samedi 31 décembre 2011

760 : vendredi 30 décembre 2011

Comme elle avait disparu, Farigoule Bastard a dû dévaler vers le hameau des Grièches. Non que le détour lui plut. Mais on connaît trop bien le destin des bêtes un peu plus flasques que ne sont les pierres dans ces gorges. Le matin du troisième jour, plus de traces, et pourtant les nœuds identiques. Disparus. Bonne bête cette mule, mais sujette à ses frayeurs subites, a pu finir mal son trajet. Pour chez nous, autant que nous concerne, autant que nous pointe, une bête vaut une bête et une bête c’est une vie — on est dessus comme on est dedans, pas de tortilles. Je n’ai pas les moyens d’avoir deux cochons. Regarde mes pannes, mes godasses, ce ne sont plus des brodequins, la semelle se décolle comme pour avancer seules et les fils que j’ai beau repriser font des dents inquiétantes. Regardes mes pannes, le jour et la nuit passent au travers, ça me protège à peine de l’air. Alors pour nous une bête de somme ou une bête de viande c’est kif, c’est de l’or. Du tabac. De la liqueur de citron. De la liqueur au citron, pas sûr qu’ils tiennent ça aux Grièches. Le chemin est toujours plus défoncé, les moteurs c’est trop hargneux avec la pierre. Le noir tombe fort dans ce biau. Heureusement le vent a calé. Et lorsqu’ils lui ont ouvert, c’est la couenne plongée dans le feu qu’on sentait, un grand barbu en peau de bête qui a dit Farigoule, quel vent ? — Pas grand via, ma mulesse a filé. Gare si je la retrouve. — Gare si on la trouve avant. Pas plus que la semaine dernière, une branque a affolé ma grège. Une dizaine a glissé au précipice, un cadeau pour les vautours ; et eux l’ont chopé deux, heureusement pas de grabuge. — Si tu la croises, tu sauras à qui elle a affaire. — Et là-haut, qu’est-ce a dit ? » Le temps de la parole sur la porte close a réchauffé le cœur et le ventre de Farigoule. Le Tone — le maître-lieu — l’accueille « à la cène ». C’est justement prêt, et porté par une jeune femme, enroulée sous un foulard qui lui dissimule deux bons tiers du visage. Lorsqu’elle lève les yeux, c’est Farigoule qui est prêt à rôtir et être dépecé par toutes les corneilles de l’histoire. Un peu par défi, un peu par vergogne, il se hisse pêle-mêle à la discussion, et on connaît qu’il échoue à l’attention. Le Tone a bien saisi de quoi il retourne et sourit dans un coin de sa bouche. L’autre bégaie et transpire. La fille du Tone est rentrée dans ses cuisines, et on ne la verra plus. Farigoule Bastard a fait traîner la séance du café moins pour le citron, qui n’apparaît pas, que pour voir débarrasser les hirondelles — qui ne résignent pas plus. Alors tout ce temps rendu élastique par le feu se contracte d’un poing comme Farigoule se lève, mi-âpre mi-amer, soulagé et colère, et il est convenu qu’il restera dans l’étable où il y a un peu d’espace à son corps devenu large d’effort. Il partira à l’aube, et n’aura plus qu’une idée en tête. Redescendre les Grièches pour à nouveau brûler sa peau à ses yeux.


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Peu de chances qu’un jour Léon Parsi parlât.


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Au-dessus de la foule indifférente Clémence aperçoit des projectiles, une rafale d'une dizaine de canettes qui déchirent l'espace et finissent leur trajectoire sur la scène. À peine concernés le chanteur et le guitariste font un petit saut de côté, tout en continuant de jouer. La jeune femme se retourne vers Johnny : - il faut stopper le show, maintenant. L'autre lui jette un oeil narquois : - non, no, non. -Mais, Johnny, on peut pas continuer comme ça. Du fond de la tente, un nuage blanc s'étire au- dessus du public et progresse lentement vers le groupe, déclenchant sur son passage toues sèches et cris de protestation. - putain, les gaz, Johnny, faut qu'ils arrêtent de jouer, tout de suite, ça déraille, va leur dire. - pas question, t'as voulu qu'on joue, on continue. C'est juste un concert. Y a de l'ambiance, baby. Visage écarlate, regard noir, Clémence saisit le casque de motard à visière accroché à sa ceinture, rejoint la chaine de militants en ligne droite, du même geste, ils baissent en coeur la visière de leur casque au moment où le nuage blanc de lacrymogène atteint la scène comme un drap que l'on tire. Elle essaye de s'aligner à côté de ses camarades soudés. Elle n'arrive pas à prolonger leur ligne, toujours un léger décalage. D'un geste brusque elle met son casque, l'attache serré. En tant que responsable, c'est elle les yeux de la sécurité. Pour la première fois qu'elle ne rabat pas la visière transparente et protectrice. Regarde fixement, sidérée, l'épaisse brume qui arrive à un mètre de son visage nu. Clignant des paupières, poings serrés elle commence à tousser avant que la blancheur puante ne l'engloutisse. Clémence crie de toutes ses forces pour couvrir la musique et sa peur : - Charge, charge. On charge !

vendredi 30 décembre 2011

759 : jeudi 29 décembre 2011

Les Mutiques Mutins de Malte ont ravalé toutes leurs révolutions et les digèrent à petites lampées intérieures. Un hoquet hésitant leur rappelle parfois qu’eux aussi sont des fruits suris de l’histoire.

jeudi 29 décembre 2011

758 : mercredi 28 décembre 2011

Ce serait une coupure presque nette, avec juste les petits redents légèrement courbes indispensables pour rester dans le réel donc la poésie, ou l'inverse, entre un bleu profond, quasi violet, et une masse épaisse de nuages blancs, ourlés, nourris, de gris... et cela s'éterniserait, ou je le croirais, au dessus de nous, en équilibre fugace, fragile, mais évident, parfait. Cela serait parcouru, en fait, par un mouvement imperceptible et constant, et, revenant un peu plus tard, j'aurais l'impression que la géographie du ciel, le rapport des amas nuageux au ciel, qui aurait par ailleurs légèrement pâli avec l'avancée des heures, auraient été bouleversés, sans pouvoir retrouver dans ma mémoire l'état antérieur.

mercredi 28 décembre 2011

757 : mardi 27 décembre 2011

C’est jusqu’à l’os que les Ramondins rongent leurs mots. Lorsqu’ils conçoivent, ébaubis, que c’est encore un mot l’os, ils se font minuscules et couinent et recouinent affolés. Puis les voilà qui donnent à nouveau de la dent dans la chose-là trop tôt et trop mal baptisée. Les Ramondis s’en font quant à eux beaucoup moins, et de toute cette poussière de salmigondis, un festin.

lundi 26 décembre 2011

756 : dimanche 25 décembre 2011

Les deux tiers des Fiftififti sont au bas mot des embrouilleurs de première les trois quarts du temps. Mais seulement les jours impairs.

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Ce serait un mouchetis de petits nuages ronds bien blancs sur un fond bleu dur, comme un tissu mal imprimé, ou bavant à dessein pour donner un aspect artisanal – ce serait pourtant un peu trop uniforme, répandu sur toute la surface de ciel que je pourrais voir – un air concerté, organisé, artificiel, assez guilleret, qui m'amuserait un moment, me serait rapidement insupportable - je resterais là, les yeux levés, un temps, dans l'attente d'une modification, de la fuite de ces petites taches ou de leur union, et puis je penserais à autre chose, jusqu'à ce qu'une diminution presque imperceptible de la lumière sur le tronc de l'arbre face à moi attire mon regard vers une course de grandes traînées d'un blanc sale parties à la conquête de mon ciel…

samedi 24 décembre 2011

755 : vendredi 23 décembre 2011

Tout comme Jimi Hendrix, les Zavatars ne sont libres que parce qu’ils courent toujours.

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Notes du journal 14 septembre Elle n’a pas pu disparaître, ou c’est un rêve, une absurdité, un carnage. Il faut repasser, repasser comme des linges, des forêts hantées, des éboulements perpétuels, repasser comme la poste, la saison ou le réveil toujours plus lent et douloureux. Aimer c’est repasser. Aplatir, aplanir, dessiner, cartographier. Aimer c’est gravir, gravir le col, sans cesse en heures et en sueur, tu vois toujours le sommet, il n’apparaît jamais. Il reste là-bas. &il y a est dans reste. • Notes du journal 2 juin Où es-tu ? Où es-tu ? Je t’ai vue un jour, un jour plus. Où vas-tu ? Où vas-tu ? Tu marches, tu t’éloignes, tu t’étioles ? Où es-tu ? • Notes du journal Tu es venue hier dans la nuit, tu as passé le col dans la nuit, cela force le respect, tu as frôlé les loups, les crevasses, les enfants qui rient ou pleurent dans le ventre. Je dormais, ou ne dormais pas, c’est égal car j’étais hors de moi, confiné dans le dehors, exilé au dehors. Tu ne m’as pas réveillé, ou tu m’as, peu importe, car j’étais en moi hors de moi, confiné dans la chambre comme au dehors, prisonnier du vide, de l’espace, de l’étendu qu’aucun regard n’embrasse jamais. Et c’est avec surprise ou pas que ma bouche a gouté ta rosée. Voilà, tu es venue comme la rosée, fragile toile d’araignée, fragile toile d’eau, et t’es allongée fragilement au sol, avant encore les bruits, les bruitages d’oiseaux, leur brindille sonore, avant encore les déplacements de la salamandre qui rentre ou du faucheux qui s’essaye au jour, c’est peu vivant, c’est frisson, c’est tremblement, c’est chair de poule ou battement de paupière nerveux, c’est pas du mouvement, c’est de l’esquisse, c’est du projet. Le jour se remue, comme la montagne se remue et les premiers organismes dans son ventre reprennent leur activité. La rosée est acide, ta bouche est rose et je suis dans ce qui reste un peu des pelures de la nuit tout à toi, tout pour toi. Quand je me suis réveillé enfin , ou rendormi, tu étais partie, où es-tu ? Le jour a accroché ses panes au loquet, j’ai préféré la station debout, le dos craque, et le pied gonfle, sourdement lance, lance sourdement. L’eau est glaciale, elle est pas la chaleur de ta rosée, il y a même de la glace au fond de la lavogne. Il a gelé cette nuit. Seul le murmure des braises m’a tenu en vie, comme une idée à laquelle on s’accroche, obsessionnellement. La force de la pensée c’est de croire qu’elle tient en mortaise le monde qui passe. • Notes du journal 4/3 Comme tu es belle quand le silence anoblit. Je ne ferai pas cas de la lumière, qui n’existe que parce que tu lui donne du grain. Tu es ronde, on peut te prendre en main, on peut te porter aux nues. • Notes du journal 3 juin Mémorable équinoxe. • Notes du journal 13 septembre Tu sais ce n’est pas elle que je respecte, ce n’est pas elle comme elle, je veux dire. Je suis inapte à la parole, pas une raison pour que tu hausses le ton, hoches la tête. Je ne suis pas fait pour ça — pas plus que toi, te ferai-je remarquer. J’aimerais qu’on aille courir nus sur Chamouse, ou bien qu’on se jette depuis la falaise de Brame. Nous ne sommes pas fiers, pas de raison de l’être. Si nous suivions nos cœurs, nous nous intimerions de disparaître. • Notes du journal 13 septembre Les pelures prennent plus de place que la pomme.

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Chaque fois qu’un journaliste employait l’expression de grogne sociale, Léon voyait invariablement défiler sous ses yeux laisses et colliers étrangleurs.

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Ce serait, en un jour de douceur, une vapeur très blanche, une tache, qui flotterait entre la terre et le bleu du ciel. Par elle, par le coin d'une lanterne, comme un premier échelon, sur le chemin de notre regard, nous toucherions des yeux la profondeur de l'espace.

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Si je ne peux plus te croire parce que tout est mort entre nous, plus te croire ni en tant que chef, en tant qu'homme, en tant qu'aventurier, pendant que d'un ton éraillé comme des grains de sable crissants sous le vent, tu déclares que l'homme qui se tient devant toi est bien moi ; un moi qui serait celui du jeune qui enivré par des promesses de batailles éblouissantes et de butins carmins, t'a suivi aux prétextes de libérer une femme et restaurer l'honneur du peuple; eh bien celui que tes paroles saoulent, Πρόδρομος m'avait nommé mon père, ce moi déchiré qui n'est plus lui-même, comment pourra-t-il te faire confiance à nouveau ? Car, crépusculaire et empreinte de malheurs décuplés, notre route a croisé une chose, une chose innommable, assourdissante, tentaculaire; d'ahurissantes têtes, six bouches tigresses, des mandibules dont les craquements déchiraient les oreilles, toute en gouffres avides, insensés, béances sans fond à l'affut de la moindre chair fraiche pour la déchiqueter en moelle à pâté... Y a eu l'éclat dur de ses canines, triangles isocèles blanchâtres plantés en triples rangées, plus nombreuses que les épines qui enserrent ma cervelle et comment elles ont déchiqueté les marins et pourquoi leurs hurlements ont fait saigner mon cœur et m'ont vidé de l'intérieur, ont tout effacé de l'avant. Le saisissement jusqu'à la moelle avec le goût de la vie enfui. Sidération moisie. Saccage vermillon. Pouvoir esquisser un geste ou son ombre, c'est devenu impossible quand on ne ressent rien comme cette carcasse suspendue. La fuite sans reprendre souffle, ne pas surtout se retourner ni sur rien, ne se reconnaitre jamais. Alors, s'il ne peut plus te croire quand tu lui assures que je suis toujours même, identique à ce jeune homme qui il y a huit ans s'était engagé à tes côtés pour découvrir le monde humain grâce aux fracas des batailles; eh bien cette ombre qui fut moi avant le monstre, pourra-t-elle ce moi incertain, que ce soit par un crépuscule clair, une éclipse étouffante ou bien une aube livide où se lèverait un sirocco léger, se réintégrer dans un quelconque devenir...

vendredi 23 décembre 2011

754 : jeudi 22 décembre 2011

Le jeune garçon jouait au dès avec un des deux gardes de la poterne Sud, le dénommé Lüas, celui avec lequel plus personne dans la ville n’avait, depuis longtemps, risqué la moindre mise à ce jeu. Et cela, parce que Lüas savait mieux que quiconque faire tourner ces petits cubes dans ses mains et leur extorquer des paroles adaptées à sa volonté, au terme de savantes trajectoires parfaitement maîtrisées. L’enfant avait tout naturellement perdu. D’abord son troupeau de chèvres, puis le produit de la vente de fromages la veille, au marché et, à la suite de bien d’autres parties, toutes à l’avantage de son adversaire, il se retrouva dépouillé de son paletot, de son baluchon et de son bâton ferré. Il s’était levé pour partir, léger comme une feuille dans un vent d’automne, lorsque le garde lui proposa un ultime lancer de dès, « pour rien, pour l’honneur !» lui dit-il. L’autre, dont on appris plus tard qu’il avait la veille donné le nom de Tamel au placier de la foire, s’assit de nouveau, rassembla le jeu et, en un seul jet, d’une main vive qui semblait avoir soudain une vie indépendante de son corps, sortit la combinaison dite du scarabée royal, combinaison qui tient compte à la fois des figures visibles sur les dés et de leurs places respectives dans la géométrie du jeu : deux fois trois six formant un hexagone régulier, inscrit dans le cercle du plateau. A ce Tamel, le garde proposa alors de lui redonner tout ce qu’il lui avait gagné. L’enfant se mit debout, se tourna, et s’en fut sans répondre dans la direction des montagnes. Le lendemain, Lüap parti avec son troupeau de chèvres, un manteau de berger et un bâton ferré. On ne le revit jamais.

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Le soir surprend Suzanne par sa rapidité à chasser le jour, déjà, encore, à peine le temps de s'habituer à la lumière qu'il faut déjà sombrer dans les tristes oranges des lampadaires. Suzanne se surprend à fermer les yeux devant l'ampoule du placard à fourniture en imaginant que c'est le soleil et que la plage l'attend... le ronronnement de la photocopieuse se transforme en vagues, elle oscille presque de contentement avant d'être ramenée à la réalité par la voix sèche de son patron lui réclamant un café.

jeudi 22 décembre 2011

753 : mercredi 21 décembre 2011

Les Pardonnables vous font oublier leurs méfaits dans leur seul œil penché. L’abomination s’y transforme en glucide, les braises du mensonge en vertes vallées et le parricide en partie de pédalo à Carry-le-Rouet.



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Ce serait une lumière qui glisserait, frôlerait, supporterait une fuite de nuages, légers, travaillés comme une dentelle. Ce serait si délicat que les yeux en prendraient joie. Ce serait une gamme du blanc le plus pur à l'or finement rosé qui viendrait animer le dur et lumineux azur en chemin vers la victoire.



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Hier je me suis réveillé fleur, certaine de l’avoir été de toute éternité. Aujourd’hui les écorces successives qui me sont tronc et que nourrissent d’illusion mes racines, me parlent d’un lait au coin de la bouche et d’une enfance lumineuse dans les yeux et sur les genoux. Demain peut-être je serai la vague ou son rocher. « En attendant Tamel, tu es celui qui va aller me ramasser un peu de bois mort pour le feu. » …

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Marc laisse la chaleur de l'eau envelopper son corps et le soulager de la pesanteur. Longtemps il flotte et songe, sa respiration ralentissant, une voix s'ouvrant enfin au calme et à la paix. Il reste ainsi, oubliant le temps, permettant ce voyage régénérateur de l'âme et des sens.

mercredi 21 décembre 2011

752 : mardi 20 décembre 2011

Au réveil Paul s'étire, soupire et soulève doucement son corps avant de basculer sur le bord du lit. Encore au chaud, Yvette le regarde et attend avec horreur le geste terrible suivant son passage à la position verticale: tous les matins, Paul se gratte longuement les fesses de la main droite. Pendant des années, Yvette a subit ce geste comme la confirmation de l'univers qu'elle avait épousé un être banal, un homme qui rote un peu, pète un peu, et se gratte l'arrière au réveil. Un jour, Paul se cassa le bras. Sa routine du matin en fut perturbée et le geste tant haït disparu. Soudain, Yvette se transforma en lionne à la libido assoiffée. Chaque réveil en inexistence de grattage provoquait en elle un élan immense ouvrant la voie à des expériences que Paul n'aurait jamais osé lui suggérer. Mais dans un coin de l'esprit d'Yvette rôdait cette question omniprésente : que se passerait-il une fois le plâtre de Paul enlevé ?



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Il y avait toujours de quoi commenter, toujours de quoi s'affairer à rapprocher ou comparer; au départ il s'agissait toujours de souligner les traits marquants, les déterminants ou d'exprimer tout simplement un certain point de vue. Tout était prétexte... Ils ne manquaient jamais de donner leur avis, leur opinion, chaque fois que l'opportunité se présentait. C'était comme un certain souci de distinction... aire la différence. Se démarquer. Anticiper. Parer à toute éventualité. Cela leur était capital. Fondamental. Jamais ils ne manquaient de soupeser, d'évaluer. Quel que soit l'objet. Quelle que soit la personne concernée. Ils estimaient, jugeaient. Pour. Contre. Se poser en autorité. Arbitrer. Délibérer. C'était leur parti-pris. Caractériser, catégoriser. L'exercice systématique de la pensée. Ils versaient dans l'analyse, du moins le pensait-ils. En phase avec leur environnement, ils saisissaient l'instant présent. Rétrospectivement... Leurs concertations ne les menaient que très rarement au conflit ou à la contradiction. Ils se complétaient, se reprenaient, parfois même se paraphrasaient. Ils spéculaient, conjecturaient. Ils supputaient, subodoraient. Toute prévarication, sans précautions... Tout commentaire était toujours bon à prendre, à exposer, pour se voir éventuellement rejeté l'instant d'après." Ce n'est qu'une idée..."



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Oui, celle-ci, en haut à gauche dans la vitrine, juste à côté du pendu, au-dessus du vieillard sous pneumotorax. Celle avec une belle vue sur les montagnes enneigées au loin et un joli précipice tapissé de rocher blancs. Je prends celle-là. Et, ... oui j'ai bien retenu vos conditions, vous livrez quand vous voulez... Mon nom ? Tamel, vous voulez mon adresse pour la livraison ? Inutile ?! Ah bon ! ... Paiement à terme ?... Parfait, ça me convient tout à fait ! ... Merci, et au plaisir !

mardi 20 décembre 2011

751 : lundi 19 décembre 2011

Les Réticulés se nichent sous la cornée des crédules et des passionnés. On leur prête généralement des vertus tourbillonnantes, des sursauts de courage exemplaires, un sens inné du bricolage et des mensurations enviables.



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Les mots se refusent à elle. Le sens des choses, ce qu'elle aimerait dire. À la place, d'autres mots, ceux des autres, se suivent en un chemin sur lequel le elle avance à contre cœur. Un jour, elle aura la courage de briser son silence, de lever les pieds de ces marques imposées pour enfin être. Elle-même, enfin.



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Un tour de manivelle. Deux tours, trois tours. Tu as couru, tu t'es perdu. Tu es libre et tu as oublié ton nom. Silence. Tu y repenses. Tu as juré. Tu y repenses, cette fonction du silence lorsque le silence s'oriente en un sens. Le silence et le secret... Ici tout le monde se connaît. Tu y repenses. La halte, la nuit. Tu sais maintenant pourquoi tu te tais. Pour un temps...Tu sais que tu oublieras et pourquoi tu n'oublieras pas. Tu as le temps. Tu fermes les yeux. Tu entends toujours au loin les bruits lourds de leurs chaînes. Ils ne savent pas où ils sont. Ils vont. Un garde au devant, un autre au centre; ils sont harnachés comme il faut. Ils arborent leurs insignes, leurs armes, leur casque cuivré, avec fierté. Ils honorent leur fonction, leur mission. Suivant leurs directions. Au pas, marchant en rythme, ainsi qu'une armée aliénée. Et toi. Tu en as fini d'être à l'étroit... Tu ne sais pas où tu vas et tu y vas. Le monde est plus vaste que nous.

lundi 19 décembre 2011

750 : dimanche 18 décembre 2011

Ce serait un ciel d'une grande banalité et qui nous poserait un problème, un ciel d'un bleu franc où glisseraient, si lentement qu'on les penserait immobiles, des nuages très blancs, en énormes flocons, et parce que toi ou moi ou tous deux nous serions d'humeur discutailleuse nous nous interrogerions sur son évolution, sur ce que serait le jour. Parce que je n'aurais pas envie de bouger, je me prononcerais avec belle conviction, et insistance, pour un envahissement progressif, un regroupement, l'installation d'un couvert uniforme, tendant de plus en plus vers le gris, et, triomphalement, pour de la pluie. Parce que tu aurais grand besoin de t'échapper, tu rirais de toutes ces prévisions, ces semblants d'arguments, tu maintiendrais ta proposition d'une longue marche, te ferais aussi lyrique que tu le pouvais – ce n'est guère ton genre – pour vanter la beauté du site qui en serait le but, le plaisir de la marche, et tu parlerais de respirer profondément, grandement, joyeusement... Finalement, tu déciderais de partir seul, puisque vraiment j'étais trop têtue. Tu te préparerais longuement, choisirais tes chaussures, ferais des sandwichs, et je m'enfoncerais dans une lecture, en muette colère. Tu t'en irais. Je poserais le livre. Je commencerais à regretter.

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Au milieu de la place du village les enfants font une ronde et chantent. Leurs voix mêlées font écho à la rumeur des étourneaux dans les feuillages« 4 pas pour voir l’orée du bois, encore 3 pour passer les ronces, 2 pour la lumière de la clairière et 1 pour tourner, tourner sans fin, tourner et s’envoler, le long d’un rayon de Lune, jusqu’aux enfers. » La voix bariolée de ceux qui se tiennent les mains et laissent éclater la joie d’être si près en âme les uns des autres, cette voix fait bientôt cesser tout autre bruit dans le village des Hûles. Bientôt autour des enfants l’ensemble des habitants s’est massé, laissant une petite couronne d’espace vierge entre eux et la ronde. Après avoir continué de tourner quelques temps, ceux qui chantaient se taisent, ceux qui dansaient se figent.

dimanche 18 décembre 2011

749 : samedi 17 décembre 2011

On volerait bien un peu de leur temps aux Impassibles, pauvres bêtes que nous sommes, qui manquons de tout pour n’arriver à rien. Mais les rares mortels qui y sont parvenus nous préviennent depuis leur chambre claire : ce n’est pas du temps qu’on leur vole. A peine un coulis de betterave plus amer que le fiel.


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Damouce avait promis à Tamel de toujours respecter son sommeil. Mais lorsque celle-ci bondit sur son lit en hurlant et chantant à tue-tête, il ne lui fit aucun reproche. Il faisait nuit.


samedi 17 décembre 2011

748 : vendredi 16 décembre 2011

Étrange sentiment d'être resté au bord, y compris de la déroute.


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Il avait promis et aurait préféré perdre mille fois la vie que de manquer à sa parole. D’autant plus que celle-ci l’engageait vis-à-vis de son propre frère, celui-là même qui lui avait offert le plus précieux présent que l’on puisse faire à un vivant. Vingt années à parcourir le monde en tous sens de son pas assoiffé. A se donner à ce pour quoi il se savait venu au monde, à savoir l’errance : ce mouvement du corps qui lave l’âme et la nourrit de mets raffinés, abondants, parfois trop relevés mais toujours vivifiants. Bien sur, il avait souvent souffert de la solitude et des morsures franches et réelles ou virtuelles et subtiles de ceux, plantes, bêtes, hommes qui avaient croisé son chemin. Mais lorsqu’il retrouvait en pensée le contact de cette rivière vive et chargée de présence, dans laquelle il s’était immergé pendant tout ce temps dont son frère lui avait fait l’offrande, lorsqu’il percevait en lui-même la trace de ses pas, Le Mat se retrouvait en état d’absolu bonheur. Quelques souvenirs pourtant lui tiraillaient ses chairs provisoires et griffaient son esprit de mélancolie. Malgré ou à cause de cela, sans hésitation il se dirigea vers le grand chêne qu’autrefois il avait habité.


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Pour survivre dans les rudes conditions du territoire humain, il est conseillé de se cautériser une à une toutes les facettes des yeux. Ne conserver qu'une seule de leur multiples ommatidies. En effet, chers confraternels, nos pupilles multi-tâches ont trop tendance à sangloter sous l'intensité de l'éblouissante lumière solaire. En cautérisant vos 807 omnatidies et en épargnant une, vos yeux n'exhaleront plus que de mini-sanglots au son inférieur à 0,007 décibels, (quasi indétectable pour l'oreille humaine). Pour augmenter votre aptitude au camouflage sur cette planète, misez sur quelques associés. Quels sont vos alliés objectifs sur terre ? Ils sont trois : l'écorce de hêtre; les pythons ; les antennes de portables. L'écorce de hêtre, parce sa couleur est raccord à celle de notre surface extérieure, ce qui permet un camouflage aisé. Les pythons, parce que leur vitesse de reptation est synchrone avec la notre, (quand nous avançons dans les parages de ce reptile, nos ondes cérébrales se fondent avec leurs reptations, ce qui nous garantit une invisibilité à moindre coût). Cet effet a pour cause de privilégier certains points d'accès au territoire humains, ceux où se trouvent les pythons; c'est pourquoi le débarquement est prévu en Guinée équatoriale et au Congo. Et pour finir, chers confraternels, les antennes de portables, parce qu'elles impulsent des vibrations qui accélèrent notre régénérescence cellulaire, ce qui booste notre vélocité en fixant un acide essentiel à la base de notre troisième cortex antérieur. En effet, chers confraternels, si les trois conditions sont réunies (écorce d'hêtre ; pythons et antenne de téléphone portable), toutes nos capacités invasives sont décuplées. C'est pourquoi c'est ici, à ce point précis de la carte, que nous allons débarquer. Au Gabon, notre première ligne se déploiera en octaèdre pour un repérage en deux phase: détection des forces humaines; repérages irradiants. Nous procéderons d'abord à la conquête du territoire humain; à son regroupement dans un second temps ; à son transfert dans la galaxie grise dans un troisième; puis à sa dissolution dans la Voie Lactée. En effet, chers confraternels, notre gouvernement est en train de finir un super laboratoire pour recycler l'énergie humaine et ainsi renforcer notre espèce pendant quelques kalpas. Ce guide de survie en territoire humain que vous tenez dans vos tentacules a été conçu et écrit pour nous permettre à nous tous, les gurtraxteys des milles galaxies, nous permettre et nous faciliter une entrée triomphante et rentable dans cette poubelle de l'espace que certains nomment Terre.


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Je suis ici depuis deux mois, et nous jette des cailloux. Tu sais ce que ça veut dire ? Des cailloux. On a la police, on a les militaires, mais on a aussi des gens, de braves gens, des petites gens, qui nous envoient des cailloux. Je suis ici depuis trois mois, mais je suis déjà venu, et revenu. Je suis allé ailleurs aussi, une autre porte de la citadelle. On a pris des bateaux, les bateaux ont sombré, on a nagé. On a pris des trains, les trains ont mystérieusement déraillé. On a pris des avions, on n'en est pas sortis vivants. Je suis Djibril Sy, et je reviendrai. Je rejoins une femme, je rejoins ma femme, que j'ai laissée dans un camp dans le désert. Elle a réussi à passer, on me l'a dit. Tu cherches ta femme aussi, je sais que tu me comprends. Elle est de l'autre côté, derrière ce rideau de fer. Regarde. Des miradors. Des barbelés. Sponsorisés par votre fédération, subventionnés. C'est une forme altérée, c'est une forme alternative des stations balnéaires. Je connais tout le tour de la frontière, je l'ai parcourue entièrement. Mais je reviens toujours ici, c'est mon point. C'est mon clock. La famille n'est pas loin, peut-être, cela me donne la force nécessaire. L'hiver est doux. Certains sont rentrés pour la nouvelle année, s'accordent une pause. Je passerai. J'attends le réveillon pour passer. J'attends Noël pour passer. Je serai le prochain petit Jésus. Je filerai à travers les barbes, les balles et les cailloux, je poserai le pied sur ce même sable, je serai en Europe. Vous avez peur de nous ? Vous ne savez pas qui on est, combien on est, vous ne connaissez pas notre détermination. Vous ne savez pas ce dont on est capable. Mes frères s'entrainent, je les ai vus le week-end dernier à Patras. Ils sont une bande mêlée, avec des Viets ou des Chinois je ne sais pas, quelques Arabes. En chemisette la plupart du temps, un mauvais blouson percé qui laisse échapper la laine synthétique en plein hiver. Une bouteille d'eau attachée avec du simple raphia autour du cou. Ils montent et remontent les grilles. Là aussi, l'armée, mais pas les miradors. Eh oui, il y a des touriste, qui prennent le Ferry pour Ancône ou Brindisi. Ça marquerait mal. Et eux, dès que le soldat a le dos tourné (ou las, s'accorde lui-même une pause), il montent et remontent la grille et se faufilent dans las camions ouverts par la douane, ou sous les essieux, s'accrochent comme ils peuvent aux cartes, au pot. Je les ai vus. Je sais de quoi je parle. Nous on veille sur eux, de loin. En esprit. En pensée. En cœur. On n'a plus le courage de ça. Puis les blessures diverses, les faux-bonds du corps, les épreuves gravées sur la peau ou dans les os, ça va. Je fais le planton ici, sur ma terre, pour mettre un autre pied sur ma terre. Je passerai coûte que coûte. Je rejoindrai ma femme. On m'a dit qu'elle y était, qu'elle était passée. Je la trouverai. Le monde n'est pas plus grand que le cerveau d'un homme. L'Europe n'est pas plus vaste que la mémoire. Vous verrez : quand nous débarquerons, ce sera comme des souvenirs que l'alcool ou les jeux ou la télévision avaient enfouis, dissimulés, de mauvais souvenirs aiguisés comme des couteaux que vous avez essayé de perdre sous le fatras de vos mots, de vos enseignes ou de vos lois. J'arrive, tu sais... tu comprends toi ? Tu passes comme un renard, on dirait que tu rampes comme un limaçon, moi je suis avec toi, on est tous ensemble, on est un seul homme, un seul homme, un seul souvenir d'homme, un fantôme. L'histoire, mon ami, l'histoire — que tu le veuilles ou non, sous la forme d'un revenant, est en marche !

vendredi 16 décembre 2011

747 : jeudi 15 décembre 2011

Les Nolovolo ne savent pas sur quel pied danser, alors ils chantent. Si ce fut d’abord par dépit c’est aujourd’hui par goût qu’ils lancent de longues strilles déchirantes dans les couloirs cristallins du temps.

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Des mots qu'il laissait passer comme le ruisseau fait de l'eau, coulaient dans la tête de l'enfant : "Il n’y a pas de hiérarchie plus impitoyable qu’au dernier barreau de l’échelle. L’œil naïf croit y voir la plate-forme qui surplombe le monde, d’une horizontalité parfaite, matérialisant l’égalité absolue de tous ceux qui l’habitent alors même que les castes y sont plus que partout ailleurs d’une précision et d’une teinte-lumière absolue. Leur contour a disparu du visible mais dans chaque esprit s’est, comme le calcaire qui envahit l’être par le sang, définitivement cristallisé." Tamel, tout en bas de l’arbre enviait les racines qui, bien mieux que lui, pouvaient comprendre à quel point le ciel était plus proche d’elles que les feuilles situées à l’extrémité des plus hautes branches.

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Ce serait, grumeleux, un amas de nuages, petits, ronds, serrés les uns contre les autres, comme un troupeau de moutons, et d'un blanc sale comme les dits moutons, qui dessineraient un arc de cercle autour du rayonnement éblouissant du soleil caché, filtré, attirant les yeux et les brûlant, et puis, après cet éclair, une immense étendue d'un gris doux planant.

mercredi 14 décembre 2011

746 : mardi 13 décembre 2011

Les Nuits de Chine traînent toujours parmi nous. Elles ne sont jamais parties. Elles sautillent, hésitantes, entre leurs valises ouvertes qui dégueulent de chandails et d’objets millénaires pendant que des amants aux yeux rongés de cernes, se lamentent, là-bas, sur la pointe de leur if.


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J'avais cessé de vouloir me penser vers l'âge de cinq ans. Les mirages de la réflexion, dès cet âge là ne suscitant plus guère d'intérêt de ma part. Il m'arrivait pourtant encore de temps à autre de contempler mon âme, à la faveur d'un miroir. Combien de fois m'étais-je surpris à en examiner l'accès ! Comme elles m'émouvaient encore, ces innombrables terminaisons d'axones illustrant ma pupille, la recouvrant de ma geste intérieure. La pensée est action. Cela tous les philosophes un tant soit peu sérieux le savaient. Seule une poignée d'irréductibles (de dangereux philosophes de l'esprit pour la plus grande part) continuaient la vaste entreprise de formalisation logique initiée par Frege quelques centaines d'années plus tôt. Et le matérialisme éliminativiste était désormais proscrit dans la plupart des écoles : Nous savions de source sûre qu'à chaque pensée correspondait tout un ensemble de phénomènes physico-chimiques, dont l'unité de base en dernier ressort était tout simplement la particule. Toute tentative pour penser le concept d'âme, si cher à la préhistoire de la pensée, ne pouvait plus que faire pouffer tout Moderne digne de ce nom. L'humain avait enfin pris conscience de sa nature profonde : Nous étions des robots biologiques sans le savoir. Et ma foi ce n'était pas si désagréable que ça.


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Dans une quasi-obscurité, à une centaine de mètres de la porte Est du village des Hules. La petite fille faisait plus de tapage dans le minuscule étang qu’un troupeau entier de jeunes hippopotames semoncés et corrigés par leurs parents. Elle chantait aussi, comme si personne ne pouvait ni la voir ni l’entendre, osant des formes sonores qu’elle sculptait pour son unique plaisir, des mots dont le sens tenait tout entier dans la suite des bruits-souffles-timbres qui les contenait. De temps à autres elle disparaissait dans l’onde et ne surgissait à nouveau à la surface de l’eau que lorsque celle-ci avait retrouvé son immobilité virginale. Percer alors cette étendue immobile, cette membrane presque imaginaire entre le ciel et la matière dense et fluide de l’eau, faisait jaillir en elle une joie sauvage qu’elle ne cherchait en rien à contenir. Tout au contraire elle laissait exploser cette joie en cris retentissants, à la fois violents et denses. Et ce vent d’allégresse faisait frissonner la ramure des arbres qui entouraient et masquaient l’étang jusqu’à en frôler sa surface.

lundi 12 décembre 2011

745 : dimanche 11 décembre 2011

Les Embolies endorment les enfants des autres. Même les gnards les plus coriaces, de ceux que seules les Tables de la Loi nous retiennent de défenestrer par grande altitude, ne résistent pas plus d’un instant au regard de brume et de miel d’une Embolie. Aussi les remercie-t-on avec prudence d’une petite génuflexion rapide et sincère et en leur présentant le dos. Car qui pourrait être certain qu’un vieux fond d’enfance ne stagne pas encore dans le cloaque de ses yeux ?


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Ce serait un ciel bleu, fort et profond, qui n'aurait pas atteint cette puissance où il devient plaque ardente, violette, pesant sur nos corps et blessant nos yeux – ce serait l'air devenu visible, une allégresse, une alacrité de l'esprit et des jambes.


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Tamel en ce temps là, n’osait pas exprimer un souhait à haute voix – il tentait le plus possible d’effacer ceux qui lui venaient ne serait-ce qu'en pensée – À chaque fois qu’il l’avait osé, le gamin avait perçu en retour l’affreuse vérité de ses désirs. Il lui suffisait de voir l’aspect repoussant de ce que le Dive captif en son front lui offrait pour les satisfaire.

dimanche 11 décembre 2011

744 : samedi 10 décembre 2011

Dans une quasi-obscurité, à une centaine de mètres de la porte Est du village des Hules. La petite fille faisait plus de tapage dans le minuscule étang qu’un troupeau entier de jeunes hippopotames semoncés et corrigés par leurs parents. Elle chantait aussi, comme si personne ne pouvait ni la voir ni l’entendre, osant des formes sonores qu’elle sculptait pour son unique plaisir, des mots dont le sens tenait tout entier dans la suite des bruits-souffles-timbres qui les contenait. De temps à autres elle disparaissait dans l’onde et ne surgissait à nouveau à la surface de l’eau que lorsque celle-ci avait retrouvé son immobilité virginale. Percer alors cette étendue immobile, cette membrane presque imaginaire entre le ciel et la matière dense et fluide de l’eau, faisait jaillir en elle une joie sauvage qu’elle ne cherchait en rien à contenir. Tout au contraire elle la laissait exploser en cris retentissants, à la fois violents et denses. Et ce vent d’allégresse faisait frissonner la ramure des arbres qui entouraient et masquaient l’étang jusqu’à en frôler sa surface.

samedi 10 décembre 2011

743 : vendredi 9 décembre 2011

Le goût du secret est très tôt transmis aux triple X. A côté d’eux, le plus froid des caveaux a des airs de salon littéraire. Ils se déplacent à pas feutrés et lorsqu’ils viennent à se croiser, hochent légèrement la tête d’un air entendu. On ne saurait vraiment dire ce sur quoi ils s’entendent si ce n’est leur inclination naturelle à ne rien laisser paraître de ce qu’ils savent. Mais que savent-ils vraiment, eux qui ont construit leur fierté sur cette atavique détermination à ne jamais rien savoir d’eux-mêmes ni de personne ?


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Léon, fièrement campé devant la cage, regardait son perroquet avec une infinie tendresse, se disant qu’il ne lui manquait plus que la parole.

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[Tout] ce qui passe, tout ce qui s'enfile avec la légèreté de la musique ou de la maladie, tout ce qui s'éloigne ou se retire avec la discrétion d'une nuit ratée ou d'un mot retenu, tout ce qui s'égare à en perdre haleine, tout ce qui passe sous les roues ou s'écrase contre la vitre, je n'ai pas d'autre idée, je n'ai pas d'autre sentiment à ton égard exhumé, c'est une histoire de vieille armoire de noyer, on sent la lavande encore, même si les corniches ont lâché à force d'être déplacée, moi, [ce qui ne tire pas] à hue et à dia je m'en méfie comme de la peste, les choses il faut qu'elles bougent, les gens doivent avancer, poursuivre leur route, il n'y a pas de but, je l'ai toujours dit, on me reprend aujourd'hui, on me le reproche, mais je n'ai guère dévié, je ne suis pas plus fidèle qu'une proie un garenne qui part en zigzag sous les phares ou sous le feu, mais je ne suis pas moins sévère que le chasseur engourdi quand il lance aux trousses à la fois le chien haineux et la balle invincible, mettant l'œil dans le fusil et le fusil tout entier dans [son coup], et qu'ayant anticipé sur le mouvement de l'autre, c'est une chorégraphie qu'ils nous offrent et c'est la plus belle parce qu'elle se perpétue à peine, elle est éphémère et maîtrisée comme la cadence d'une musique, comme une vérité qui ne s'étiole pas et se déroule implacable se déploie dans coup férir jusqu'à son point, jusqu'au crépuscule même, le trajet est ce temps-là, le trajet est simplement ce mouvement-là, ce geste là, qui part d'un point A et jusqu'à un point B sans se perdre en chemin, depuis la naissance jusqu'[à la mort], tout le reste importe peu, les chemin de traverse c'est pour rire, c'est encore la ligne, dans un espace non-euclidien, qui se répète, qui a dit que la danse serait raide, et le garenne et le fusil connaissent bien les aléas du labyrinthe, on ne fait que se rendre, plus ou moins vite, plus ou moins bêtement, plus ou moins courageusement à ce qui ne fait pas sens, ne fait pas pas œuvre, à ce qui n'a pas bouche, ce qui [n'a pas voix], ce qui n'a pas timbre, et qui pourtant résonne, et qui pourtant répond, répond de moi, répond de toi, et mettra un point final, je ne sais pas pourquoi, je ne sais pas pourquoi, c'est comme la cigarette, quand tu l'allumes, tu contribues à sa disparition, et comme tu me lis tu me perds et comme je t'écris je t'éloigne, nous inscrirons le mot FIN sur nos bras, sur nos peaux, nous poserons tranquillement les dernières mots, les derniers souffles à la voix, à la phrase, [au chapitre], au livre, et bien malin qui pourra décrire le mouvement accompli, on est tous rendu au même terme, toute cette terre tient dans une main, tout est une main et celle-ci à tout instant, comme un cœur, peut lâcher, alors tu vois, tes simagrées, tes pirouettes, tes redoublements et tes aventures, le lecteur déjà les oublie et ce n'était pas la peine de faire tant de bruit, on ne fera, non, on ne fera pas grand cas de nous.


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Guide de survie en territoire humain. Le territoire humain est étendu, mais paradoxalement concentré. Comment reconnaître un humain ? L'humain se reconnaît à la fragilité de sa carapace: pas de griffes, pas de crocs. De plus, pour maintenir la température de ses matières internes, il a besoin des besoins et est dépendant de quelques éléments extérieurs: chaleur, feu ou électricité et du liquide translucide. L'humain est bruyant. Au fond de ses yeux trainent toujours des petites particules d'orgueil et de mépris. Ne sachant pas faire de réserves, il est toujours à la recherche de provisions. Ne sachant pas patienter, il est toujours en mouvement. Ne sachant pas progresser furtivement, il s'habille de couleurs vives et/ou se déplace dans des engins biscornus, dynamiques, puants, qui dégagent des fumées la plus part du temps. Optimisation comportementale adaptative pour déserts ou steppes : - règle numéro alpha: quand vous apercevez un humain, forez un trou profond de 12 m et large de 50 cm pour vous laisser glisser au fond en n'oubliant pas de reboucher l'extrémité avec des feuilles ou des pierres plates; règle numéro deux: quand vous sentez un humain, partez en courant dans le sens du vent et dissimulez vous derrière un rocher, un arbre ou une dune; règle numéroméga: quand vous repérez des traces humaines, débris, déchets, vomis, secrétions; prélevez des échantillons dans les micro-éprouvettes, placez les dans la cyber-machanalyse. Elle affiche immédiatement leur nombre, leur coutume, leur sentiments en données psychiques auto-assimilables+++. Les résultats instantanés sont des trois types. A chaque type, sa réponse. A chaque réponse, son mode opératoire. Type A, Famille mono-nucléaire latitude et longitude européenne. Type B, Famille polynucléaire de race asiatique. Type C, Famille exogame à longitude: 30.104233, latitude: 51.389122. .Modes opératoires induits en conséquence: Cas A, Préparer le laser à induction organique. Cas B, Enclencher le décompte de la bombe à injection quadri-phasée. Cas C, faites appel à la base avec le protocole plutonio777@1 et le code afférent personnalisé qui vous a été gravé dans le pli du zgontax.


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Il y eut un temps en lequel l’oxygène se fit plus rare à la surface de la Terre. Nul ne sait pour quelle raison les plantes devinrent plus avares de leurs efforts, mais peu à peu, les villages des montagnes les plus élevées furent invivables. On y respirait à grand peine et ceux qui tentèrent d’y demeurer malgré tout, y moururent d’épuisement. Bientôt, l’ensemble de l’humanité se réfugia en les plaines les plus basses. Les villes devinrent gigantesques et le terrain de luttes sans pitié pour ce qui subsistait de ressources.

vendredi 9 décembre 2011

742 : jeudi 8 décembre 2011

Ce serait un ciel gris, vaguement moutonneux, juste assez pour ne pas être d'une morne unité, une présence d'un gris très clair, comme immensément lointaine, qui donnerait une coloration mélancolique à la journée, me donnerait regard filtrant, imitation de sa douce porosité. Ce serait dôme plutôt que couvercle, dominant de très haut la terre, nourri des traces infimes de l'existence évoquée de la lumière, de l'azur. Ce serait marcher le jour dans cette promesse, infiniment retardée, de la survenue des francs rayons du soleil. Ce serait s'y résigner sans peine, doucement, intérioriser la gloire future de la dure clarté.

jeudi 8 décembre 2011

741 : mercredi 7 décembre 2011

Les Bonanmalans n’ont plus grand-chose à vendre. Alors ils louent leur ombre à ceux qui ont perdu la leur en route. Cette situation n’est guère reluisante, mais par les temps qui courent, qui s’en plaindrait ?

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Ce serait un fouillis de nuages, lumineux sur leurs rives, ce seraient des trouées, ce serait devant moi une trouée plus large, irradiée, qui semblerait appeler l'image d'une assomption, ou d'un couronnement de la vierge, ou peut-être plutôt d'un char emportant un dieu et sa cour, pendant que des putti, angelots ou petits amours, joueraient d'instruments variés, installés sur les plus proches grumeaux blancs, jetteraient des pétales, avec parcimonie parce qu'ils trouveraient ça ridicule, une corvée destinée à complaire aux humbles petites vieilles d'ici-bas, ou joueraient, se cacheraient derrière les cumulus, joueraient au trapèze sur les cirrus.

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Ce fut la première fois que Tamel rencontra son frère. Ce jour là, il sut que Le Mat aussi avait des droits sur ce corps. Ce jour là, ce jumeau bancal connut enfin quelques heures, le bonheur du vent sur le visage, du chemin sous les pas, de la course qui finit en chute dans les orties, du thym, des feuilles pourrissantes et de toutes ces odeurs qui se mêlent à la lumière pour traverser les chairs.

mercredi 7 décembre 2011

740 : mardi 6 décembre 2011

Fesses humides et seins caressés, Balzac 5619 regarde d’un air absent son mentor, dans le rétroviseur psycho-quantique (.) Non (.) Pas sortir (.) Ce jour (.) JE (enfin il, + tôt) ne – sait – plus (quoi penser) - > Pourrait-il se dire {°u°} mais > il ne se dit rien : Il est un individu : Elle est un individu : Pipo est un individu. (en théorie). Donc à il ne sait pas. Un morcellement inconscient, inassumé. De l’existence. Un rut en pensée –> soudain - s’impose en son esprit : Il n’est pas un pur esprit, il le sait : Alors il ouvre la bouche et happe de l’air. L’air souffle de vie - y compris pour les nouveaux humains - conformément aux sacro-saintes lois de l’aérobie : Il est aéoribique. Le désir s’impose puissamment à son mental, mais il a la possibilité de le faire taire, ainsi que l’a énoncé en de multiples principes Marc Aurèle, dans son infinie mansuétude. Rien n’a d’importance. Le mentor-instance çA sourit, rassuré et s’en va vers la forêt de pins aux pointes recouvertes de neige. Il maintient le Cap. Ca-pi-taine.

mardi 6 décembre 2011

739 : lundi 5 décembre 2011

À force d’aimer les nombres, les Décimés ont fini par passer pour des sages. Mais ils en font en secret un usage tout à fait bordélique et cette réputation imméritée les fait rire sous cape.

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Ce serait se réveiller, un peu après le jour, qui aurait laissé un peu de rose à l'horizon, à la lisière de la nappe de nuages clairs, allongés sur la campagne, lumineux, gris très clair sur blanc assourdi, avec un gros ourlet sombre à la limite du regard, juste au dessus du toit. Ce serait avoir l'impression que les arbres qui bordent la route et les collines s'étaient éloignés, que l'espace s'était creusé, s'étendait, dans une paix en attente, légèrement triste d'oser à peine être espérance.

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Une musique, quelque chose qui ressemblait à une musique, s’élevait du buisson. Parfois on pouvait croire à une flûte, puis le son glissait du vent vers le choc et se mettait à ressembler à la plainte d’un tambour pour finir en déchirure de l’étoffe légère ou rugueuse, de l’os sous une lame ébréchée, de l’arbre sous l’éclair d’un orage estival. Tamel savait que s’il tentait de voir le musicien, pour savoir, il ne pourrait jamais connaître. S’il posait ses yeux sur l’instrument, son regard en altérerait le pouvoir. Ce qu’il voulait c’était entrer dans ce fleuve sonore, s’y baigner, y goûter les souvenirs du flux, les actes passés du cœur, des doigts, de l’âme du musicien.

lundi 5 décembre 2011

738 : dimanche 4 décembre 2011

Un souffle dans les dunes. Il relève la tête. La voici sur le sable, fesses arrondies et seins dressés. Bouche entrouverte, à califourchon sur le sable, elle a repris la pose de la statue : elle offre sa poitrine à un jeune homme qui lui ressemble... Et il soupire tandis qu'elle l'observe intensément, fesses humides et seins caressés.

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Les illuminations suspendues à quelques mètres au-dessus du sol semblaient avoir aspiré toute la joie des corps de cette foule qui se pressait d’une boutique à l’autre les paquets dorés s’accumulant au bout des bras. Les figures était graves, préoccupées par ces tâches urgentes dont elles étaient le poste de commande. Devant Tamel deux passants un peu moins mornes. Le petit pleurait, et l’autre, celui qui lui tenait la main, en le tirant plus qu’en le guidant à travers les rues encombrées de passants, l’autre qui avait une tête de plus et quelques années, l’autre lui collait régulièrement une taloche suscitant une nouvelle vague de pleurs. Une dame qui croisait ce curieux tandem osa interpeller le grand frère. C’est le petit qui lui répondit aussitôt par un joyeux « Hein, il est costaud mon frère ! »

dimanche 4 décembre 2011

737 : samedi 3 décembre 2011

Les Triple V ont tout vu, tout entendu, tout vécu. Devant les journalistes ils prennent volontiers l’air maussade, évoquent la tristesse de la chair et se disent languissant et sans projet. Mais dès qu’ils se retrouvent seuls, les voilà qui s’empiffrent comme des chancres, se vautrent dans leurs bons livres et se rendent à des soirées peu recommandables.


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Elles sont toutes, pour l’heure, silencieuses et immobiles. Le bruit, beaucoup de bruit, elle n’en font qu’à l’instant de leur naissance. Elles se dévisagent de leurs regards plats, se toisent du haut en bas. Elles n’ont que cela à faire, les unes, les vieilles, avec envie, les autres, les jeunes, avec orgueil. Dans leur société, les plus grandes, et donc les plus fières, se trouvent parmi celles qui sont venues au monde récemment. Pour Tamel, elles sont toutes semblables malgré leurs différences apparentes dans la mise générale, leurs coiffures, leurs parures diverses, ou dans leur volume, la manière dont elles occupent ce monde, leur place dans la société, la qualité des visites qu’elles reçoivent. Lorsqu’il les regarde, au-delà de leur physique actuel, il voit les pentes rocailleuses, les forêts, les arbres, le minerais enfoui en veines sombres, le sable en son grand corps morcelé. C’est aussi un peu pour elles qu’il vient parfois jusqu’à la ville et qu’il déambule, souvent en décourcis, à travers elle.

samedi 3 décembre 2011

736 : vendredi 2 décembre 2011

Est-ce en raison de sa phobie des ascenseurs que Léon manqua terriblement d’ambition ?


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Ce serait un jour clair, presque transparent, et nous irions sous un bleu de vierge florentine, que des lambeaux de nuages blancs, effilochés et légers, auraient parcouru paresseusement, si paresseusement que leur mouvement ne serait perceptible que pour les rêveurs en longue contemplation.


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La lame d’un couteau est moins émoussée que les jours.


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La bête était allongée sur le flanc droit. Lorsqu’il l’aperçut, Tamel crut tout d’abord quelle était morte. La gueule à demi-ouverte, immergée dans une petite flaque de sang, le ventre largement ouvert d’où sortait une partie des entrailles. Pourtant l’animal respirait bien que faiblement. Son poitrail se soulevait lentement puis se vidait sans bruit encore plus lentement du peu d’air dont il s’était empli. L’enfant s’approcha. Il vit que l’agonisant avait planté son regard dans le sien.Tamel reçut alors un déluge d’images qui se précipitèrent au fond de sa tête puis s’y déroulèrent comme les restes d’un rêve : Les petits, joyeux, exubérant, qui se chamaillent au milieu des champs de maïs. L’un d’eux qui fait mine de se sauver et se met à courir dans la direction de la route. Les autres qui le suivent. Et la mère qui pressent le danger et se lance à leur poursuite. Le bruit – cailloux, bois sec, galop d’au moins six chevaux – puis l’énorme roue du chariot. Les petits qui s’enfuient au-delà du fossé, terrorisés par le vacarme, sans avoir vu le choc funeste.


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Le grand baraqué au brassard rouge, Bastonnerre, surgit auprès de David. Celui-ci demande comment s'est passé sa soirée, l'autre répond bien, j'ai continué la préparation du service d'ordre, regarde, il sort un carnet de sa poche, l'ouvre au milieu, lui met sous le nez. Des schémas griffonnés: - Tu vois, là c'est les entrées de secours, faut absolument rajouter deux camarades de chaque côté, au minimum. On m'a dit que les totos allaient se ramener foutre le bordel. Si jamais on doit évacuer, faut être prêt, et pour le moment c'est léger. On est flottant. Le moyen ne peut être justifié que par la fin. Mais la fin a aussi besoin de justification. Qu'est-ce t'en penses ? David fixe avec attention le carnet: - Bien vu, parle en à Clémence, après tout, c'est elle la responsable de la sécurité ce soir. Tu sais où elle est ? Bastonnerre sautille d'un pied sur l'autre et le visage impassible: - Ah non, pas du tout. Pas la moindre idée de ce qu'elle fout. Hier, leur première nuit ensemble, collés, de la douceur de sa peau, évidemment qu'il lui a parlé, plus qu'un peu, pas des sorties de secours. Mais le dire à son meilleur ami, le mec officiel de Clémence, c'est pas le moment. Malgré toutes leurs théories sur l'amour libre et le droit des femmes blablabla, pas sur que ça passe. David dit : - Possible que tu la trouves dans la loge, y avait des problèmes avec le groupe anglais. - Ok j'y vais, fait Bastonnerre avec un sourire en biais, j'en profite pour ramener des brassards. Faut qu'on en ait tous, c'est la troisième règle pour ce soir, qu'on soit tous repérables, et cette fois, je ne laisse pas passer un camarade qu'a pas son brassard. Dans l'Art de la guerre, ils disent qu'exhiber tous les signes de l'unité de l'armée, c'est déjà un pas vers la victoire. Vu les gus qui vont débarquer, on se doit d'être irréprochable. A grandes enjambées, Bastonerre passe devant la scène, soulève le rideau qui mène aux coté jardin, laissant David seul.

vendredi 2 décembre 2011

735 : jeudi 1er décembre 2011

Les Manitous sont grands beaux et disloqués. Quand leur main gauche veut ceci, leur droite s’empare de cela. Chacun de leurs pieds trace sa route à sa guise et jamais leurs deux yeux ne se délectent ensemble du même spectacle. Et leurs propos, auxquels on ne comprend goutte, résonnent pourtant comme des cuivres rutilants.

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Il n'était que 11h30 lorsque Sabine se présenta au comptoir. Elle repoussa ses mèches noires avant de commander avec assurance un crème, deux crêpes "et un martini s'il vous plaît". La vendeuse lui jeta un œil surprit mais la servit sans mot dire. Sabine s'assit et avala la tout rapidement en vérifiant sa montre. Dans quinze minutes son calvaire allait commencer. Elle retourna au comptoir: "un autre s'il vous plaît." elle frissonna : Sabine détestait prendre l'avion...

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Tracas... Quelqu'un frappe à la porte. Croassement d'un corbeau. Courant d'air. Bruissement des arbres. On frappe à la porte, à petits coups serrés. Et je reste là. Je ne réponds pas. Je ne sais pas. Peut-être que je n'attends personne et que personne ne m'attend. Peut-être que j'ai autre chose à faire et que je ne suis pas disposée à ouvrir sans savoir... Peut-être que je suis là à somnoler, à demi-éveillée, et que je ne discerne pas l'attente de l'autre côté. Peut-être que je n'ai pas entendu frapper et que l'interphone ne fonctionne pas. Mais ces questions, je ne me les pose pas, ça n'est plus la question. Ouverte. Mon regard se porte autre part. Fenêtres ouvertes, portes closes... Ici c'est déjà ailleurs.

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Fréderic Petit, rondouillard, les cheveux bouclés, l’air toujours affairé, la quarantaine, Frédéric est celui qu’on appelle dès qu’un problème survient. Il répond toujours, heureux de pouvoir rendre service. Sauf le lundi. Ce jour-là, il n’est jamais libre. Tout le monde le sait et nombreux sont ceux qui le charrient à ce sujet. Mais Frédéric s’en moque, il n’a jamais divulgué son secret. Son métier lui convient, il l’exerce avec méthode : il est préparateur en pharmacie. Ses collègues le jugent sérieux et efficace, toutefois très discret. Il ne se confie pas volontiers, préférant parler cinéma ou voyage. Il connaît tous les pays du monde, leur situation, leur culture, leur climat. Et pourtant, il n’a jamais voyagé ! Mais c’est toujours à lui qu’on demande conseil. Le soir, après le travail, il va marcher au bord de la mer. Il dit qu’il dépose sa fatigue sur la crête des vagues. En été, il se baigne lorsque les vacanciers disparaissent. Il a horreur de la foule. Il vit seul, sans être un moine pour autant. Le problème est qu’il se lasse vite. Pour lui, les femmes sont toutes les mêmes : fatigantes ! En fait, il n’est jamais tombé amoureux. Il peut admirer la beauté chez l’une, la fraîcheur chez l’autre, leur vivacité d’esprit, leur côté rusé, leur capacité à faire mille choses à la fois…Mais au bout d’un moment, il finit par s’ennuyer et préfère en rester là. Pourtant, les femmes l’adorent, elles le trouvent drôle et très gentil. Une seule s’est attardée auprès de lui : il l’aimait bien. Elle se coiffait toujours de la même façon, d’une queue de cheval et elle passait des heures, le soir, à brosser ses cheveux. Frédéric appréciait sa gentillesse, son dynamisme et sa discrétion. Un jour, elle est partie rejoindre sa mère malade. Ils ne se sont jamais revus. Il lui a écrit quelques lettres puis s’est lassé. Frédéric est ainsi, il se contente de ce qu’il a. Le lundi, il se lève tôt, prend un solide petit déjeuner, prépare un casse-croûte, une gourde, enfile de grosses chaussures de marche et part arpenter la campagne. Par tous les temps. Lorsqu’il rentre le soir, son carnet s’est étoffé : Frédéric a la passion des insectes. Il les dessine mieux que personne ! Mais il n’en ramène jamais aucun. Ce qu’il rapporte de ses virées solitaires, ce sont de merveilleux dessins au crayon ou à l’encre de chine. Il a le don de saisir le moindre petit détail : chaque insecte semble vivant, prêt à se déplacer, à vous grimper dessus. Les soirs où il ne sort pas, il plonge dans ses carnets, étudie le moindre détail, rectifie, améliore, et ce jusqu’à la perfection. Pour lui, ces petits êtres méritent toute son attention. A tel point qu’il a décidé d’en faire une bande dessinée. Il y travaille depuis des mois. Il m’a montré quelques pages : c’est extraordinaire ! Je l’ai supplié de chercher un éditeur mais il m’a ri au nez. Si vous le rencontrez, essayez de le persuader ! Derrière ce petit être solitaire se cache un véritable artiste au cœur d’or.

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La rue est silencieuse, la nuit a recouvert les maisons depuis plusieurs heures. Seules quelques tâches d’une lumière crue émises par des réverbères ponctuent les espaces entourant les trottoirs, rendant l’obscurité environnante plus intense. Un vieillard déambule à pas lents. A quelques mètres derrière lui, Tamel suit son manège. De porte en porte, l’homme s’arrête pendant quelques minutes. Il lève alors la tête dans la direction de la fenêtre derrière laquelle on devine la présence de la fée bleue. Il semble boire le scintillement coloré que la lueur émet en palpitations aléatoires. De là où se tient Tamel, très distinctement, un petit éclair semble piquer le regard de l’ancêtre l’instant avant qu’il se remette en chemin. Quelques heures plus tard, le jour va se lever, le vieillard, d’un pas de plus en plus hésitant et court, est sur le point de sortir de la ville. Quelques pas encore. Tamel voit alors, sur la ligne d’horizon du côté de l’aube naissante, un tout jeune garçon s’enfuir en courant comme s’il était poursuivi par mille démons.

jeudi 1 décembre 2011

734 : mercredi 30 novembre 2011

Caroline penche son visage vers le ciel, vers les traits blancs sillonnant le bleu du jour, et elle sourit. Elle sait que demain elle y sera, qu'un engin de fer la transportera au bout du monde, rejoindre une autre partie d'elle-même. Demain, Caroline sera un oiseau en devenir de bonheur.

mercredi 30 novembre 2011

733 : mardi 29 novembre 2011

À force de se bercer d’illusions, les Magiciens ont développé une forme subtile de nausée chronique. Et c’est maintenant de mélancolie qu’ils se bercent, à trop sentir sous leurs pieds ce qu’ils croient encore être le roulis de la mer.

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J'aime à concevoir ce que les objets peuvent avoir de présence. On dit que la quintessence des vivants s'imprime de manière durable en leur surface, leur conférant un supplément d'interactivitéité en particulier avec nous, qui sommes partie des étants, ou pour certains de l'étant. Ce genre de vue se trouve notamment chez ceux-ci qu'on nomme spiritualistes, ou animistes, les religieux ont aussi coutume d'y recourir : Ceux qui donc se plaisent ou se trouvent à voir plus que ce qui se donne à sentir en ce monde. Plaisantes imaginations, tours de l'esprit, vaines supputations : L'étant humain est irrépressiblement tenté de réifier, de doter d'identité et d'intentionnalité ce qui se donne à lui d'inexpliqué : les milles et un « signes » du monde. Le chien se contente sagement à son échelle de gémir ou de s'agiter.

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Ce serait flottant, comme surgissant depuis le toit de la longue façade à ma gauche, un ciel en masse noire, qui s'amenuiserait peu à peu, s'effilocherait en haillons sombres ou d'un gris décourageant, qui s'avançaient contaminant, rongeant, le blanc grisâtre en couches superposées, très fines, amas de mousseline, accroché au souvenir d'un halo rose très doux, tirant sur le pèche, en mémoire d'un soleil en train de sombrer au loin.

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Larmes. Cœur qui s’affole. Dents serrées. Corps tendu comme un arc. Elle. N’en peut plus. Sa tête hurle. Elle. Va mal. Elle. Se regarde. Se froisse. Se jette. Se rejette. Disparaît.

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Tout le village était rassemblé face à la montagne, sur la place de la fontaine. Cette fontaine dont l’eau changeait toutes les fois que les Hûles se posaient en un nouveau lieu, cette fontaine qui, jusqu’à ce jour n’avait jamais déçu le porteur de cruche, semblait à présent tarie. Archos avait demandé à chacun de venir assurant que la présence de tous était indispensable. Devant les enfants, les adultes et les vieillards, il s’expliqua, dit ce qu’il savait des méfiances de la montagne ainsi que de la tristesse de la fontaine à laquelle depuis si longtemps, personne n’avait rendu grâce, à l’exception de deux enfants. Il demanda ensuite à Damouce de répéter les gestes simples du matin, lorsque, sortant de chez elle la petite éclaboussait joyeusement sa frimousse ainsi que la fleur sculptée dans la pierre située derrière le bassin, et parfois même quelque oiseau suffisamment curieux et imprudent pour qu’elle parvienne à l’arroser. A sa suite, Tamel rejoua ses propres gestes, plus lents et silencieux, ponctués de pauses, d’attentes et d’écoute de l’eau. Toute la journée, chacun à son tour fit, comme si l’eau coulait encore, les actions simples du quotidien de la fontaine, mais ce jour-là – grâce à l’absence de l’onde qui forçait l’esprit à aller chercher les souvenirs au-delà de la paresse – bien plus éveillé au merveilleux dont il se trouvait alors privé.

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D'épuisement elle bégaie, gémit. Ses membres tremblent alors qu'elle défend sa thèse devant le jury aligné. Bientôt fini, bientôt la liberté, enfin.