lundi 31 octobre 2011

703 : dimanche 30 octobre 2011

Une vague court et se répand près du jeune homme... l’océan s’est rapproché. Il se détache de son corps, le soleil rougeoie sur ses épaules. La jeune femme est identique à la statue qu’il a façonnée sur la plage. Leur poitrine présente le même volume. Pour s’en assurer, il place ses paumes sur les seins de la sculpture. Il appuie sur les pointes, trop fort et des fissures apparaissent. Retirant ses doigts, il balaie du regard la jeune femme immobile. Du sable humide adhère encore à son ventre et ses cuisses. C’est elle, sa statue... c’est elle dont il doit terminer les détails.




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Tamel, malgré son jeune âge, se rendait bien compte que quelque chose n’allait pas entre lui et les autres Hûles. Les enfants aussi bien que les adultes évitaient, autant qu’ils le pouvaient, de croiser ses pas. Lorsqu’on lui adressait la parole, Tamel percevait toujours un peu de crainte dans la voix de son interlocuteur et, rarement celui-ci osait le contredire, biaisant le plus souvent, notamment les plus âgés, pour éviter tout conflit avec lui. Par ailleurs, de temps à autres, le jeune garçon avait surpris des conversations dans lesquelles il apparaissait clairement aux yeux des autres comme un être d’exception un peu effrayant, presqu’un monstre. Et Tamel ne voulait pas, à sept ans à peine, être un monstre. Il souhaitait plus que tout cette fragilité qui chez ses camarades du même âge suscitait la douceur et la tendresse de leurs parents ou des autres adultes. Depuis longtemps déjà il avait renoncé à jouer de ces talents, ces capacités particulières qui faisaient de lui un être si différent des autres. Un matin, l’enfant au sortir de son lit pénétra dans la chambre de ses parents. Sa mère poussa en le voyant un cri effroyable qui traversa toute la maison et du s’entendre dans une partie du village. « N’aie pas peur maman ! - lui-dit-il - J’ai enlevé dans ma tête tout ce qu’il y avait de trop. Le trou au milieu de mon front ne tardera pas à se refermer. Désormais, grâce à ce petit creux dans ma tête, moi aussi je suis un tout petit enfant.

dimanche 30 octobre 2011

702 : samedi 29 octobre 2011

Il faut encore et encore apprendre à voler. C’est le mot d’ordre des Braviateurs. Apprendre à voler pour de bon, avec ses bras, ses jambes, son corps, à l’écart têtu de toutes ces machineries sophistiquées qui vont du costume de cire au Boeing A 320. Car tout est affaire de poésie et de volonté. Si des progrès notables ont été relevés en matière d’envol, aucun Braviateur n’est à ce jour parvenu à se maintenir dans l’air. Mais le renoncement n’est pas inscrit dans leurs gènes. Les Braviateurs vivent dans l’enceinte de canyons et aux flancs de montagnes dont ils parsèment les vallées, au fil du temps, de petites tâches rouges comme des haïkus.

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Tamel regagna le village deux jours après le passage du souffle, de cette respiration sauvage qui avait emporté avec lui tout ce que les Hûles possédaient d’images d’eux, de leur ancêtres et même de la moindre de leurs bêtes. Comme convenu, son frère lui laissa l’usage de leur corps et l’enfant vivifié par cette présence à lui-même se mit à déambuler à travers les rues. Chacun avait à lui raconter à propos de ce qui avait été tornade pour les uns, cyclone pour d’autres, cataclysme pour tous. On commenta particulièrement l’étrange rapt, chacun ayant à déplorer la perte d’une peinture, d’un dessin, d’un buste en terre cuite auquel il tenait tout particulièrement. Lorsqu’il eut échangé un mot avec tous – cela lui pris la journée entière – Tamel regagna la demeure de sa mère, un sourire aux lèvres et les traits du visage au repos. La main n’était parvenue à rien saisir d’autre que de la matière inerte. Et son action maladroite avait même rendu service au Hûles elle les avait débarrassé de leurs peaux mortes.

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J'étais perdue dans mon rêve, ballottée en lui, en ce magma de lumières et d'ombres, de verts feuillages, à moins que ce soient créatures ou objets autres, mais verts, apparaissant, disparaissant, revenant à gauche, à droite, en dessous, de grandes barres obliques, noires ou brunes, comme des branches ou des ferrailles, de grandes draperies claquant au vent abstrait. Il me semblait que j'allais m'y heurter ou que j'allais en être frappée, que j'étais toute attention dans l'évitement de chocs qui s'évanouissaient sans que je m'en sente victorieuse. Il me semblait distinguer dans une zone - ou simplement savoir qu'elle existait, cette zone - un calme, une assise, un carrelage, un sol, et que je serais sauvée, sans bien savoir de quoi, en l'atteignant. Je me suis réveillée avant.

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L'intime et le privé (bruissements. papier froissé) "Oh là ici aussi le radar en aurait des choses à détecter. Après... Les secrets c'est sacré," dit-elle, "faut parfois s'en méfier... Surtout ceux des autres. Mais si ça vous regarde... Si vous y êtes conviés. Pourquoi s'en priver ?"

samedi 29 octobre 2011

701 : vendredi 28 octobre 2011

Est-ce en raison de sa phobie des souris que Léon ne parvint jamais à concilier son goût de la maïeutique avec celui des sports d’hiver ?


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Pendant l’absence de Tamel et de son frère, le village des Hûles faillit être aspiré par un vent violent, presque un cyclone qui tenta de l’arracher à la crique où les deux jeunes garçons l’avaient pourtant solidement arrimés. Quelques toitures furent soulevées, un ou deux pavés furent même emportés, mais étrangement, aucun des êtres vivants, humains ou animaux, ne ressentirent l’action de ce tourbillon. Au milieu des éléments déchaînés c’était comme si ce courant, cette volonté qui agissait à distance, était impuissante à localiser les occupants du village. Lorsque le calme revint, on s’aperçut que, dans toutes les maisons, les statuettes, les tableaux et jusqu’au moindre dessin, toutes les représentations imagées avaient disparues. Mais pas une puce ne manquait sur le dos des chiens.


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Immobile, au bout du sentier, l’enfant semble attendre. De temps en temps, elle lève la tête et regarde les nuages. Six ans, sept ans pas plus, des cheveux bruns, raides, tirés en arrière et noués avec un ruban. Elle est de dos, on ne voit pas son visage. Elle respire vite, comme si elle avait couru. Sa main gauche est fermée, elle y protège quelque chose. Elle est vêtue d’une veste en lainage bleue qui cache en partie sa jupette sombre. Des collants épais recouvrent ses jambes. Elle est chaussée de bottines rouges à lacets. Elle reste là longtemps jusqu’à ce que son petit corps frissonne. Alors elle se remet en marche, d’un pas plutôt sautillant. Une petite voix claire et chantante se fait entendre. Le vent se lève, les branches des arbres s’agitent, abandonnant ainsi leurs dernières feuilles. La petite s’amuse à les suivre des yeux jusqu’à ce qu’elles se posent au sol. Puis elle s’assied… Songeuse, elle se dit que leurs couleurs sont aussi belles que celles qu’elle a peintes l’autre jour pour sa maman. A-t-elle regardé sa peinture ? L’a-t-elle simplement déroulée ? Elle n’en sait rien, son petit visage se fripe, non, elle ne veut pas pleurer. Il faut qu’elle soit forte, elle a encore beaucoup de chemin à faire. Elle se relève, secoue sa jupe, ouvre sa main et compte ses sablés. Un, deux, trois ! Peut-être… oui ! Elle peut en grignoter un. Juste un. Elle s’applique, ferme les yeux. Elle se souvient… Sa maman avec le grand saladier, la farine qui l’avait fait éternuer, l’odeur du beurre, l’œuf qu’elle avait failli casser. Puis les grandes plaques dans le four et les sablés tout dorés qu’elles avaient fait refroidir avant de les ranger dans la grande boîte en fer un peu rouillée. « Cache tes yeux, on les mangera à Noël ! », avait chuchoté sa maman d’une voix joyeuse. Elle s’était prêtée au jeu. Mais ça, c’était avant ! Son petit front se ride, elle compte sur ses doigts : un, deux, trois. C’est pour ça qu’elle a pris trois sablés, pour ne pas oublier. Maintenant, elle est seule dans la forêt, elle doit marcher, ne pas penser à ce qui est arrivé. Parce que son mal au ventre l’empêchera d’avancer si elle se met à y penser. Alors elle décide de compter ses pas pour que sa tête ne travaille plus. Elle connaît le chemin. Elle y a gambadé plusieurs fois, avec sa grand-mère, quand celle-ci pouvait encore venir la chercher. Elle se cachait derrière un buisson, un tronc d’arbre, elles jouaient au loup toutes les deux… Elle aimait bien observer le visage tout ridé, les yeux écarquillés, mais surtout, la voix un peu inquiète qui l’appelait. Elle la guettait et hop ! Elle sautait derrière elle pour lui faire peur. Ca ne marchait pas vraiment…Grand-mère éclatait de rire à chaque fois ! C’est chez elle qu’elle va maintenant, toute seule, comme une grande. Il faut marcher plus vite… et surtout ne pas se retourner. Jamais ! Elle fait de plus grands pas, voilà, comme ça, c’est bien ! Maman serait fière d’elle, de son allure décidée. Ce sont les mots qu’elle employait. Là, la clairière aux papillons ! Le vieil arbre creux ! Un, deux, trois ! Le gros trou qui se remplit d’eau à chaque pluie ! Le terrier du renard, la grosse fourmilière, le petit bois des touffus, la pente des glissades… Un jour, elle l’avait descendue sur les fesses…grand-mère s’était fâchée. Un, deux, trois, un, deux, trois, un, deux… trois, ne te retourne pas, marche, marche, marche ! Elle guette la barrière du petit pré. C’est la fin du sentier, elle y est presque, les moutons sont là : aujourd’hui, elle ne s’arrête pas. Elle est essoufflée, son mal au ventre revient. Sur son visage, de grosses larmes coulent, elle renifle et accélère. Elle serre les sablés dans sa main, elle sent qu’ils s’écrasent. Un, deux, trois, un deux, trois, elle passe le petit pont, court jusqu’au lavoir, s’asperge le visage, ralentit, s’arrête. Son cœur bat trop vite, elle ne peut pas, non, elle ne peut pas lui dire…Elle souffle fort, inspire, souffle encore, c’est sa maman qui lui a appris à contrôler sa respiration, comme ça, oui, doucement, voilà ! C’est bien, bravo! Un, deux, trois… le petit portail du jardin… un, deux, trois… les marches… un, deux, trois… la sculpture de grand-père… un, deux, trois… le vieux banc qui gratte… un, deux, trois… attention, les orties ! Stop ! Elle arrange sa jupe, tire sur ses collants, essuie ses yeux, respire un grand coup, tente un joli sourire sur une jolie frimousse. Maman disait ça aussi, avant. Elle pousse la porte, entre, ouvre la bouche pour parler et ne comprend pas pourquoi les mots ne viennent pas. Elle dépose les sablés en miettes sur la toile cirée, se blottit dans les bras de la vieille femme, n’entend rien d’autre que son cœur qui bat trop fort et ce long hurlement qui sort de sa bouche. Elle se bouche les oreilles. Petit à petit, elle se calme, elle sent les caresses sur ses cheveux. Alors, elle relève la tête et martèle bravement : un, deux, trois, maman n’est plus là, un, deux, trois, maman n’est plus là, un, deux, trois, elle s’est pendue, un, deux, trois, je suis là, un, deux, trois, grand-mère, garde-moi, un, deux, un… J’ai les jambes en coton... Tu te souviens, grand-mère, c’est maman qui disait ça ! Mais ça, c’était avant !


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Le lampadaire s'alluma poussivement. - Ça sent la soupe des pieds, qu'est ce qu'on fait dans cette zone ? L'autre répondit que quand le vin est tiré, il faut le déguster. Le marin pensa que même pas arrivée à son zénith, sa vie risquait déjà de finir, une idée saumâtre dès son apparition. L'autre lui demanda de se détendre du genou, ensemble ils mettraient un peu de sel dans cette journée, de futurs bons souvenirs pour leurs os et le reste. Le marin savait qu'on le surnommait vautour quand il avait le dos tourné, il ajouta - Dis pas le contraire, c'est vilain. Rien ne le gave plus que cette pauvre attente dans ce terrain vide et mal éclairé, quand ils auront mis la main sur le trésor, à eux les grives, les côtelettes et les ortolans aux boutons de rose. La silhouette à côté de lui murmura : Met de l'eau dans ton vin, reviens avec moi, rien ne prouve qu'il y a un trésor ici, je ne sais même plus quelle heure on est ? Depuis qu'on est ensemble, le temps ne passe plus pareil... Midi ou minuit, quelle importance quand alentour est nuit, tellement dense que ça fout les foies. Mais pourquoi tu pars ? La voix du marin crissa curieusement entre les consonnes : - c'est vilain ce qu'on fait. Je préfère la trahison à l'échec. La lumière s'éteint une seconde. La femme pleura - Vers quoi tu pars, embarqué dans quelle dérive sur trop d'eau, trop salée, quand ça fait des plombes qu'on aurait dû dénicher l'or, ras-le-bol, si on ne peut même pas miser sur quelques brides d'espoir... Le marin parla de celle qui l'avait invité à sa table, ils avaient trinqué, les aubépines n'étaient pas encore écloses, un rouge-gorge chantait, une femme qui n'était pas hantée, elle, par une quête insensée pour effacer son insignifiance... La femme remarqua un bouton qui venait d'apparaître sur la joue mal rasée du marin. Surement le vin acide au goût vilain. Il la dévisagea d'un air buté, en se demandant qui c'est, comme si une inconnue venait d'apparaître en face de lui. Grande, aux cheveux roux, qui lui ressemble un peu. Ce ne serait pas ma mère ? Tu ne veux pas percer mon bouton ? Il me gratte, je crains qu'il en sorte une soupe de pus. Après, je me casserai, je retournerai à la lumière libre, je briserais la nuque du temps. Le soleil restera à la verticale. Il l'attrape, la ceinture. Elle soupire d'une voix de gamine, jeu de mains, jeux de vilains, vaudrait mieux pour ton esprit que tu laboures des champs pour y semer du sel ? Il s'énerve, crie - Tu m'appâtes avec un trésor inexistant, c'est ta faute si je suis dans cette merde ! Elle crie que chacun voit midi à sa porte et celle de ta lucidité est tellement étroite. Que quand la cruche est pleine, il faut trinquer. Le lampadaire grésille, s'éteint. - Mais quelle soupe merdique sort de ta bouche ? Dans le noir, statues de sel, ils restent.


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Derrière la ligne presque invisible qui ne mélange ciel terre, il y a l'autre monde. Celui des autres. Un monde abandonné à son sort depuis longtemps. Un monde du passé, mais d'un passé qui gesticule, qui remue comme on agonise. Aller là, vois-tu, c'est revenir en arrière, et ce n'est pas très encourageant. Aller là, vois-tu, c'est devoir remettre les prothèse, les masques dont on s'était déchiré avec peine. Peu importent les paroles proférés sur le chemin, la mule avance, dodelinant tranquillement, de cet air ridicule et périlleux des équins, comme si seulement marcher comblait les aspirations d'une vie, et évidemment elle ne répond pas à Farigoule. Farigoule n'a peut-être pas émis de son, d'ailleurs, et même s'il le croit. Les détours sont éreintants, pour tous les deux, pour la mule c'est un effort de se couler dans le lacet, pour Farigoule Bastard, c'est piétiner à nouveau sur ses pas. Parce qu'on a voulu passer par chez la Vieille, c'était l'occasion, on a d'abord pointé au sud, jusque derrière la Montagne ; puis revenir, remonter, pour retrouver la vallée qui permet d'avancer un peu au replat. La visite à Celle nécessite un nouveau col, et c'est encore une journée ou deux. Pour une autre vallée. Vers alors une troisième étape, la Balise, où se séparent les deux mondes : celui des humains devant, et celui de Farigoule Bastard. Celui vulgaire, bavard et plat, et la Baronnie. On n'est pas encore entré dans leur plaine à eux, ce grand organe étique, épineux, on dirait crevé, et étalé jusqu'au grand fleuve. On est encore dans nos marnes à nous. Dans le fossile du monde. La mer est là : pétrifiée. Les vagues se perpétuent de gris et de noir. On est encore aussi dans les buissons, les genêts et les bugranes, les grandes herbes dorées qui éventent, les rochers gréseux qui dégringolent. On doit passer la cluse, de grands blocs blancs renversés témoignent des tumultes d'hier, et au fond une ancienne bâtisse qui s'est étayée de leur massif. Un bout de ruisseau, aussi, pour la mule une aubaine, après cette première montée poussive. Ce n'est pas qu'elle peine à remplir l'office qui est dévolu à son espèce depuis la nuit des temps (il est enté en elle sous la forme de ses pattes). Ce n'est pas qu'elle renâcle à maintenir la pression de tous les muscles, et qu'on appelle endurance. C'est que l'instinct animal présume qu'elle n'a pas d'histoire dans un monde nouveau, elle soupçonne comme les animaux font : nerf et sang, et dans ce soupçon elle ne se retrouve pas, elle présage d'un sentiment très simple pourtant, comme un rocher ou un genêt pour un chemin, chez nous on l'appelle mémoire ou amour, pour les mules et autres bêtes proches, ce sentiment porte le simple nom de la mort. Il n'est jamais connu, il n'est que pressentiment. Chez nous il est d'hier : il est ici annonce, signal, sentiment diffus d'avant saut. Alors boire, c'est repousser ce bruit de fond dans les oreilles, ce bourdon, qui enfle ou s'épaissit à mesure qu'on avance. Boire c'est oublier.

vendredi 28 octobre 2011

700 : jeudi 27 octobre 2011

En raison d’un édit datant du haut Moyen-Age qui ne fut jamais réformé, les Gameloux n’ont le droit de s’exprimer qu’en holorimes. Si cette restriction leur a permis plus d’une fois de faire le tour, magnanimes, de la Tour Magne à Nîmes, elle a eu un effet moins heureux sur l’expression de leurs revendications sociales et l’évolution de leurs conditions de travail.

mercredi 26 octobre 2011

699 : mardi 25 octobre 2011

Pour ce qui est de la question d’exister, les Vivotins restent sur leur quant à soi. Ils croient fermement que chaque clin d’œil masque peut être une fin du monde et qu’un chapeau vu du balcon ne cache pas nécessairement un homme. Quand la vie les interpelle, ils y font volontiers un tour, mais la boudent dès qu’elle les ennuie. Il n’est d’ailleurs pas rare de voir un Vivotin foudroyé par une crise d’apoplexie dès les premiers échanges d’une conversation jugée trop terne et revenir à lui, une fois le décès constaté, au passage d’une cheville gracile. Naître, vivre et mourir signalent avant tout chez eux des sautes d’humeur. Bien qu’ils n’en revendiquent pas le statut, on peut raisonnablement les considérer comme des intermittents du spectacle.


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Le village n’était jamais resté aussi longtemps en un lieu. Quelque chose comme, une rencontre suivie d’un mariage s’était produit. Chacun savait que cela ne durerait pas la vie entière mais tous goûtaient ce sentiment nouveau. Ils avaient une terre. Elle les écoutait, les visitait souvent, toujours sans violence et leur laissait prendre tout ce dont ils avaient besoin pour continuer à peser doucement sur son corps. Tamel en profitait pour laisser plus souvent le corps à son frère, lequel rattrapait en des ballades sans fin à travers la montagne la fatigue qu’il avait en retard. Il put même s’y consacrer une semaine entière lors de laquelle Tamel disparut totalement. Même Grimace la chatte écaille de tortue à un œil ne percevait plus son odeur. Ces jours là, du lever au coucher du soleil, elle parcourait en tous sens les rues et les places en poussant régulièrement de petits cris qui ressemblaient autant à des plaintes qu’à des appels. Tamel était alors bien loin. Parti dans une de ces échappées qui effrayait tant sa mère autrefois. Du temps où l’enfant, pas encore en âge de parler, ne pouvait lui évoquer ces surfaces étrangement lisses et blanches où lorsqu’il en avait l’occasion, il parvenait à reposer non seulement son être complet, mais aussi, tous les petits génies qui l’habitaient.


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Dans mon rêve, étais assise sur la terre brune d'un chemin, et sous moi s'étendait à l'infini un pré ras, si ras qu'irréel, si étrangement vert qu'il devint, à l'évidence, peu à peu, quand le regardais, unifié, gorgé d'humidité, et puis marais très herbu, étang tâché de rayons de soleil, algues longues mêlées au reflet des feuilles d'arbres hypothétiques, et j'y nageais, eau dont le frissonnement se gelait jusqu'à se faire jade impur, et me suis penchée vers lui – me suis réveillée la joue à la lisière entre l'acajou et le cuir de mon bureau.


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Choisir un coin de ciel pour y poser ses yeux. Choisir un mot le prononcer laisser le temps passer s’en imprégner faire en sorte qu’il ne s’échappe pas de son sens. Choisir un son et voyager dedans. Choisir un rêve le parcourir s’en nourrir le laisser s’effacer. Choisir d’être soi-même et s’y tenir. Choisir un morceau de vie à partager. Choisir un sourire l’emprunter le faire sien. Choisir un geste l’étudier le rendre parfait. Choisir un texte à lire à dire à murmurer à chanter à hurler. Choisir un paysage s’y promener s’y délasser s’y retrouver. Choisir un désir le laisser en suspens le faire grandir s’en délecter. Choisir un arbre se coller à son tronc l’entourer de ses bras faire la paix en soi. Choisir un être aimé l’apaiser le rendre heureux. Choisir une idée la développer l’exprimer la faire vivre. Choisir de ne jamais renoncer. Choisir d’agir avec son cœur. Choisir sa solitude. Choisir son langage. Choisir sa résistance. Choisir de s’endormir sur un sourire. Choisir et respecter ses choix.

mardi 25 octobre 2011

698 : lundi 24 octobre 2011

La maman ourse ne laissa partir Damouce que lorsque celle-ci, et ses deux véritables petits oursons, eurent mis à nu de leur langue l’écorce de tilleul qu’elle avait soustrait aux abeilles de la forêt. Tamel n’eut pas à intervenir. Lorsque Damouce passa à proximité du volumineux plantigrade, elle eut le visage balayé par une énorme langue d’un rose noir râpeux. L’ourse laissa ensuite la fillette se diriger vers la sortie de la grotte. A l’instant où elle apparut dans la clarté du jour finissant, Tamel entendit comme une plainte en provenance de l’intérieur, suivie du rire joyeux de la fillette puis de ce qui devait être une tentative d’imitation de ce rire par les deux petits qui avaient partagé avec elle leur repas du soir. Quelques minutes plus tard, dans son lit, la fillette avait rejoint ses camarades du jour au continent des rêves.

lundi 24 octobre 2011

697 : dimanche 23 octobre 2011

Tel les trois mousquetaires, les Octolopes vont toujours par neuf. C’est là le chiffre de leur orgueil. Ce dont se gausse si souvent Septilia, la grande moqueuse à huit bouches.


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Damouce pleurait. Oui, c’était bien la voix de la petite fille que Tamel entendait. Il avait un besoin urgent de son corps mais aucun moyen de prévenir son frère. Quelque part sa petite amie souffrait, il pouvait entendre jusqu’à ses larmes couler mais n’avait aucune idée de leur cause. Tamel tendait tout son esprit pour que son frère revienne vite car son retour n’était pas prévu avant le coucher du soleil. Damouce pourrait-elle attendre jusque là. De temps à autres, les pleurs se calmaient un peu, mais après quelques secondes ils reprenaient de plus bel, il se sentait alors terriblement impuissant, là sur sa couche, à attendre que son corps soit à nouveau disponible.


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La musique déferle sur la plage, l’eau bondit sur les rochers, puis s’atténue sur le sable humide. Il caresse ses seins de sa langue, en frôle les pointes, les enveloppe de sa bouche. Sa poitrine est nue dans ses mains, il la regarde et l'embrasse. Elle s’humidifie sous ses lèvres. Il savoure sa chair imprégnée de salive, entame sa peau moite de ses dents. Ses doigts s'impriment sur ses seins, son visage s'y enfouit. Il les flatte de ses joues, tout en respirant l’odeur du sable et du soleil.

dimanche 23 octobre 2011

696 : samedi 22 octobre 2011

Je rêvais que j'avais marché trop longtemps, que je m'asseyais sur un tronc dans une clairière, que je sentais que je n'étais plus seule, que je voyais s'approcher de drôles de petits elfes – ou de petites ? - aux visages ronds et longs cheveux, bleus, rouges, verts ou jaunes. Je rêvais que ces petites créatures déposaient autour de moi des soucoupes de toutes les couleurs, qu'elles souriaient, que je leur souriais, que je les remerciais, dans l'attente de ce qui devait emplir ces soucoupes, que je disais que j'avais soif, qu'elles s'éloignaient, qu'elles revenaient en dansant avec chacune un broc, jaune, vert, rouge, ou bleu, qu'elles m'entouraient, et que, soudain, elles furent rires aigus au delà du supportable, stridences ricanantes, cheveux hérissés, entrechats, grimaces, et, qu'en gambades désarticulées, l'une après l'autre, elles vinrent m'inonder d'un liquide brun, suffocant et glacé. Je me débattis, tentant désespérément d'échapper à ce cauchemar, et j'émergeai dans le grelottement du réveil.


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Anselme donna de sa voix, grave comme l’ultime seconde « Que celui qui a emprisonné une petite corneille la relâche immédiatement !». A peine quelques secondes plus tard, chacun put voir une minuscule tâche noire rejoindre l’immense volatile qui avait inscrit sa révolte en une trace obscure et fugitive dans le ciel du village. Pendant quelque temps l’étrange couple dansa un ballet sauvage et harmonieux au dessus des maisons. Puis il plongea en direction du sol au point qu’on aurait pu croire qu’il allait s’y écraser. Il n’en fut rien. Les deux oiseaux rasèrent la foule, puis s’en furent en direction d’un des pics rocheux qui entouraient les Hûles. Ce fut seulement lorsqu’ils eurent disparu que l’on vit le corps étendu de Igorce le braconnier. Il était sans vie et sans regard. Les oiseaux avaient emporté ses yeux.

samedi 22 octobre 2011

695 : vendredi 21 octobre 2011

Quand un Pichoul avale un autre Pichoul, il sait qu’il n’en a plus pour longtemps. Un Pichoul va bientôt l’avaler. C’est ce qui fait la différence entre un projet de société constructif et une bonne pichoulade.

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Lorsqu’ils eurent terminé l’inventaire des biens du défunt Léon, ses héritiers ne dissimulèrent pas leur soulagement : leur parent n’avait laissé ni polichinelle ni manuscrit dans ses tiroirs.


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Un cri, suivit d’un second identique traversèrent la clairière où se trouvait le village. L’instant d’après presque tous les Hules, hommes, femmes, enfants et vénérables, se tenaient devant les maisons, sur le pas des portes ou dans la rue et regardaient le ciel. Un gigantesque corbeau y dessinait des courbes irrégulières jouant de l’étendue et des profondeurs, parfois sans aucun mouvement de ses ailes, d’autres fois en accélérant son vol de battements rapides et vigoureux. De temps à autres, après un piqué particulièrement appuyé, son corps couvrait d’ombre la quasi totalité du village.


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Farigoule Bastard est assis à la table de la Vieille à présent. C'est la première fois, depuis. Il a franchi le col de l'Homme Mort, en lui même l'effort ç'a été gravir aussi. Et sur le champ, c'est l'écheveau des chantages qu'on déroule. Qu'on pose en travers comme un chevalet et allez on envoie. Tu les as retrouvées ? elle commence. Non, j'ai parcouru tout le Dévers pour rien. Ou elles se sont bouffées, soit précipitées dans un biau, soit planquées dans un barte. Ou le loup. Le silence de la Vieille est un incendie, c'est-à-dire une catastrophe. Sur l'Albe, il y a une chevrette robuste, presque sauvage. J'entends bien l'intégrer au troupeau. L'an dernier elle est descendue d'estive avec nous. En retrait, en arrière, méfiante. Elle a passé les premières nuits dans l'enclos, mais n'a pas voulu de la bergerie. Cette année je l'ai vue guetter de loin, sur des rocailles. Il faudrait qu'elle se fasse saillir , mais le Rove est au tablier. Si en plus le loup. On n'en sait rien, il reprend, du côté de la vallée, vers Eyzahut, ils ont parlé, un veau tranché en deux. Plus près, sur le Tuègne, seize précipitées. Dans les deux cas, deux ou trois en cause, mais personne ne voit rien. Moi ici, je n'entends rien de dire. Personne ne monte plus jamais et toi : ça fait au moins vingt mois que tu n'as pas passé la porte. Je me suis fermée de silence. Je suis là, étanche, étrangée. De répondre : Les derniers mois n'ont pas été faciles, je te garantis. Je ne suis pas aux bavardages. Tu connais la terra lena, sur lesquelles rien ne pousse ? Je suis sorti de l'hiver comme ça, siliceux, stérile. Après, je ne renie pas, ni le passé ni les histoires, ni les sacrifices qu'à nos égards on a échafaudés. Mais il faudra le temps, tu parles d'une saison, tu vois une chaleur, c'est cette fleur là qu'il me faut recoudre, ce surjet là me désigne le jour. Je ne te suis pas Elle répond, tu parles trop sombre ou trop bien. Je ne te demande pas des explications, ou des dessins ou des histoires. Je veux que tu viennes, je te veux présent, un mur à l'ombre duquel je puisse me tenir. Alors tes histoires, tes dessins, tu peux les garder. Si tu viens pour ne pas venir. Si tu ne viens pas. Reste là-bas, reste dans ton cerne dans ton puits dans l'ombilic ton ombilic. Ce qu'on a vu on l'a trahi oui, ce qu'on a porté on l'a laissé tombé, ce qu'on a tenu on l'a lâché, maintenant laisse-moi sécher en paix, laisse-moi au soleil, avec le temps c'est comme un cordon coupé, ça se rabougrit, puis ça disparaît. Quant à Farigoule, aussi : après plus de mots que jusque là jamais, c'est la débandade. C'est comme un drapeau qui à force de vent s'effiloche.


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( ...un restaurant pakistanais entièrement muré. Sous la verrière du passage, des murs de bétons affleurent derrière les vitrines, un grand graffiti de tête de mort décore une palissade crade, le délabrement s’insinue entre les vitres scotchées, les carreaux ébréchés, les panneaux annonçant les ventes. Des joueurs de backgammon tournent lentement leurs visages éteints dans la direction de Noémie Mongin, l’un plisse légèrement les paupières avant qu’ils ne reprennent ensemble leurs poses momifiées. Un coup de vent s’engouffre en catimini. Le bruit de ses bottes résonne en écho net, la femme reconnait à peine sa silhouette épaisse dans une vitre poussiéreuse, depuis hier ses cheveux mi-long raccourcis en carré, un nouveau épais manteau. La vitrine d’un restaurant indien reste allumée, les tables vides recouvertes de nappes roses sont prêtes pour le second service. Elle se rapproche d’un haut miroir piqueté de minuscules taches, elle s'observe attentivement dans la lumière laiteuse, se trouve un peu pâle, les traits légèrement flous. Un air d'affamée. Orné de grandes antennes, un insecte marron déboule d’une des brèches du mur et avance sur son reflet. Quand il passe sur le dessin de sa bouche, elle ne peut retenir une grimace. Une pancarte de guingois sur un mur de briques de béton, des mots rouge vif tracés sur un fond jaune citron attention réfection en cours. Juste à côté d’une porte entrouverte qui laisse passer une odeur de lait de coco et de cardamome. Dans un froissement métallique, un corbeau atterrit à l’autre bout du passage, replie ses ailes et se met à picorer entre les dalles. De ce côté, personne, juste ce petit parfum qui papillonne jusque dans ses narines, douceur portée par un courant d'air et une porte qui oscille, l’odeur qui s’épaissit, Noémie Mongin tend la main, un tremblement d’air vif pousse la porte à sa place. Elle grimpe l’escalier brinquebalant jusqu’au premier étage jusqu'à une boutique. Deux personnes, cheveux blancs, attendent au milieu d’étagères à bocaux poussiéreux. De toutes les tailles, remplis d’insectes aux carapaces sombres. Derrière un comptoir, une obèse, aux traits évoquant vaguement un batracien, lit attentivement une feuille. Personne ne regarde l'arrivante, cependant elle ressent le poids d’un examen minutieux de la tête au pied. Ce ne sont pas des yeux qu’ils ont dans le dos mais des antennes. La vendeuse fait signe d'avancer, un grand sourire jovial se déploie sur ses bajoues de grenouille. Après avoir farfouillé dans un tiroir, elle extirpe un papier mauve plié en quatre qu'elle tend à Noémie. La femme saisit la feuille du bout des doigts, descend les marches grinçantes en soupirant à plusieurs reprises, longe le mur décati sous la verrière jusqu'à déboucher sur...)

vendredi 21 octobre 2011

694 : jeudi 20 octobre 2011

Le matin du jour où Damouce perdit sa première dent de lait, alors même qu’on était en plein milieu de l’été et que la contrée où s’était posé le village bénéficiait de toute évidence – il suffisait de voir sa végétation pour s’en convaincre – d’un climat particulièrement chaud, la température baissa au point que l’eau de la fontaine faillit geler. Tamel avait entendu dire par Anselme le rebouteux que les douleurs dues à l’afflux de sang étaient moins vives lorsqu’on leur opposait le froid. Or les jours précédents il avait cherché partout de la glace en vain. Même dans la grotte des Sedrons il ne restait plus rien de ce qui avait été entreposé pendant l’hiver. Et Damouce était si douillette !

jeudi 20 octobre 2011

693 : mercredi 19 octobre 2011

Les Vanuriens sont totalement liquides. Tout comme leurs maisons, leurs rêves, leur nourriture et leurs forêts. On les a d’ailleurs longtemps pris pour la mer.

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Partout elles l'accompagnent, un peu discrètes, anges-gardiennes et dégoût ailé. Des mouches, par paire ou par poignées, posées sur son épaules, en vol circulaire suivant leurs humeurs, mouche sentinelle et mouche balai. Il ne les chasse plus, s'est accommodé de leur présence. Hygiène ? Pas un jour sans qu'il ne se décrasse, en profondeur, avec une panoplie de produits efficaces et sans odeur. Il ne se l'explique pas, n'essaye plus, il est le moucheté, avec balayage des mains sur son passage, désormais il les reconnait, verte ou dorée, stomoxe ou drosophile, il attend sa tsé-tsé, s’accepte en piste d’atterrissage mais depuis quelques temps, supporte moins les chatouilles de leurs trois paires de pattes. Il voudrait des yeux à facettes. Parfois même lui prendrait l'envie de plonger, jusqu'au torse et au dessus, dans la vitrine du pâtissier pour s'accorder quelques brasses dans le sucre fondu.

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Après que le premier rayon de soleil a coloré le haut d’une montagne, dont il apprit plus tard qu’elle se nommait Chamouse, Tamel alla s’étendre dans la maison de sa mère, sur la couche où, son frère et lui se relayait en permanence lors des déplacements aériens du village. À présent que les Hules avaient gagné un nouveau port tous deux pouvaient vaquer plus librement au grès de leur fantaisie. Lorsqu’il s’affala sur l’épaisse couverture de laine, le jumeau de Tamel était parti en vadrouille depuis longtemps. Flottait pourtant encore dans l’air de la pièce l’odeur de son bâton, de son baluchon et de ce chien à l’humeur changeante qui le suivait toujours à un pas. Étourdi par ces senteurs, Tamel sombra immédiatement dans un sommeil de lune noire.

mercredi 19 octobre 2011

692 : mardi 18 octobre 2011

Questionnement La relation à l’autre est délicate. Si l’on essaie d’être honnête, de livrer avec exactitude ses pensées, sans toutefois oublier celui ou celle qui est en face de soi, il est souvent fort difficile de ne pas froisser ou blesser. Si l’on exclut le bavardage, il semble que le langage qui véhicule ses idées soit fort mal perçu. De fait, l’autre le reçoit et le décortique « à sa sauce » et de là, naît l’incompréhension. Si l’on parle avec son cœur, sans toutefois offenser son interlocuteur, on s’aperçoit qu’on touche au plus fragile de l’être, on danse sur une corde qui peut se rompre à tout moment… Si l’on parle avec raison, on fait figure de moralisateur, de redresseur de torts, de donneur de leçons, le message émis ne passe pas. Le plus souvent, on allie les deux, le choix des mots est important à condition qu’ils aient pour l’un et l’autre le même sens, ce qui n’est pas toujours le cas… Le silence, une qualité d’écoute, ne valent-ils pas mieux ? ... Dans notre monde de soi-disant communication, je suis frappée de constater l’extrême difficulté à se faire comprendre. Le fait de s’exprimer, sur quelque sujet que ce soit, est naturel. Malgré tout, j’en viens de plus en plus à ne proférer, et ce, par petites touches, que quelques mots réfléchis et choisis. Dans notre société d’hommes toujours pressés, je suis confrontée à mon handicap. Les conversations ordinaires m’ennuient profondément. Je me sens totalement inadaptée à ce mode de brassage, de balayage de la pensée : presque comme une étrangère, ne possédant pas la langue d’un pays qui est pourtant le mien, m’obligeant à revoir constamment le sens des mots, la façon de les prononcer, la manière de les employer afin d’être entendue. Je m’interroge : l’individu persistera-t-il à se laisser polluer, malmener, diriger, engloutir par un système débordant de médiocrité ? Nous sommes tous envahis, assommés en permanence de bruits, de slogans, d’images, d’interdictions, de contraintes, toutes sortes d’agressions qui étouffent ou perturbent grandement notre faculté de penser. Les débats accessibles à tous par les voix des medias en sont le triste reflet. Ce désir du « toujours plus » n’offre au bout du compte que le vide et le désespoir. L’être humain est devenu de plus en plus fragile, vulnérable, irritable, exaspéré ou exténué, il n’a que très rarement la possibilité ou la force de s’insurger. Le pire étant le désintérêt et la résignation. Le langage actuel des jeunes s’en fait l’écho: brut, sommaire, tronqué, direct, sans nuance. En quelque sorte un code. Comment faire pour que les relations entre individus ne soient pas seulement des moments de défoulement pendant lesquels on vomit le trop-plein imposé et le vide qui en découle ?

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N'était pas doux rêve, mais presque cauchemar. Étais emportée par un vent parfumé au cœur de flammes, effleurée d'orange, de rouge brillant, de jaune méchant. Voyais passer pans de murs, poteaux de bois, et ça n'en finissait pas, ça n'en finissait pas. Pourtant ce m'était joie, un peu craintive, mais joie, et ce qui aurait été ma chair se rétractait un peu et puis se jetait vers l'incandescence, jouait avec les formes mouvantes du feu, et je riais, oui je riais.

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Ce jour là, l’enfant en oublia le boire, le manger et le dormir. Mais rien ne lui manqua. Pendant ses heures d’immobilité il fut alors rocaille, hêtraie, prairies, nuages et raies de lumières, puis présence noire piquetée de lueurs traversées des cris nocturnes d’animaux libérés d’une partie de leurs peurs – celle qui leur venait de l’homme. Ce jour là, Tamel se nourrit de l’air de la montagne, du peu de rosée qui se déposa en fin de journée sur ses lèvres et surtout de la présence pleine et rayonnante de tous ceux qui, sans chercher à comprendre la cause de cette intrusion, cachés dans les fourrés, derrière un rocher, en leur terrier ou par les feuilles d’un branchage bas, épièrent, tant qu’il y eut des ombres, d’étranges créatures venues du ciel avec leurs maisons.

mardi 18 octobre 2011

691 : lundi 17 octobre 2011

Les Télébulides passent la première moitié de leur vie à parler sans répit, puis un jour, ils se taisent. Ils consacrent ensuite l’autre moitié de leur vie à écouter sans rien dire. On attribue généralement ce phénomène à leur vision très pure du dialogue intergénérationnel.


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Le village des Hules s’était posé dans un petit coin de montagne qui faisait comme une crique. Sauf qu’à la place de la mer, il y avait de légères pentes mi-boisées mi-rocailleuses et que la crique elle-même était constituée de montagnes où les pâtures de la belle saison alternaient avec des saillants le plus souvent à nu. Tamel aima de suite cet espace à la fois clos et ouvert sur de multiples horizons. Tandis que la plupart des villageois s’empressaient d’aller découvrir cette nouvelle contrée, il resta, assis devant la porte de la demeure de sa mère à déchiffrer l’infinité des nuances d’un contour dessiné par la rencontre du ciel et de la roche.

lundi 17 octobre 2011

690 : dimanche 16 octobre 2011

Ses épaules sont douces et rondes. Elle reste les yeux fermés, mains sur ses fesses, seins en avant. Encore dissimulés par du sable humide, ils sont amplifiés par le vent qui gonfle l’océan. Le jeune homme les effleure du doigt, délicatement. Il les prend dans ses paumes, tout en balayant les grains de sable. Le soleil réchauffe sa nuque. Il continue son exploration en caressant les pointes de ses pouces. Tiédis par ses gestes, les seins de la jeune femme sentent la lumière du matin, les herbes sèches dans les dunes et le jeune homme approche ses lèvres.

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Près de la porte Sud du village des Hûles se tenait un chien blanc. Tamel l’avait toujours vu à cet endroit, immobile, comme attendant son maître, censé faire des emplettes chez l’épicier tout proche, ou boire une pinte à la taverne d’en face. Ce jour là, l’enfant eut l’impression de s’apercevoir tout à coup de sa présence et toutes les fois qu’il était passé devant lui sans dévier de sa trajectoire ni en pas ni en pensée, toutes ces fois où il avait inconsciemment ignoré l’animal, vinrent l’assaillir de regrets. Tamel, s’arrêta devant le chien, flatta le beau pelage blanc parsemé de fines taches rousses. L’animal leva son regard vers l’enfant le plongea dans ses yeux, puis disparut.

dimanche 16 octobre 2011

689 : samedi 15 octobre 2011

Les Emoticons sont tous de grands émotifs. D’un point de vue taxinomique, ils considèrent cela comme une chance.


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Ça commence comme ça : une rencontre fortuite, un regard malicieux, quelques mots échangés et le cœur qui bat. On se sent un peu bête, on se dandine d’un pied sur l’autre, on répond du tac au tac, on rit, on s’effleure, on s’en excuse, on échange un sourire, on se guette, on se devine, on se surprend, on s’apprivoise, on se plaît, on cherche à se connaître, on se désire peut-être, on s’enflamme, on se passionne, on se trouve des goûts communs, on en rit, on s’enthousiasme, c’est sûr, on se plaît ! On bredouille, on se sent mal, on espère, on se découvre, on a peur de décevoir, on se rassure, on se rapproche, on n’ose pas, on attend… Puis on se donne rendez-vous, on se quitte, un peu ému, un peu soulagé aussi, on a besoin de temps, on s’éloigne sur une promesse…On est heureux, on marche vite, on sourit à tout, les rues chantent, on veut rentrer chez soi, on a besoin de se retrouver seul. Là, on souffle un peu, on s’examine, on se trouve trop moche, le nez trop grand, les cheveux ficelle, le corps sans grâce, l’air idiot. On déchante, on se dit que ça ne marchera pas. Puis on se reprend, on se repasse la scène, on sourit de sa maladresse, on retient un détail, une mimique, un mot. On espère à nouveau… À l’heure du rendez-vous, on se presse, on compte les minutes, les secondes. On est fébrile, les mains moites, le cœur bat trop vite. On marche de long en large, on guette chaque passant, on croit l’apercevoir, on se trompe, on se sent ridicule, on veut disparaître, on regarde cent fois sa montre, on doute d’avoir bien compris, on se traite d’imbécile. On le (la) voit tout à coup, on se précipite à sa rencontre, on bredouille quelques mots, on s’embrouille dans ses phrases, on cherche à gagner du temps. On se sourit, on se regarde intensément, on ose proposer, on est d’accord, on se sent des ailes, on est heureux, complices tout à coup ! On oublie sa gêne, on se prend par la main, par le bras, on se raconte mille petites choses, on éclate de rire, c’est fou, c’est fou ce qu’on se sent bien !

samedi 15 octobre 2011

688 : vendredi 14 octobre 2011

Léon, avant de noyer son désespoir, prit soin de l’accuser de la rage.

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De l'autre versant une vallée profonde dont le fond baigné d'une obscurité mate échappe... Un chemin étroit grimpe au flanc d'une montagne pelée, des pentes s'élèvent jusqu'à toucher piquant du ciel, des pentes de terre aux teintes qui varient selon l'altitude. Au-dessus arrivent les masses grises des roches, plusieurs centaines de mètres qui se transforment progressivement en aplats de neige de plus en plus brillantes, jusqu'aux cimes triangulaires qui se découpent nettement sur les premiers cumulus... Finie la moiteur tiède de l'atmosphère et l'humidité constante qui épaissit les cordes d'escalade. Suis-je pas prêt pour l'ascension, quelque chose se sert dans mon plexus. Avancée dans un froid sec qui enchante... J'aperçois un village qui ne se trouve pas indiqué sur ma carte rudimentaire: maisons aux fenêtres étroites, écharpes de fumées sortant des portes. Dans l'embrasure de la dernière demeure, une dizaine de femmes disposent des plats sur un buffet sculpté au couteau. De longs cheveux noirs encadrent leurs visages ovales. Allongées comme des feuilles de rhododendron leurs paupières lourdes cachent des pupilles d'encre. L'une me fait signe de m'asseoir près du foyer, elles me gavent de viandes odorantes et de tubercules tièdes tout en remplissant inlassablement mon verre d'hydromel, l'une commence à jouer d'un instrument à corde, deux autres chantent des airs différents pendant qu'on me masse les pieds. Dans ce cocon où chacun de mes sens est dorloté, tous les noeuds de mon corps s'apaisent, toutes mes blessures s'évanouissent comme a disparu la brume givrée de la vallée... Craack, le plafond de la maison se décroche, se détruit dans les airs, je ne sais par quel miracle, je me retrouve pieds par dessus tête, propulsé dans les nuages... Une cuirasse d'or enserre mon torse, un casque d'acier serre mon crâne, un lourd bouclier ouvragé calé sur mon avant-bras. Et au poing, un glaive miroitant. J'atterris sur un haut plateau où sont déployés des colonnes de fantassins. Galops effrénés de cavaliers qui stoppent juste devant moi, ils attendent des ordres. Pour la première fois de ma vie, je suis prêt. Puissent les dieux nébuleux de cette contrée ignorée me faire gagner la bataille ! Qu'il commence, mon règne...


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Farigoule Bastard est assis à la table de la Vieille, à présent. Une main qui tient la blague à tabac, l'autre la pipe. Il ne regarde pas mais ausculte ; elle ne regarde pas mais s'échappe. Il y a une petite fenêtre au verre noirci des cuissons, et cela suffit, chas au barrage de Farigoule, pour se précipiter, bouillonnant et violent, dehors. Les choses qui doivent être dites. Elles sont mises de côté, ajournées, dans la cahute de terre battue, et il y l'eau qui bout, sur la fonte de la cuisinière au bois, et cela suffit à distraire aussi. Les mains sont détachées du corps, mais elles ne s'ébrouent pas dans la même clairière que les yeux de la Vieille. Elles reposent, cireuses, presque fondues au noyer. Elle ne veut pas de lui ici, elle lui a ouvert la porte à contre-cœur, pourtant inexorable, comme on accueille les pires tâches du jour. Cela fait maintenant peut-être vingt ans que les deux-là se côtoient. Mais jamais ils n'ont été si éloignés que la table peine à les contenir. Ce qui sépare accole, pourtant, et ils se trouvent pourtant dans la même pièce confinée de suie, et il va falloir amorcer la mèche de leur retrouvaille, même si c'est de loin qu'on part. Alors qu'il malaxe dans sa bouche les deux ou trois mots servile qui serviront d'appui, c'est elle qui enclenche, et à le surprendre. Tu as passé par le col de l'Homme Mort ? comme si elle ne savait pas que, pour se rendre à elle, il n'y avait pas d'autre chemin — mais c'est pour dire. Pour dire dit-il Oui Par le col. Si elle ne parvient pas à saisir les maigres brins de cette étincelle, il faudra encore attendre, et la voilà qui se lève, parce qu'elle préfère encore attendre, et délayer, que d'énumérer si maigre butin, et ne se hâte guère pour ôter l'eau, saisir deux bols infâmes, et les poser chacun en face d'eux, puis continue sa course, et d'un bocal parmi les bocaux, elle extrait une brindille chacun — on ne voit pas d'ici quoi — et les jeter dans la casserole qu'elle recouvre. Dix minutes, mais ces mots sont sortis tout seuls, comme si elle avait parlé à elle-même, elle s'en repent, mais signe, Dix minutes et c'est prêt. Dix minutes d'insoutenable évasif, serpillères d'humains que trop de dégâts ont usées, que trop de repasses ont effilées, salies, déchirées. J'ai passé aussi par le Broc Ils ont coupé presque tous les tilleuls. Elle lève les yeux, et les plante en lui, comme si cette nouvelle revêtait soudain l'importance capitale, ou désignait un ailleurs concerné connu d'eux deux seuls. Indomptables conséquences ; ils sont comme l'eau, intenables. Ils sont comme l'eau le temps qui passe. C'est lui qui a la main, et pour s'en défaire, occupe les siennes à bourrer une pipe déjà trop lourde ou trop grasse. Elle verse dans les bols l'eau pisseuse. Farigoule Bastard est chez la Vieille et il compte bien y passer la nuit.


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En rêve, une assemblée de femmes, bleues, bleues des nuages du songe, ou bleues de la mort ? Une assemblée de femmes et le corps d'un bébé, potelé - visage d'adulte étonné, fossettes aux coudes, petits pieds ronds - et tout aussi bleu. Il bougeait lentement, détendu, sur le giron d'une vieille, jetait un regard à ce que les mains de toutes les autres lui présentaient, fleur, hochet circulaire, garni de clochettes, et plus grand que sa tête, coffret mystérieux, absurdités... J'ai trempé mon doigt dans une jatte de lait, calée dans les herbes, entre des pâquerettes, et lui ai donné à sucer, en interrogeant du regard la vieille, rigide, mais douce, brune au milieu de tous ces corps blafards. Elle m'a souri, a hoché la tête, m'a dit : « cela ne sert à rien. Ils ne mangent pas. ». La bouche du bébé ne réagissait pas, et j'ai eu peur.


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Regards hagards Quelque chose s'est passé, s'est produit aujourd'hui. Ici ? En soi, hors de soi. Un long moment... Je ferme les yeux, les cligne par instants. Je longe les lignes de force. Structures magnétiques... qui s'aimantent, qui m'attirent. Ondulatoires ou matérielles, toutes les toiles s'enchevêtrent - de par le monde entier il se déploie ces voies - lignes électrifiées, comme les fleuves qui tracent leurs chemins par delà les frontières - parcourent le monde de part en part - sans aller nulle part - au dedans des quadrillages numériques les signaux se déplacent se transportent d'un bout à l'autre de la Terre - voire plus si affinités - & dans l'instantané - l'océan d'information ne connaît semble-t-il aucune saturation, aucune limitation. Ce qui s'y est noyé? La tranquillité.

vendredi 14 octobre 2011

687 : jeudi 13 octobre 2011

Alors que nous gloussons, légèrement honteux, de nos orgueils secrets, les Patrichiens, eux, n’y vont pas par quatre chemins. Ils signent leurs enfants à la pointe du couteau. Sur le front pour les garçons, sous la pliure médiane du cou pour les filles. Voilà un pays où chacun sait d’où il vient. Autrefois, dans les bonnes familles, les aînés les plus racés étaient même coulés dans le bronze au lendemain de leur première communion et placés ainsi fondus bien en vue au salon. Cette pratique sublime et cruelle, qui n’a plus cours aujourd’hui, présentait l’inconvénient d’interrompre la meilleure part de la lignée en voulant la flatter. Elle permettait toutefois aux plus nobles vieillards – c’est les nostalgiques qui le disent – d’emporter avec eux l’image inoxydable de ce que cette descendance aurait pu avoir d’inégalé.

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Alors qu’il redessinait ainsi depuis plusieurs heures les profondeurs lointaines qui protégeaient le groupe de maisons, Tamel ressentit, plus qu’il ne l’entendit, un bruit violent qui se mit en une fraction de seconde à emplir tout le ciel. Le fracas était si assourdissant qu’il ne permettait pas de découvrir la direction de ce qui en était la source. Après quelques secondes, l’enfant vit une ligne blanche partager peu à peu la calotte bleue au-dessus de sa tête. Ouvrant cette déchirure, un petit point étincelant dans le soleil et qui ressemblait à un petit insecte obstiné et sans nuance. Une demi-minute plus tard, l’insecte avait laissé derrière lui une trace géométrique, elle aussi sans nuance. Dans un premier temps, car peu à peu, cette ligne précise, droite, tremblait, s’étalait en certains endroits, s’effilochait en d’autres pour finir par se dissoudre tout à fait.

jeudi 13 octobre 2011

686 : mercredi 12 octobre 2011

À la porte de mon rêve j'ai trouvé un être sortant de la brume où m'enfonçais, un corps brun, élancé et musclé, une petite tête aux cheveux souples, le mot splendeur, la certitude que l'avais rencontré, plusieurs fois, au fil de mon passé. Mais il était campé sur des bottes souples et tailladées, torse moulé sous un plastron de cuir, des lanières dansant sur ses cuisses et un grand bras levant, prête à s'abattre, une gigantesque épée. M'a bloquée sur ma rive, âme tremblante, le mot archange traversant comme un éclair cruel le je qui était là. Ai reculé, pendant qu'il se dessinait avec autorité, sortait du flou, illuminé mystérieusement de l'intérieur. Reculais, m'éloignais, voyais une galerie émerger, l'enclore, s'étendre, et des masses autres, des surfaces colorées, se succéder au long des murs de marbre qui arrivaient. L'éclair était passé, la lumière s'étendait, me suis approchée, l'ai touché ; cela ressemblait à du bois, du bois ciré dont les veines polies s'enroulaient sur ses jambes, traversaient son visage presque enfantin. Suis passée à côté de lui, le mur de la galerie s'est évanoui. Je les ai oubliés, j'avançais vers le rêve.


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Lichen, peut-être : les néons courbés ont réussi à s'encrasser de l’intérieur. Ça n'était pas prévu. Moins de blanc que de tâches désormais, si l'on regarde ce verre modelé en long tube, tordu au nom du propriétaire. L'enseigne de Trébuchet ne s'éclaire plus, on ne lui laisse pas la chance d'un effet peau de léopard. Pourtant la vitrine évolue, chez Trébuchet. Trébuchet-neveu y veille, quand son oncle va jouer, qui aime que rien ne bouge. Trébuchet-neveu cours alors et remplace la devanture par l'arrière boutique, et inversement. Étalage dépoussiéré. Moquette rouge, piédestaux. Petits spots. Une balance à colonne, plateaux corail, coquilles d'huître reliées d'un fil d'or. Un Victor Hu (la couverture est déchirée), qui parle de sa mère. Une maquette de catapulte. Une cage à oiseaux. L'aménagement du jour. On rira peut-être demain sur son passage. Trébuchet reste ouvert. On y entre plus guère avec des intentions.


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À celui qui dénigre mes écrits sans les avoir jamais lus, je réponds que ce travail – car c’en est un – ne fait de mal à personne. J’y prends du plaisir, je livre mon cœur et mes pensées, en toute intégrité. J’écris avec bonheur, je lis beaucoup, je cherche, je découvre, je m’émerveille de ce que l’on peut faire avec les mots. Écrire est un acte solitaire, un moment hors du temps, une bataille aussi que l’on livre à soi-même. Cela ne se commande pas. Cet acte que j’accomplis sans aucune prétention m’oblige à la réflexion. Il ne s’effectue pas sans peine. Il nécessite des choix, du temps, de l’observation, de la rigueur, de l’amour et une grande exigence. Mais il m’apporte beaucoup par l’exercice solitaire qu’il m’impose. Je m’interroge, je me livre un peu, j’essaie d’être honnête dans mes propos. La parole n’est pas mon fort alors j’ai tenté l’écrit.- A vrai dire, pour moi, c’est une deuxième peau, la première n’étant que costume.- Pour cesser de me taire, d’une part, pour dire et partager peut-être quelques pensées, quelques rêves, quelques révoltes aussi. Et, que je sache, il n’est heureusement pas encore interdit de penser ! Je ne demande rien d’autre qu’un crayon et quelques feuilles de papier. Depuis quelque temps, il est vrai, j’ose saisir la chance qui m’a été donnée de publier quelques textes et je remercie sincèrement celui qui m’a permis cette ouverture. Cela me réjouit d’autant plus que je passe aussi de délicieux moments à découvrir d’autres férus d’écriture. Je n’abandonnerai pas, n’en déplaise à certains, il y va de ma vie.

mercredi 12 octobre 2011

685 : mardi 11 octobre 2011

À force de dévouement, les Traversières ont atteint un état de sainteté proche de la transparence. Par les grands jours de beau temps il arrive qu’on les aperçoive encore, flottant dans l’air comme des méduses.

mardi 11 octobre 2011

684 : lundi 10 octobre 2011

Tamel regardait le monde et son iris était sans protection. Aussi ne pouvait-il rester fixer trop longtemps sur une source trop lumineuse ou trop chaude, comme la lampe d’un réverbère, une étoile ou même les yeux d’une étonnée trop sincère.


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Sous la lune Je la revois petit point immobile j’entends encore le remous des vagues le bruit des galets bousculés le crépitement des plus petits qui se laissent entraîner heurtés balayés giflés caressés…Elle a la tête levée vers le ciel le regard noyé dans la clarté de la lune seules ses lèvres bougent. Elle lui parle oui elle murmure des mots qui la vident d’elle-même parfois un sanglot aussi soudain qu’éphémère la secoue et sa tête se balance un court instant. Elle reste là jusqu’à ce que la première lueur du jour pointe son nez. Elle se relève alors et s’éloigne le pas chancelant les lèvres closes les yeux hagards. Je la revois au bord de la route hésitant à traverser sourde muette aveugle le teint si pâle les cheveux défaits. Je la revois encore plus tard le corps si frêle marchant au milieu de la foule malmenée réduite à se laisser faire ne sentant plus rien s’affaissant subitement telle une poupée de chiffons. Je suis resté auprès d’elle en attendant les secours. Elle n’a plus rouvert les yeux elle n’a rien dit non plus pourtant je suis certain qu’elle respirait. Je la cherche depuis sur la plage les soirs de pleine lune.

lundi 10 octobre 2011

683 : dimanche 9 octobre 2011

En printemps de son sang, le Chuffle sanguine au cœur pétant. Hourra ! Hourra ! Poudroie la vie sur le Chuffle content, qu’un bel été encore enfièvre à tous les vents. Mais bientôt l’automne roussit et le Chuffle roussoit. En l’hyver de son cœur, voici or qu’il glaçonne, de tant de chuffleries qui à ses pied ramonent.


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Dans mon rêve j'étais, sans savoir comment, sur un long nuage qui filait emporté par le mistral. J'avais froid, mais j'étais trop occupée à me maintenir dans ce très fin, léger, amas, et emportée par la joie du bleu strident où nous fusions. J'ai vu les toits de la ville défiler sous moi, gris et roses, les quelques terrasses, des créneaux et du béton, et puis le fleuve, des masures, de petites maisons nichées dans les arbres, des chantiers, quelques centres commerciaux, des îles, des barres d'immeubles, le fleuve, des cyprès se balançant, des platanes, la mouvance légère des feuilles des micocouliers, des terrains vagues, des canaux, Arles, le fleuve, des prés pelés. Mon asile se déformait, s'effilochait. J'avais peur. J'étais joyeuse, émerveillée. Me suis réveillée en abordant la Camargue, gelée de transpiration.


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Les vicissitudes d’un quotidien trop rempli la font vaciller. Les jours filent si vite qu’elle n’a pas même le temps de se retourner pour capter le dernier rayon de soleil. Lorsque la Lune apparaît, elle lui demande sottement ce qu’elle fait déjà là ! La nuit, seulement la nuit, elle dépose sur chaque étoile une pensée. Au petit matin, enfin allégée, elle s’endort. L’aube recueille sa fatigue. Elle se lève alors, la pâleur du ciel lui donne froid. Elle rêve d’un long moment à soi, sans remous, sans bruit, où elle puisse poser à plat tout ce qui l’encombre. Un espace dans le temps, une petite virgule qui lui permette d’inspirer, un brin de silence à écouter. C’est tout.


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Sons prenants, sons révélants ; sensations dévorant les épidermes ; la musique s’amplifie avec l’océan qui monte sur la plage, le vent agite l’eau dans le soleil. La jeune femme place ses mains sur ses fesses. Elle se tient à califourchon sur le dôme de sable, seins offerts et reins cambrés. Sa peau est parsemée de sable humide. Le jeune homme compare la jeune femme et la statue. Elles sont identiques : leurs seins se dressent dans l’air tiède, leurs ventres sont tendus et leurs tailles creusées, leurs cuisses enserrent les dômes de sable, leurs mains soulignent leurs fesses arrondies... Il remarque alors le sable humide qui adhère aux épaules de la jeune femme. Du bout des doigts, il lisse sa peau pour le chasser.

samedi 8 octobre 2011

682 : vendredi 7 octobre 2011

Toutes les couleurs sont dans le ciel.

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Regard perdu sur le plafond, allongée, immobile de la tête au pied si l'on excepte la bouche mauve qui associait librement pour sa dernière séance, mâchonnant mots en flot et déballant anamnèses à tire-larigot quand, PoC, léger impact sur son front. Sa main cherche ce qui vient de tomber, une pellicule de peinture du plafond surement. Ses doigts saisissent une mouche morte. Répugnant. Comme quand dans le placard...Si elle plonge trop longtemps son regard dans l'abyme, l'abyme la regardera aussi. L'abîmera où qu'elle aille, même là-bas aux Antilles, là où le regard se pose sur ceux qui plongent dans le lagon, loin du Jung et du Yang. Une bonne mouche est une mouche morte, maintenant seul les cafards font de longs discours. Quand elle en aura fini avec le contre-transfert, ou le contraire, elle prendra l'avion pour pratiquer ailleurs l'activité consistant, avec une ligne Totem et une mouche Tabou, à capturer des céphalopodes dans leur milieu naturel (mares ou abysses). Quo Vadis ? Mâche tout bout. Mouche Tabou. Bzzzichanalyse.

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Toute la pudeur des Michelines se concentre sur leur annulaire gauche. Autrefois, elles l’habillaient de fourreaux délicats, sertis de diamants ou cousus de fils de soie. Au cours du temps, elles ont rivalisé d’imagination. Du dé à coudre lascif à l’alliance Moulin-Rouge, rien ne fut oublié. Si lors des premières invasions barbares, des hordes de rustres abandonnaient les villages qu’ils venaient d’incendier sur leurs montures écumantes en arborant des colliers sanglants de quatrièmes doigts, Dieu merci, ces temps lointains sont bien révolus. Pâle clin d’œil à l’histoire ancienne, une légère pression de la main sur le doigt délicat serait encore d’usage lors de certains entretiens de recrutement. Mais rien de plus.

vendredi 7 octobre 2011

681 : jeudi 6 octobre 2011

Tous les 36 du mois j’achète un billet d’avion en vue de prendre de la distance - vraiment longue - et de la hauteur - plus ambitieuse que le sommet de la tour Montparnasse - à l’égard de ma vie quotidienne, professionnelle, privée et ménagère. Je m’en vais d’un pas un peu inquiet voir là-bas si j’y suis aussi ; sûre de rien quant au résultat de ma quête. Là-bas c’est loin et il peut même y avoir des formalités préalables à accomplir, une autorisation à solliciter et obtenir pour s’y rendre ; c’est pourquoi je ne conçois que très rarement de telles entreprises. Prenez l’autre côté de l’océan Atlantique par exemple, sa rive opposée aux ports et plages de La Rochelle et Royan, où il a pu m’arriver ces dernières années de me promener et de prendre des photographies parce que j’atteignais des limites que je ne pensais jamais dépasser, et prenez New York en particulier : il m’a fallu 55 ans 11 mois 21 jours et des poussières d’heure pour m’y retrouver. Mais Dieu sait si, arrivée là à bon port, je m’y suis trouvée bien, et plus que bien, dans cette ville dont, pour une bonne part, la surface est lotie selon une logique parfaite, tirée au cordeau, clairement exprimée par la numérotation des rues et des avenues. Ma tendance affirmée dans tant d’autres cités, et pas seulement médiévales, à m’égarer dans les villes inconnues radicalement éradiquée par le quadrillage, je n’y ai jamais cherché mon chemin. Une ville qui offre de telles perspectives d’avenues et d’avenir, il y a fort à parier que je n’attendrai pas le prochain 36 du mois pour y repartir, d’ailleurs mon autorisation est encore valable.

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J'ai rêvé que je revenais, je le sentais, sans certitude, oui, il me le semblait, dans une petite rue bordée d'un long mur - je savais que c'était celui d'un jardin - et devant une porte entrouverte. Je la poussais en gravissant les trois marches usées du seuil, et me trouvais devant une longue allée au dallage moussu, entre deux murs – celui de gauche couvert d'une treille agonisante, et l'idée du jardin s'est effacée – qui filait jusqu'à la porte d'une maison, très loin devant moi. Elle m'a été familière et je ne reconnaissais rien. Je me suis avancée, effleurant sans glisser les cailloux humides, un peu agacée par la sensation d'étrangeté que me donnait cette aisance, longeant un tas de planches, une brouette, les éléments d'une échelle posés au sol. Une impression de chantier à l'abandon, que les premières feuilles mortes commençaient à recouvrir. J'ai relevé un râteau couché en travers du passage, et, comme je me redressais, m'est venue l'idée que ces travaux expliquaient mon étonnement – je connaissais sans doute cet endroit dans son état futur, quand serait achevé le chantier qui devait me le rendre familier. J'ai glissé dans l'éveil, gardant l'impression désagréable de ma stupidité.