ce moment là – après une hésitation, à défaut de sa chair blanche, onctueuse mais pas grasse, au léger goût de noisette relevé par le léger persillage, ce serait bien honnête, modeste, franche, une tranche, assez épaisse pour ne pas s'effriter, de fourme d'Ambert – une tomme de chèvre de Lozère à la chair un peu grumeleuse qui tranchait par sa rusticité, promesse de saveur, dans le coin des pâtes dures – et tant pis pour le Saint Nectaire, d'ailleurs le dernier acheté ici avait été décevant – un demi coulommiers fermier qui pressait la petite barrière du film transparent dans son désir d'expansion et, après une hésitation, un Langres, petit cylindre à la croute molle, grasse, boursoufflée, d'un orange clair plein de gourmandise et, parce qu'ils étaient à côté sur l'étal, comme petits contrepoints, un des petits brebilles très frais, promettant d'être presque liquide, bien enclos dans son cylindre de carton et de papier plissé comme l'entourage d'un bouquet. Restaient les chèvres, qui s'étalaient par dizaines. Par lassitude, pour trancher à peu près à coup sûr, un banon très élastique dans son paquet de feuilles, qui ne durerait que le temps d'un repas, un petit carré de Dieulefit sanglé par sa ceinture de feuille clouée d'une brindille, un picodon très sec, presque disparu, et un frais légèrement cendré. Au moment de choisir entre les petits fromages frais aux raisins, où baignant dans une huile relevée, il a semblé que cela devenait vraiment excessif.


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Sophie éteint son téléphone et ordinateur, coupe le modem et la télé et s'enferme dans le silence planant dans son appartement. Elle ne veut pas savoir si Armand va enfin l'appeler, elle lui en veut de cette dépendance, cette attente la journée entière, les heures tristes sans nouvelles. Elle sait qu'il travaille, qu'il est occupé et qu'il aime son indépendance, et surtout qu'il faut qu'elle lui laisse son espace et la possibilité de lui manquer. Que c'est par ses absences qu'il fera un pas vers elle, c'est ainsi, telles sont leurs règles. Ce soir elle n'a pas envie de jouer, cette danse incessante la fatigue. Ce soir Sophie rêve d'une maison en banlieue avec un garage et une herbe verte qu'on tondrait tous les samedis, une existence banale et ennuyeuse mais aux apparences si apaisantes, sans musique, sans règles, sans danse.

lundi 23 mai 2011

555 : dimanche 22 mai 2011

Elle se rassure en faisant les vitres, en classant ses stylos par ordre de taille et de couleur dans ses tiroirs et en triant méthodiquement ses médicaments. Il y a l'usage, la forme de la boîte, les dates de péremptions à surveiller. Elle chasse la poussière de chez elle sans parvenir à se débarrasser de ses angoisses, son sommeil n'est jamais léger. Elle se réveille souvent inquiète et fatiguée et fuit son deux pièces pour aller mettre en place des process chèrement payés par des grosses boîtes craignant l'avenir, la compétition, le marché, les actionnaires et leurs propres salariés. Toute la journée elle rassure, assure, assène, gère. Elle rentre le soir et s'enroule à nouveau d'une tristesse solitaire qui la pousse à cuisiner, ranger, nettoyer, jusqu'à ce qu'enfin la nuit impose à son corps une immobilité fugace.


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C’était souvent ainsi avec les faits divers : les journaux avaient pendant quelques jours évoqué la mystérieuse disparition d’Albertine, puis l’enquête piétinant, n’en avait bientôt plus rien dit…

dimanche 22 mai 2011

554 : samedi 21 mai 2011

Jamais Léon ne se demanda s’il préférait s’ennuyer ferme ou bander mou.

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Une fois par semaine elle achète de l'espoir au bureau de tabac, pour un euro cinquante elle repart avec un rêve dans sa poche. Elle a ses rituels, l'achat du vendredi, jour de tirage, puis quelques jours qui passent et le retour à la réalité lundi matin au bureau alors qu'elle consulte les résultats en ligne en buvant son café. Pendant son weekend elle s'est vue dépenser des millions et sauver le monde. Son lundi la rassure, rien n'a changé mais elle peut tenir jusqu'au vendredi prochain ou une fois encore elle se délestera de quelques pièces pour refaire battre son cœur un peu plus vite et avoir l'impression de vivre.

samedi 21 mai 2011

553 : vendredi 20 mai 2011

De nouveau passé la soirée au Blue Moon Bar ; toujours autant attiré par Priscilla mais de plus en plus de mal à la suivre : cette façon qu’elle a eu de balancer mon pastis dans l’évier au motif qu’un chien jaune venait d’entrer tout seul dans la salle (toujours son obsession quant aux signes du destin !), et tout son délire sur cette histoire d’empoisonnement à laquelle je n’ai strictement rien compris ; du coup ai bu un mauvais whisky qui m’a filé des aigreurs d’estomac une bonne partie de la nuit…


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Reprendre - il n'y a rien à construire. À l'état brut tout s'altère à longueur de temps. Je reprise. Je raccommode. Rapiécer ce qui reste. Réparer, recycler. C'est une méthode simple et inévitable. Je recueille d'abord les morceaux éparpillés, les parties éparses. C'est une phase importante de concentration, il faut être alerte, il faut être calme et vide pour laisser se produire un certain recours à la mémoire qui est souvent long, parfois violent et ensuite eh bien ensuite je compte - je pèse, j'estime, je récapitule. Ensuite c'est comme un genre de puzzle. Mais avant cela j'affronte. J'illumine les zones occultes. Il y a alors une pause un temps d'adaptation. Ensuite ce sont des rangements, des classements, des montages, des agencements. Ils me préservent des absences, de la fascination du vide. Un tas de choses dans ma vie s'étaient perdues coupées détachées. J'avais vécu à mon insu dans une sorte culte du schisme.

vendredi 20 mai 2011

552 : jeudi 19 mai 2011

Notes marginales: pas peu fier d’avoir enfin localisé Léon !

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Il n'y a plus de portes, plus de couloirs à arpenter, de pièces à traverser, plus de pas à faire, de mots à chercher, il n'y a plus que deux corps qui se frôlent, se cherchent peau contre peau au bout de leurs doigts, deux êtres qui se trouvent, se découvrent, qui ont brisé les portes, arpenté les longs couloirs de leurs craintes et fait le chemin, deux âmes entremêlée qui dansent en ne faisant plus qu'un.

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Toute la rumeur du monde. Un amour anonyme... Quelque chose d'impersonnel. "Je ne sais pas ce que j'ai vu mais je sais que je l'ai vu". Quelque chose qui résiste. Étrange comme tes yeux brillent, étrange comme ton regard est profond. Vif et sombre. Quelque chose tente d'en faire trembler les fondements. Nous lui opposons cette force immanente et obscure. Quelque chose d'insensé. Quelque chose d'une soudaine réversibilité. C'est comme ça. Ça va sans cesse. Ici et là, maintenant et tout le temps. C'est partout ça ne va nulle part. Ça bruit, ça résonne. Ça n'appartient à personne. Et je reste là, pensive, évasive... impassible.

jeudi 19 mai 2011

551 : mercredi 18 mai 2011

Léon se dit qu’il y avait décidément peu de risques qu’un jour Emma émarge…


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Je me souviens de mon enfance comme vécue dans un conservatoire. Nous arpentions des couloirs silencieux, surtout ne pas élever la voix, surtout ne pas faire de bruit, et derrière chaque porte s'élevaient des tempêtes assourdissantes et incompréhensibles. Je me souviens d'une enfance sur la pointe des pieds à ménager ma mère. Elle ne nous a jamais maltraité dans le sens ou ni ses gestes ni ses paroles n'ont jamais brutalisé nos êtres. Pourtant malgré sa présence quotidienne, nous fûmes élevés par une mère absente, une mère triste et se débattant contre ses ravins noirs et profonds, une mère figée à un instant de sa vie, revivant sans cesse le même jour, le même manque. Avec un cri en elle aussi long que le jour.

mercredi 18 mai 2011

550 : mardi 17 mai 2011

Jamais Léon ne se demanda si les drogues de synthèse nuisaient aux capacités de digression.

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Elle monte les marches en courant, son foulard orange soulevé par le vent. Il la regarde, sans bouger, et l'attend. Souriant.

mardi 17 mai 2011

549 : lundi 16 mai 2011

Croisé Charles sortant de chez Spade, statue de faucon sous le bras…


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Elle monte les marches en courant, son foulard orange soulevé par le vent. Il la regarde, sans bouger, et l'attend. Souriant.

lundi 16 mai 2011

548 : dimanche 15 mai 2011

Sans doute parce que Léon était discret et bien élevé, et somme toute d’une affligeante banalité, personne ne dit jamais de lui qu’il était un véritable personnage de roman.

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Pour savoir si je grandis, je choisis un cocotier près de la décharge et je l'entaille à hauteur de mes yeux. Cette encoche coïncide avec l'extrémité du bracelet de métal entourant le cocotier. Tous en sont pourvus. J'ai voulu savoir pourquoi. L'école m'a répondu que c'est pour dissuader les rongeurs, parce qu'il y a des rats sur l'atoll, débarqués des bateaux quand on a planté la cocoteraie, et bien qu'à cette époque on ait vérifié les cales, on n'a pas désinfecté les bâtiments.


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Le soleil descendait sur la rue, en belles obliques entre les arbres, en festons suivant la ligne des toits de l'autre rive du canal, inondait la devanture de l'atelier, entraînait un bal de poussières à l'intérieur, se posait sur le métier et sur les mains de Guillaume. Jeanne a fait glisser les rideaux, a laissé la pièce, son ami, les laines, les livres, dans une pénombre douce et unie, a sorti à grands ahans deux des fauteuils de bois – merveilles lissées, massives et légères de leur ligne simplement cintrée – et une table, sur le trottoir, et s'est installée avec un verre de sirop, un tricot, un livre. Les passants hésitaient, cherchaient l'écriteau, d'autres tables, et puis repartaient en secouant la tête, considérant avec regret que ce n'était pas là un bistrot. Certains prenaient une photo.

samedi 14 mai 2011

547 : vendredi 13 mai 2011

Fiche personnage : inscrire Léon dans l’Histoire en amenant (subtilement !) que sa date de naissance fait écho à la convocation des États généraux…


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Alors, ça roule ma poule qu'il balance à David avec une tape sur l’omoplate. Son sourire découvre des dents particulièrement écartées. David se crispe, il ne va pas remettre ça, qu’est-ce qu’il croit, qu'y a un problème, de quoi je me mêle, c’est quoi cet air de ne pas y toucher et de surveiller, cette expression emplumée, comme s'il supposait que j'assure pas. Jusqu’à preuve du contraire, personne n’a jamais eu à se plaindre de ma façon de faire, alors que l'autre, je veux pas dire mais ça risque de péter un de ces jours, alors qu'avec lui, c’est toujours à l’arrache, de la casse, du ni fait ni à faire un dessin, après son passage c'est le Bronx à tous les coups. C’est mieux quand ça roule, comme il dit, que ses méthodes démantibulées et compagnie... David se lève et sort de la salle de contrôle.


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C’était se taire pour essayer de tirer profit du silence des autres.

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Elle regarde à travers la vitre du café. Sa main suit la pluie, les gouttes descendent nonchalamment la paroi froide et reflètent chacune une parcelle de lumière blanche qui illuminent ses yeux. Elle retrouve son enfance. Lors des trajets breton, au fond de la voiture, son visage se collait à la fenêtre et elle regardait la danse de l'eau chassée par la vitesse de l'engin, une 205 un peu cabossée dont le volant vibrait entre 90 et 120km/h mais se calmait immédiatement à 140. A l'époque, les radars n'existaient pas, les grands géraient les détails de sa vie, elle n'avait qu'à être sans songer à demain. Elle n'avait qu'à rester immobile dans la voiture de ses parents qui filait sur la route, qui partait d'un endroit pour l'emmener à un autre tandis qu'elle posait son regard sur le paysage flou et rêvassait. Aujourd'hui elle est assise et elle attend, les yeux dans la pluie blanche, les doigts sur la vitre, elle est à l'intérieur et sa vie s'est figée, elle respire, un deux trois, parfois c'est bien, de rester immobile, de reprendre son souffle avant de repartir. La pluie s'arrête, elle tend son visage vers le soleil, inspire longuement puis se lève pour payer l'addition.


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Elle réalise que sa tristesse est une sorte de barricade qu’elle ne peut détruire tant son désarroi est grand face à l’immense inventivité destructrice de l’homme. Malgré tout, elle continue d’aimer la vie, les hommes, elle ne peut concevoir qu’ils poursuivent inlassablement leur travail de sape, elle se prend même à rêver à un autre monde, différent, dans lequel chaque peuple serait reconnu, respecté, apprécié pour ses différences. Un monde dans lequel voyager librement, à la rencontre des plus simples, ceux qui ne demandent rien d’autre que de pouvoir vivre en paix. Un monde où le langage serait partage, où tout commerce serait banni. Elle récuse toute suprématie, tout pouvoir, tout jugement à ces nations soi-disant évoluées…A quoi cela mène-t-il sinon au mépris, à l’ignorance, à la traîtrise, à la violence, aux massacres, à la destruction ? Comment ne pas en avoir la nausée ? Et pourtant, partout dans ce monde, des individus se démènent pour redonner espoir, pour clamer leur révolte, pour défendre le droit de penser librement, de vivre, de créer… Ceux-là nous réchauffent le cœur, nous rendent le sourire, effacent pour un temps les champs de ruine.

vendredi 13 mai 2011

546 : jeudi 12 mai 2011

Léon demeura bouche bée en apprenant qu’un logiciel de synthèse vocale portait son nom.

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C’était youtuber tout le jour parce que ne pas pouvoir s’y remettre sérieusement et, au bout de soixante quatre vidéos mélangées de lolcats, fails, buts du siècle, concours de dunks, extraits de sketchs passés à la télé, extraits de vieilles émissions, archives INA, bandes annonces Allociné, live studio KCRW, extraits de concerts, finalement trouver la solution technique ; en fait, plus précisément, le truc venait, tombait de nulle part, se déposait sur les paupières alourdies et agacées cette astuce de contournement inédit, ce développement auquel personne n’avait, pour cette fonctionnalité, pensé, et, ainsi, gagner plus que deux fois le temps perdu ce jour à surfer ; et aussitôt poser dans le code les bases de cette solution ingénieuse, vérifier en quelques tests que c’était le raccourci qu’il fallait emprunter et se dire : que quelqu’un vienne donc me reprocher de m’être abruti aujourd’hui ! Être, pour une fois, fier de son travail, sans toutefois pouvoir s’en vanter ouvertement.

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Il bascule son siège, met les pieds sur la table et sifflote en faisant tourner un stylo dans sa main. Aujourd'hui il y a une nouvelle secrétaire, une jolie intérimaire dont le rire résonne le long des murs jusqu'à son bureau. Sa jupe est un peu plus courte que celle des autres, son sourire plus malicieux et son regard plus franc. Il fait tourner son siège en regardant regardant par la fenêtre, ses doigts hésitent à glisser vers le bouton de l'interphone, ou vers celui de son pantalon peut-être, il y a une nouvelle secrétaire aujourd'hui, sa jupe virevolte et son pas sautille. Il rêve encore un peu, l'air pétille, son corps s'étire, le téléphone sonne. "Votre rendez-vous est arrivé."

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L’enfant était assis sur un banc, près du square, seul. De loin, on était attiré par les couleurs de son bonnet, d’où s’échappaient de longues boucles brunes. Était-il endormi ? Il ne bougeait pas, la tête baissée, ses petits poings serrés comme s’il voulait cacher un trésor. Je m’approchai doucement, puis m’assis à ses côtés. Il devait avoir cinq ou six ans tout au plus. Il ne dormait pas, il murmurait, de sa petite voix chantante, des paroles décousues, dont je ne pus saisir le sens. Lorsque je lui ai dit bonjour, il a relevé la tête : ses yeux noirs lui mangeaient le visage. Dans son regard, quelque chose m’a alarmée. Mais il n’a rien dit, s’est écarté et a recommencé sa litanie incompréhensible. J’ai regardé ses mains dans lesquelles il dissimulait quelque chose. Je lui ai demandé s’il allait bien. Il m’a répondu : « Oui, j’attends ma maman. » Je lui ai dit au revoir et me suis éloignée. Deux heures plus tard, l’enfant était toujours là. « Ta maman n’est pas venue ? » « Non, elle travaille, je garde la maison. » C’est alors qu’il a ouvert ses mains dans lesquelles il gardait… une clef. « C’est pas le jour de l’école, je dois attendre maman ici, j’ai promis ! » Nous sommes restés tous les deux sur ce banc, jusqu’à midi. Je lui ai raconté des histoires qui l’ont fait beaucoup rire. Jusqu’à ce que sa mère arrive, très en colère parce qu’il parlait à une étrangère. « Je lui ai interdit de parler aux gens, il m’a promis de rester sage ! Je dois travailler, j’ai personne pour me le garder ! Allez-vous-en ! » De peur qu’elle s’en prenne à l’enfant, je me suis éclipsée. Je les ai regardés s’éloigner et, à ma grande joie, j’ai vu une petite main se lever en guise d’au revoir. Il ne m’a même pas dit son nom. Un bambin de six ans, sage, raisonnable, patient, un peu triste, livré à lui-même, à la rue, une matinée entière, avec pour mission de « garder sa maison » ! Heureusement, dans notre ville, il y a beaucoup de bancs !

jeudi 12 mai 2011

545 : mercredi 11 mai 2011

Léon regrettait secrètement le temps des romans-feuilletons où les femmes, plutôt que vouloir à tout prix s’épanouir, se contentaient de s’évanouir.

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9. Le crayon de Bernard Delvaille Bernard Delvaille aime les magnolias du Jardin public. Il va souvent s’asseoir à leurs côtés pour écrire. Il est jeune et envisage sérieusement, violemment même, de quitter Bordeaux. À deux pas du Jardin public il va au lycée – aujourd’hui Montesquieu où il a pour ami Michel Suffran avec qui il parle de ses lectures : Valery Larbaud, Coleridge, Mallarmé, Paul Valéry, Rimbaud, Marcelline Desbordes-Valmore… Il écrit ses premiers poèmes dans de longs carnets étroits – du modèle de ceux utilisés par Marcel Proust – avec un vieux reste de crayon car il est économe. Il a troqué le crayon neuf à la librairie de son amie Nicole Petiteau contre des timbres. Il porte des guêtres blanches par-dessus ses chaussures noires toujours parfaitement cirées et, lorsque le soleil tape particulièrement, une façon de vieux chapeau qui a du être un Panama lui ombrage le front. Il habite à deux pas du Parc Lucie, à Caudéran. Il rêve de Londres et de Venise où il mourra. 10. Le crayon de Raymond Guérin Au stalag, Raymond Guérin prend soin de son vieux bout de crayon comme de la prunelle de ses yeux. Raymond Guérin a une très mauvaise vue. Comme il écrit beaucoup, dans la moisissure des jours, il cherche sans cesse de nouveaux bouts de crayons et des feuilles de papier, ou mieux encore des cahiers. Par chance Raymond Guérin a une très petite écriture, assez régulière. Cela lui permet de mettre beaucoup plus de mots sur une seule page que, mettons, Michel Chaillou qui lui écrit très gros. Il tient un journal en Allemagne et écrit des milliers de pages qui deviendront ses grands romans.

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Ils avaient faim, ou c'était l'heure qu'ils avaient prévue pour leur déjeuner. Ils se sont arrêtés devant l'enseigne. Ils s'interrogeaient sur ce qu'annonçait ce nom : « l'essentiel ». Pour Jacqueline, qui voulait se débarrasser rapidement de cette formalité parce qu'elle ne voulait pas transiger sur les visites qu'elle avait programmé ensuite, cela annonçait un plat unique, simple, assez consistant pour être rapidement nourrissant, agréablement fonctionnel, ne demandant pas une attente importante. François espérait que les sauces, graisses, sucres seraient bannis. Guillaume que la carte se consacrait à l'essentiel c'est à dire au plaisir, y compris un certain raffinement, un peu de luxe discret, une tentative de perfection, l'abolition de tout autre programme, et le renvoi des visites décidées par sa femme à leur place subalterne. Claire voulait croire en des assiettes de crudités de belle qualité et présentation, et Renaud est entré, les entraînant derrière lui, l'essentiel étant de prendre une décision.

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C’était reprendre sa mauvaise langue sept fois dans sa bouche et copier cent fois, « d’où vient ton salaire, d’où vient ton salaire, d’où vient ton salaire », en espérant que le marketing recopie la même phrase. Reprendre le cours prévu des développements en intercalant, pour la semaine suivante, l’idée neuve. Boire un café.

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Encore une fois elle se tait. Ou plutôt, elle parle en s'ignorant elle-même, la rage au cœur, l'amertume au ventre, le sourire aux lèvres. Forcément, comment pourrait-elle être écoutée. Sa voix disparaît dans le brouhaha des conversations de circonstance. Quelqu'un lui flanque une coupe de champagne à la main, félicitations, quelle belle promotion, il paraît que la Creuse est magnifique en cette période de l'année. Elle boit d'un trait, en redemande. Elle, elle voulait être mutée au siège à Paris, rester dans les pots d'échappements et les tunnels de métros. L'air pur, l'écologie, les chèvres et les moutons, elle s'en fout.

mercredi 11 mai 2011

544 : mardi 10 mai 2011

Peu importait à Léon que muscadet comme muscadin ne puissent s’envisager que jeunes.

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C’était respirer en se pinçant le nez une idée coûteuse du marketing, mais vendeuse sur le moment, promettait-on, à vite développer avant la fin du mois et intégrer aussi vite ; qu’il faudrait sans doute ôter proprement, sans laisser de trace, dans six mois.


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La voiture avance en hésitant sur le chemin caillouteux. Eugène retrousse ses manches à côté du conducteur, les yeux plissés face au soleil et tâchant de discerner les champs à travers poussière volant au dessus des blés. C'est qu'il faudrait qu'il pleuve, n'en déplaise aux touristes.


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Le vieil homme a traversé la rue sans regarder. Heureusement pour lui, à cette heure matinale, seul un cycliste roulait sur la chaussée, tranquille, en sifflotant. Il a fait un petit écart, puis a continué son chemin. Le vieil homme, tout de même un peu secoué par son imprudence, en a lâché le dossier qu’il avait sous le bras. Des centaines de feuilles se sont envolées, se répandant sur le trottoir, dans les caniveaux, sur le bitume, tourbillonnant jusqu’aux devantures des magasins. Ce matin là, c’était drôle de voir chaque passant s’arrêter, se courber pour ramasser un feuillet, continuer d’avancer tout en déchiffrant son texte. On aurait dit un ballet, tant les gestes étaient précis et répétitifs, les attitudes similaires, la concentration exemplaire ! Quelques exclamations fusaient. Notre vieil homme, lui, était tout à la fois désolé et souriant. « Cela fait vingt ans que j’écris ces poèmes, personne n’en a jamais voulu ! Regardez, ils les lisent ! », nous a-t-il confié, presque guilleret. Le boulanger lui a offert un croissant, l’a aidé à ramasser les textes éparpillés, et à la plus grande joie du petit homme, les a affichés au bas de sa vitrine. Parfois, dans cette ville, souffle un vent nouveau qui met en joie ceux qui se lèvent tôt.

mardi 10 mai 2011

543 : lundi 9 mai 2011

Notes préparatoires : contacter le constructeur automobile SEAT afin d’envisager un partenariat.

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C’était se réveiller au son enroué d’une réunion mal menée.

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Ils s’étaient tus, tous les deux. Elle, totalement vidée, adossée au mur, le regard fixe, raide. Lui, penché à la fenêtre, son éternel mégot entre ses doigts jaunis, agrippé à la rambarde, comme si son salut en dépendait. L’appartement était vide depuis longtemps. La vie l’avait déserté. La vie, cette putain de vie ! Elle leur avait tout pris. Jusqu’à la plus infime parcelle d’espoir. Il se retourna, ferma la fenêtre, traversa la pièce et la prit dans ses bras. Elle se laissa faire, à bout de force. C’est fini, fini, fini. J’ai l’air idiote. Il m’étouffe. Myriam ne pouvait plus penser. Son corps se mit à trembler, il la serra plus fort encore. Ne pas la lâcher, ne pas la laisser s’enfuir, surtout ne plus la lâcher, jamais ! Combien de temps restèrent-ils ainsi ? Lorsque le gardien les trouva, il faisait presque nuit. « Il faut partir, maintenant ! Allons, Monsieur, je dois fermer l’appartement. Monsieur ! » Bernard se secoua, fusilla le gardien du regard et entraîna Myriam jusqu’à l’escalier. Elle ne tenait plus sur ses jambes. Il la porta jusqu’en bas, l’assit sur la dernière marche puis, comme un fou, se mit à gesticuler, à hurler : un taxi ! Vite ! Un taxi ! Le chauffeur qui s’arrêta était très jeune et s’étonna de voir cet homme qui portait une femme dans ses bras. « Elle est blessée ? Je vais à l’hôpital ? C’est grave ? Monsieur, s’il vous plaît, répondez-moi ! » Bernard lui donna une adresse, le chauffeur démarra, un peu rassuré. Myriam avait les yeux clos, les lèvres blanches, de grosses larmes roulaient sur ses joues si pâles. Bernard examinait intensément ce beau visage, lui murmurait des phrases inaudibles, lui passait la main dans les cheveux, la massait, embrassait tour à tour ses mains, ses bras, son cou, ses lèvres closes. Le taxi s’arrêta, Bernard tendit un billet et descendit. Délicatement, il sortit Myriam de la voiture, puis la porta précieusement jusqu’au bout de la rue. Alors, le chauffeur, médusé, assista à l’étrange ballet d’un homme ivre de douleur qui dansait en silence sur la chaussée, un pantin désarticulé dans ses bras.


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Les lettres pleurent de ses yeux et les mots coulent et de ses doigts. Il dit adieu de loin de peur de fléchir face à son regard de biche et ses lèvres tristes et tentantes. L'encre lui est difficile mais nécessaire. Après tout, il est marié. La nounou de ses enfants ne devait être qu'une passade d'été, il ne pensait pas que dix ans après il en serait a payer son loyer et celui de ses parents. Il l'aime, mais il préfère son compte en banque et plus encore celui de son épouse...


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Recourir à la logique ne sert à rien contre la fièvre ; à l'évidence la fièvre est là tu trembles, tu transpires, la lumière écrase tout. Tout murmure devient cri. Ce bourdonnement sourd... Sommeil sans sommeil comme voué à songer. Dans la boîte crânienne la douleur sillonne. Longtemps tu attends. le temps se distend. La fièvre résonne de tout son poids sur la pensée, lourdement, lentement les images se déforment, leurs chemins se distordent. Tout ton être se voue à suer, à transpirer, pour évacuer. Tu te consacres à cette patience, douloureusement, tu implores le silence. La fièvre et ses reliefs : tu luttes, dans ta réalité fatiguée, tu y es forcé. Recourir à la logique ne sert à rien contre la fièvre.

lundi 9 mai 2011

542 : dimanche 8 mai 2011

Si Léon admettait sans trop de difficultés que l’aigle puisse être agile, il doutait en revanche d’une quelconque trace de malice chez la limace…


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Le bâtiment de l'école est juché sur sept mètres de corail : ce tertre constitue le point culminant de l'atoll. Il est délimité par un enclos qui peut contenir l'ensemble de la population. L'école m'enseigne que celle-ci affiche un chiffre stable, d'environ quatre-vingts personnes, mais que les habitants changent régulièrement, parce que les plus vieux prennent leur retraite et s'en vont sur l'île haute, dès que des jeunes arrivent et récoltent le coprah à leur place...

541 : samedi 7 mai 2011

En mai, Léon avait pour habitude de faire ce qui lui plaisait : rien.

samedi 7 mai 2011

540 : vendredi 6 mai 2011

Passé au Blue Moon bar hier soir ; repris avec la serveuse notre conversation sur le hasard (rien trouvé de mieux pour engager la conversation…) ; m’a longuement parlé de son prénom, Priscilla qui, derrière ses allures de série américaine (dont sa mère était fan, ceci explique cela), cache des références théologiques dont je n’ai retenu que peu de choses, sinon que le goût de Priscilla (plus ça va plus j’adore ce prénom) pour l’astrologie, les horoscopes et toutes les histoires de planète et de zodiaque et compagnie était lié aux origines lointaines de son prénom, étant donné que Priscilla ce serait le féminin de Priscillien, fondateur du priscillanisme, une hérésie d’il y a longtemps et qui a été combattue (et là ça devient carrément délirant rapport au hasard et tout et tout !...) par un pape qui s’appelait Léon 1er !...


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Appâté par ce pari d’ici ainsi que des dits, se radiner, passer au feu carmin au ras du passage, passer à l’as. Riant. Rayé. Raplapla resta. Rare impact sans pacte. Une part de paradis sans parade improbable ni parcours rapide. Parmi les apparats ravis, la parodie fait risette.

vendredi 6 mai 2011

539 : jeudi 5 mai 2011

Notes préparatoires : comment expliquer que Wikipédia consacre un article aux papes Léon 1er le Grand et Léon IX mais ignore les sept autres pontifes du même nom ?


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C’était naviguer sur des hauts troubles, pointes des sommets piquant nos pieds, on courait les mains vides, même pas après l’espoir.


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Même si elle oublie souvent de vivre, ma voisine est jolie. Elle broie sa solitude dans des routines sclérosées de tristesse et d'ennui.


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Le redoutable et très intempestif bourdonnement de la mouche noire à l'heure de la sieste...


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Étrange impression ! Être tout à coup dans la conscience extrême d’un retour à la vie. Une autre vie, pas la sienne, non, un autre chemin qu’elle découvre au fil des jours. Elle s’y dirige sans peine, le cœur léger. Elle y retrouve toutes les sensations perdues mais par-dessus tout l’émerveillement ! La magie qui s’opère la fait parfois vaciller. Elle est à la porte du monde et le ciel, comme un léger voile, ondule au gré du vent. Son corps vibre d’une joie intense, la lumière donne un sourire à ses yeux. Le chant des grillons et le souffle du vent la bercent, il lui semble qu’un nuage la caresse, elle s’abandonne un instant. Douceur, silence, harmonie. Le temps s’étire délicieusement, elle le laisse faire : ici, c’est le royaume des fées.

jeudi 5 mai 2011

538 : mercredi 4 mai 2011

Léon savait par expérience que nul besoin d’être traducteur pour devenir traître.

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C’était reprendre encore et encore le possible qui se cachait hier encore et le haler le long du projet qui tombait déjà dans le creux des premières grosses vagues, sous une tempête naissante mais surtout invisible car le ciel, pour tous, se devait de rester bleu et paisible.


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Soir de fête – violons et flûte, une petite sonate – champagne - épaules nues et chignons au bord de la déroute – sorbets aux poires, granités de café, petits gâteaux effilés et vent dans les branches des arbres du parc.


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D'un geste de la main, elle balaye les objections, s'immisce dans la conversation. Jambes nues croisées, cheveux dénoués, le rire libre et joyeux, sans ambiguïté. Difficile de ne pas l'aimer, difficile de le pas l'attendre et la suivre dans ses aventures fantasques. A 63 ans, Jeanne est encore un leader dans le bureau des secrétaires.