vendredi 13 mai 2011

546 : jeudi 12 mai 2011

Léon demeura bouche bée en apprenant qu’un logiciel de synthèse vocale portait son nom.

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C’était youtuber tout le jour parce que ne pas pouvoir s’y remettre sérieusement et, au bout de soixante quatre vidéos mélangées de lolcats, fails, buts du siècle, concours de dunks, extraits de sketchs passés à la télé, extraits de vieilles émissions, archives INA, bandes annonces Allociné, live studio KCRW, extraits de concerts, finalement trouver la solution technique ; en fait, plus précisément, le truc venait, tombait de nulle part, se déposait sur les paupières alourdies et agacées cette astuce de contournement inédit, ce développement auquel personne n’avait, pour cette fonctionnalité, pensé, et, ainsi, gagner plus que deux fois le temps perdu ce jour à surfer ; et aussitôt poser dans le code les bases de cette solution ingénieuse, vérifier en quelques tests que c’était le raccourci qu’il fallait emprunter et se dire : que quelqu’un vienne donc me reprocher de m’être abruti aujourd’hui ! Être, pour une fois, fier de son travail, sans toutefois pouvoir s’en vanter ouvertement.

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Il bascule son siège, met les pieds sur la table et sifflote en faisant tourner un stylo dans sa main. Aujourd'hui il y a une nouvelle secrétaire, une jolie intérimaire dont le rire résonne le long des murs jusqu'à son bureau. Sa jupe est un peu plus courte que celle des autres, son sourire plus malicieux et son regard plus franc. Il fait tourner son siège en regardant regardant par la fenêtre, ses doigts hésitent à glisser vers le bouton de l'interphone, ou vers celui de son pantalon peut-être, il y a une nouvelle secrétaire aujourd'hui, sa jupe virevolte et son pas sautille. Il rêve encore un peu, l'air pétille, son corps s'étire, le téléphone sonne. "Votre rendez-vous est arrivé."

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L’enfant était assis sur un banc, près du square, seul. De loin, on était attiré par les couleurs de son bonnet, d’où s’échappaient de longues boucles brunes. Était-il endormi ? Il ne bougeait pas, la tête baissée, ses petits poings serrés comme s’il voulait cacher un trésor. Je m’approchai doucement, puis m’assis à ses côtés. Il devait avoir cinq ou six ans tout au plus. Il ne dormait pas, il murmurait, de sa petite voix chantante, des paroles décousues, dont je ne pus saisir le sens. Lorsque je lui ai dit bonjour, il a relevé la tête : ses yeux noirs lui mangeaient le visage. Dans son regard, quelque chose m’a alarmée. Mais il n’a rien dit, s’est écarté et a recommencé sa litanie incompréhensible. J’ai regardé ses mains dans lesquelles il dissimulait quelque chose. Je lui ai demandé s’il allait bien. Il m’a répondu : « Oui, j’attends ma maman. » Je lui ai dit au revoir et me suis éloignée. Deux heures plus tard, l’enfant était toujours là. « Ta maman n’est pas venue ? » « Non, elle travaille, je garde la maison. » C’est alors qu’il a ouvert ses mains dans lesquelles il gardait… une clef. « C’est pas le jour de l’école, je dois attendre maman ici, j’ai promis ! » Nous sommes restés tous les deux sur ce banc, jusqu’à midi. Je lui ai raconté des histoires qui l’ont fait beaucoup rire. Jusqu’à ce que sa mère arrive, très en colère parce qu’il parlait à une étrangère. « Je lui ai interdit de parler aux gens, il m’a promis de rester sage ! Je dois travailler, j’ai personne pour me le garder ! Allez-vous-en ! » De peur qu’elle s’en prenne à l’enfant, je me suis éclipsée. Je les ai regardés s’éloigner et, à ma grande joie, j’ai vu une petite main se lever en guise d’au revoir. Il ne m’a même pas dit son nom. Un bambin de six ans, sage, raisonnable, patient, un peu triste, livré à lui-même, à la rue, une matinée entière, avec pour mission de « garder sa maison » ! Heureusement, dans notre ville, il y a beaucoup de bancs !