mercredi 29 février 2012

819 : mardi 28 février 2012

Je ne l'ai jamais dit mais j'avais décidé de te quitter il y a des semaines. Un jour en arrivant à la gare de Lyon j'ai eu un flash, j'ai su que c'était fini. Je n'ai rien dit parce que je voulais me laisser du temps, le temps de digérer, le temps d'appréhender la douleur et te sortir de ma vie en douceur. Ça ne s'est pas passé comme prévu, tu m'as devancé, et puis voilà. Je voulais l'écrire parce que tu ne sauras jamais à quel point tu m'as sauvée. De moi-même.


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Jean a dit « il y a la lumière » – et ce fut un sourire, et ce fut, par la fente des persiennes, un rayon qui s'est posé sur le carrelage, qui a lavé le rouge terne, qui a fait chanter le rose, les défauts, et les taches de vieillesse étaient parures, et, vers le milieu, un rapetassage se baignait d'ocre, de jaune soufré, et la terre cuite murmurait des contes de grand mère, sous la caresse du rayon où dansaient des grains de poussière.

mardi 28 février 2012

818 : lundi 27 février 2012

Another possibility : ditch the bus and use your feet. Twice as magnificent, elle a rajeuni ! Cela change tout, d’avoir un nom… Le verre est à moitié plein, mais il ne faut pas s’en contenter. Faisons front, il n’est pas de petit sujet : un joli nom pour un grand cru ? Bon appétit !


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Les Coucouillons ont froid en toutes saisons. Qu’il neige, qu’il bise, que darde le soleil ses rayons asséchants, c’est égal. Ils se coucouillent à longueur de journée. Ils posent parfois un doigt gercé sur une lèvre bleue et dubitent. A quelle faute lointaine de quel aïeul mal inspiré, doivent-ils donc de toujours et encore, ainsi se coucouiller ?

lundi 27 février 2012

817 : dimanche 26 février 2012

Jean a dit « il y a les murs de pierre, il y a les maçons » - il y a le béton de ciment, le béton bitumineux, le béton de sable, le béton asphalte... - mais, oui, il y a le parmin, la pierre de Vergelé, le travertin, l'Anstrude, le granite, les calcaires, la pierre bleue de Soignies, le calcaire jaune de Lignères, le tuffeau, le basalte, le cliquart, le comblanchien, les marbres, la craie blanche, le Chauvigny fin, le calcaire de Sant-Maximin franche construction, la pierre de Saint Leu, la pierre marbrière de Banon, le marbre de Guillestre, le calcaire de La Ciotat, la pierre blanche des Estaillades, la pierre coquillée à grain fin de Castillon, la pierre coquillée à gros grain de Vers, la blonde de Fontvielle, la pierre de Rognes, la pierre blanche des Baux, les pierres d'Alba Miele, de Ménerbes, de Beaulieu, de Blanco Argente, de Caberan grain fin – il y a les tailleurs de pierre, le trusquin, l'équerre, le pistolet, les scies passe-partout ou à chaîne, le pied-de-biche, la tronçonneuse, les pointerolles, les ciseaux, les bouchardes, le chemin de fer, la gradine, les gouges, la sciote, la râpe, la polka, le têtu, la pique, la gouge et le maillet, la louve, le diable, l'élingue, les roules en bois, les coins en bois, les fiches de pose – ah et il y a les carriers...

dimanche 26 février 2012

816 : samedi 25 février 2012

À force de vomir dans les salles d’attente, dans les transports en commun, sur les lieux de culte. A force de vomir quand ils sont heureux, tristes ou indifférents, sans jamais paraître en mauvaise santé, ils ont fini par attirer sur eux une certaine forme d’attention. Les pouvoirs publics en sont en effet venus à considérer que les Rejetons, au demeurant peu bavards et ignorant toute forme d’écriture, avaient peut-être quelque chose à nous dire.

samedi 25 février 2012

815 : vendredi 24 février 2012

Jamais Léon ne devint ego responsable.


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Note du journal. Je m’appelle jeanlouis. jeanlouisBASTARD, et je suis né un 21 juin. On ne sait pas quelle année, mais c’est évident que je n’ai pas vingt ans. Un pied me fait défaut. Le dos me sépare. J’ai été berger, et plus encore qu’au-delà des âges réglementaires. J’ai une cuisinière à bois, comme si vous ne le croyiez pas. J’ai l’eau courante depuis 1999, et pour le reste je me contente de peu. J’ai trois arrhes de noyers, deux hectares de lavandes et cent têtes qui s’éteignent l’une après l’autre, à la manière d’une hydre combattue. Je n’ai pas connu grand via de ce monde, et le plus souvent j’ai été concentré en moi-même. Aujourd’hui que vient l’heure tant attendue, avec toutes sortes de sentiments variés au fil des âges, je n’ai pas grand chose à ajouter de plus. J’ai aimé deux femmes. J’ai passionnément aimé deux femmes. J’ai un ami très cher. J’ai embrassé chaque jour le jour, et chaque nuit j’ai épousé la nuit. J’ai rempli mes yeux de lumière et mes poches de terre. J’ai hanté ces landes ces éboulis, et je peux dire aussi que je les ai aimés, respectés avec toute la force de mon pouls. A présent je m’en retourne à la terre, je reviens vers toi, Chamouse. Je ne t’ai pas quittée pour une autre, je suis resté fidèle, ma Vieille, je suis resté tel quel, je suis resté le même. Je veux juste déposer mon nom, comme d’autres leur glaive ou leur couronne. Je suis déchu. Je me déchoie, seul. Je m’en retourne au pays, plus fada que jamais, ton ours, ton sauvage. Qui parle de couteau ? La chute, tout simplement la chute. Plus qu’une envie se dissoudre dans le paysage. Plus que le droit de me dissoudre comme personnage. Pour ce que j’en dis.


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Un coup sec s'abat sur sa nuque, elle chancelle, amorce un mouvement en direction de son pistolet, elle sent l'acidité de sa sueur. Rouge, un rideau qui passe devant ses yeux. Sûr, cet abruti va tirer, des forces obscures ont pris le contrôle de ce pantin, il va tirer - quel bruit va faire son crâne à l'instant où la balle va pénétrer, L'OS DU CRANE, va-t-il exploser directement ou se fendre en craquelant pendant que la cervelle en bouillie se réduira en petits bouts LE CRAQUEMENT DE L'OS résonne-t-il longtemps, les neurones se déchirer comme une toile d'araignée par une matinée froide escargot écrabouillé CORTEX EN BOUILLIE Moite la matière grise se liquéfie MAL est-ce que ça va être douloureux, un peu, beaucoup, la zone de la sensibilité sera touchée la première et aucun ressenti pour le moment, ce n'est pas normal DOULEUR se propager à vitesse de l’éclair jusqu’à extrémités de son corps EFFACEMENT chaos CRI dans sa bouche, un peu de chance ce serait de ne rien NE RIEN RESSENTIR la pression du canon s'accentue au dessus de la tempe gauche BOUGER ENCORE quelques secondes après le tir comme un canard sans tête continue d'avancer, son corps bougera-t-il encore après l'explosion de sa conscience RALENTIR RESPIRATION mais pourquoi il ne tire pas maintenant NUÉE NOIRE qui monte du sol et envahit tout, elle ne voit plus rien... Ses mains ont disparu dans la purée de pois, mieux vaut-il fermer les yeux pour mourir. Ou les garder grands ouverts ? Si ça se trouve LA MORT un couloir de LUMIÈRES... donc il vaut peut être mieux les fermer... elle ferme les paupières puis les écarquille sans pouvoir se décider... les ouvre mais ne voit plus rien, peut-être est-elle déjà passée de l'autre côté ? PAF !

vendredi 24 février 2012

814 : jeudi 23 février 2012

Les Amateurs ont la fraîcheur de croire que la real life est un banc d’essai. Ils ne savent pas qu’ils sont filmés.


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Jean a dit «il y a les oignons, blancs, paille ou violets, il y a les échalotes grises, il y a les échalotes blondes, l'ail frais» et j'ai dit «oui... et l'ail rose» - puis nous nous sommes tus.


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La panse pleine, ils ne s'entendent plus parler. Les conversations tournent aux cris et aux hurlements tandis que le vin chauffe leurs joues et qu'ils s'esclaffent au moindre rien. Alice pique du nez dans son assiette. Elle n'a pas réussi à terminer son tiramisu, elle aimerait qu'on ouvre la fenêtre pour faire entrer de l'air frais, et surtout, elle se demande si c'était une si bonne idée de terminer le calva de l'Oncle Jean. Son estomac de petite fille gronde, se révolte... Tout à coup elle se penche sous la table, prise d'un hoquet libérateur.

jeudi 23 février 2012

813 : mercredi 22 février 2012

Elle devrait sans doute pleurer comme la foule en noir qui l'entoure, mais ce rayon de chaleur provenant de son cœur transperce jusqu'à la pluie du dehors... Sa joie anime ses gestes, son regard, son sourire... Malgré la tristesse des adieux du jour, elle est animée de cette simple joie d'être aimée et d'aimer en retour.

mercredi 22 février 2012

812 : mardi 21 février 2012

Les Petits-Ventre-Bien-Plein-Merde-Pour-Le-Voisin sont généreux et sympathiques. Et ils préfèrent généralement qu’on leur choisisse un sobriquet.

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A force de rester en alerte elle ne sait plus baisser la garde. Son âme se cache derrière une forteresse souriante et froide, impassible et sereine. Des volcans qui tourbillonnent en elle, peu soupçonnent l'existence : beaucoup de ses collègues la trouvent belle mais peu la trouvent excitante ou désirable. A force de retenue, elle s'est transformée en icône inaccessible. Parfois, l'envie lui prend de briser cette image, de tout casser autour d'elle pour recommencer. A la terreur de l'inconnu s'ajoute une excitation de cette page vierge qui potentiellement existe. Agnès ignore ce qui pourrait être son déclencheur. Pourquoi retraçons-nous chaque jour les mêmes gestes, et pourquoi un jour cela ne suffit-il plus ?

mardi 21 février 2012

811 : lundi 20 février 2012

Jean a dit «il y a les cloches» et elles sont arrivées – étaient quatre – se sont infiltrées sous l'arc surbaissé, sont venues se poser sur deux marches de l'escalier de la tour, contre le mur, et les trois qui occupaient la marche la plus haute se pressaient désespérément les unes contre les autres, la dernière s'appuyant en équilibre apparemment instable sur ses sœurs – se ressemblaient, forme parfaite, taille moyenne, bronze luisant doucement, poli jusqu'à la soie, avec de petites différences dans les ourlets gravés à peine discernables - parlaient d'un carillon joyeux dans le bleu de la matinée – se taisaient en fait, réduites au rang de décor.

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Toutes les voies mènent au monde : moi, j’adore la littérature alimentaire. Effectivement, la situation est alarmante. Hélas, hélas, nous sommes nombreux à bricoler dans la vie… C’est une bonne nouvelle, Le livre du rire et de l’oubli (Milan Kundera). Bien vu, il faut changer ça. Chiche, on se met tous à lire dès aujourd’hui ? J’y go… d’agneau : à table !

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Marc savait que la fatigue – l'usure du temps - finirait par amoindrir son corps. Au fil des années, il a vu sa peau se flétrir, son teint se ternir. Son pas a ralentit et sa voix a baissé au rythme de son ouïe... Mais toujours, il a continué, un pas devant l'autre, son journal à la main et ses yeux sur le monde. Marc sait que tant qu'il respirera il aimera la vie. Même les larmes sont un signe que son cœur bat et qu'il continue d'avancer, coute que coute et quel qu'en soit le rythme...

lundi 20 février 2012

810 : dimanche 19 février 2012

Des trains : gris et jaune, bleu et rouge, avec leurs vitres grasses, leurs flancs tagués, leurs mauvais grincements d’essieux, tous bondés d’inconnus qui vont on ne sait où, derrière les fumées des usines d’Asnières, et bien plus loin encore, brinqueballés en petits paquets dociles et frissonnants dans la nuit et la pluie, tout au bout des banlieues cafardeuses, jusqu’aux quais luisants d’autres gares désertes… là-bas, dont on ignore les noms. À elle seule, la gare St Lazare vaut bien des exotismes.

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Les Podophiles ont tout dans les pieds. Le cœur, la bouche, les yeux, les oreilles, l’âme et le point G. Les regarder marcher peut donner la migraine et de légères nausées. Mais leur conversation est reposante.

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Ce sont des petits riens qui s'accumulent. Le réveil du matin qui sonne toujours trop tôt, Marc se retourne en grommelant et relance pour dix minutes plus tard mais Agnès, elle, est réveillée, et ce manque à dormir l'agace. Le soir les placards claquent sans retenue alors qu'elle est couchée et tente de rattraper son déficit en sommeil : elle devrait se réjouir qu'il range mais retient sa rage grandissante de ne pouvoir se reposer. Les réveils nocturnes parce qu'il ronfle, ou se lève pour aller uriner, ou encore que son corps tremble frénétiquement de rêves sur lesquels elle se bouche les oreilles pour ne rien voir, sont pour elle devenus des furoncles insupportables. Agnès est épuisée. Elle trouve cela étrange comme critère de rupture, l'expression "tu me fatigues" a retrouvé son sens propre et elle a beau chercher autre chose elle ne trouve pas. Elle se voit difficilement envoyer Marc seul sur sa route avec ces trois mots d'explication, et pourtant lui donner autre chose relèverait du mensonge...

dimanche 19 février 2012

809 : samedi 18 février 2012

Ce serait un câble tendu en travers de mes yeux sur le bleu transparent d'un ciel pétri de douce clarté. Ce serait, négligeant cette noire séparation, une blanche échelle sans barreau, discrète à s'en effacer presque, qui orienterait pourtant le regard avec une autorité muette, tendue entre les petites traînes blanches posées sur les toits des maisons au lointain de la rue et les ronds nuages grisés fuyant au dessus de moi.


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Sophie crève les absences d'Henri en ignorant le vide. Les soirées passent à se croiser, à s'oublier. À en éviter des quartiers, des amis, à se réinventer une vie différente sans lui, une vie remplie à craquer afin d'éviter la moindre seconde de silence.

samedi 18 février 2012

808 : vendredi 17 février 2012

Il lui donnait toujours rendez-vous dans un café avant, pour boire un verre. Comme s’il ne voulait pas la brusquer en la poussant dans la réalité de la nature de leurs rencontres. Elle souriait toujours intérieurement de sa délicatesse, mais au fond elle s’en fichait royalement. Elle ne le voyait que lui. Elle ne voulait que le toucher, se blottir. C’était comme un cocon qu’ils s’étaient construits. Un monde dans le monde, un espace-temps hors du temps. A la lumière de la rue ou aux lueurs d’une lampe les corps enchevêtrés s’essoufflaient ; une brèche, une échappatoire. Sortie de secours. Le réveil sonne. C’est leur heure.


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Les Filles de Cassandre sont cassantes comme du verre. Elles ne connaissent de mots que tranchants et cette incongruité les brise.


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Un jour Léon deviendra
Général.


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Ouvrir la trousse verte. Contempler les Bic, le stylo plume stypen, le crayon hb et les trois feutres. Opter pour le progrès: Saisir le Bic multicolore noir bleu rouge vert. Caler confortablement son diamètre épais dans la main droite. D'un déclic du pouce, Enfoncer la touche bleue. Prendre une feuille de papier totalement blanche. La poser perpendiculairement devant soi. Piquer la pointe du Bic en haut à gauche de la feuille. Exercer une pression brutale sur le Bic multicolore pour enclencher le débit de l’encre bleue. Rien ne se passe. Essayer à nouveau. Pas une goutte de bleu. Entrouvrir la bouche et y glisser la pointe. Expirer plusieurs fois bruyamment pour réchauffer de son haleine. Toucher la pointe de la langue. Réessayer d'écrire une nouvelle fois et réaliser que ca n’a rien réamorcer. En s’apercevant avec une once de dépit que l’encre reste coincée dans un minuscule tube, j’appuie encore plus fort puis me lance dans le dessin de grandes circonvolutions, une débâcle à vide, qui ne font que scarifier la surface vierge sans rien y inscrire. Ainsi j'enchaine: spirales nerveuses, zigzags vains, déferlement d'arabesques, d'où, miracle, quelques fines griffures bleues marine apparaissent. Des sillons pointus marquent la feuille. L’appel d'encre se fait progressivement, les gribouillis s'expriment. Ça y est, je suis prête, quelle victoire graphique, mon cœur bat. Replacer soigneusement la pointe du Bic en haut à gauche. Tracer une capitale, un c pour être plus exact. Le prolonger d'une ribambelle de minuscules. Passer à la ligne avec un léger décrochement. Écrire la lettre jusqu'en bas de la page.


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Il marche à pas pressés, bravant l'obscurité humide traversée par l'orange des éclairages citadins. Sa voiture n'est pas loin, après un premier périple ferroviaire s'ajoute celui du trajet par la route. Les immeubles se dressent dans la nuit, sombres et solides comme des remparts au ciel, tandis qu'il conduit quasi aveuglément, son corps endolori de fatigue, ses muscles criant au repos et son esprit exténué par tant de chagrin.


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« Monsieur Fayard ? » Mais rien ni personne ne répond plus à ce nom. Ayant additionné tous les fruits, Jean-Louis Fayard décide de disparaître ici où rien ne l’accueille ne l’abrite.

vendredi 17 février 2012

807 : jeudi 16 février 2012

C'est un jour étrange, comme un premier vendredi du mois, où vaseux, je tente vainement de communiquer avec des individus virtuels, emportés dans un convoi fragmenté. C'est un jour où l'on se dit, eh oui, les gars, déjà 807, comme un aboutissement. Mais aussi un jour où je me sens comme en marge, paumé, même Léon, Johny, Lou, Jean-Rémy, Cornaline, Suzie et les autres n'arrivent pas à me prouver que j'existe, devenu personnage numérique d’une littérature immatérielle. Mêmement, il m'est impossible de prouver que je n'existe pas. Serait-ce cela l'autofiction ? Ou serait-ce cette suite de mots incontrôlés, d'onomatopées inintelligibles qui auraient cependant un sens, une sorte de glossolalie, une litanie de maux récitée chaque jour ? Perdu dans ces pensées douloureuses, je décide de changer de côté, de remonter la couette, et de redormir jusqu’à demain, comme je le fais depuis un an, et ma dernière pensée avant de sombrer dans le sommeil sera d’imaginer quel jour sera le 808e.

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Elle fait toujours très attention au début. L'idée qu'une régularité dans le clapotis de l'eau puisse trahir ses explorations la gêne. Après tout son compagnon est dans la pièce à côté. Bière à la main, il regarde le foot, concentré sur le jeu et sourd au reste. Elle reste néanmoins discrète sur ce rendez-vous avec elle-même qu'elle s'autorise, en douceur puis ensuite elle ne sait plus, lorsqu’elle exhale un soupir rassasié elle réalise qu'elle a lâché de sa réserve et oublié le monde. Un but entouré de cris de triomphe la rassure et elle ferme les yeux le temps d'un sourire.

jeudi 16 février 2012

806 : mercredi 15 février 2012

Les Pasticheurs prennent bien soin de ne rien laisser paraître. Ils naissent, grandissent, travaillent, aiment, vivent et meurent. Et nul jamais ne saura à quel point ils ont forcé le trait.

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Face à elle, un verre de blanc sec mais pas trop, un peu fruité et onéreux. Il se tient seul sur le bar et reflète vers elle les rougeurs des bougies. Derrière elle, le restaurant s'anime. Elle est belle et tranquille avec un petit air fragile, parfois son poignet se tourne légèrement alors qu'elle guette l'heure. On le regarde sans s'attarder, avec discrétion. On a et qu'elle aimerait partir mais qu'elle n'ose pas, que le temps passe et que c'est horrible, cette solitude publique de l'abandon d'un soir.

mercredi 15 février 2012

805 : mardi 14 février 2012

Ce serait une journée sombre, un ciel gris-brun, ou plutôt un ciel niant toute couleur, une lourde présence descendue sur la ville et le fleuve, une éternité sombre. Ce serait peu à peu un trou foré, un retroussis blanc et doré, ouvert sur un bleu si lointain, si profond qu'il en serait presque noir. Ce serait un sourire ébauché, ce serait l'attente.

mardi 14 février 2012

804 : lundi 13 février 2012

Buvez toute l’eau de la réserve, il en restera bien assez pour les Anciens. Epuisez vos provisions, il en restera bien assez pour les Anciens. Dilapidez votre tendresse, vos caresses, votre bienveillance, il en restera bien assez pour les Anciens. Et si vous ne possédez rien de tout cela, pas d’inquiétude. C’est seulement que vous n’êtes plus tout jeune.

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Vivement que nous en fassions tous autant ! Les grandes espérances (Charles Dickens) ? Si la nappe phréatique ne se recharge pas, avec ça… La condition humaine (qui n’a pas changé pour tous, depuis la parution du livre en 1933) ! Très jolie couverture : signée par qui ? Un nouveau paradigme. La greffe a pris…

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Elle offre un visage radieux sur la scène. La lumière tombe sur elle et l'enveloppe, s'imprègne de sa douceur et s'élance sur sa voix profonde pour se poser, enfin, au creux de l'âme des spectateurs. C'est un instant unique, qui se figera dans l'esprit d'Hélène, comme une source de joie tranquille au sein de laquelle puiser lors d'instants de vie plus sombres.

lundi 13 février 2012

803 : dimanche 12 février 2012

Ce serait une envolée échevelée de petits nuages roses sur le bleu du ciel, comme de grands et légers coups de pinceau, et après avoir pensé Tiepolo (Giambattista – pas Domenico que j'associe au blanc et gris, sans grande raison) je me reprendrais, et corrigerais en baignant dans ce ciel un coin de nymphéas, une petite zone ensoleillée, trou dans une mosaïque de couleurs plus sombres – ce serait d'une suavité sans fadeur, un ciel pour déesses aux belles formes, ou pour une gloire mariale rococo, loin des écœurements du siècle suivant - ce serait une jolie fin de journée, une de celles où on ralentit le pas comme si cela pouvait retarder l'arrivée de la nuit.

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La fièvre colore ses joues et brille ses yeux. La bouche sèche, le corps épuisé, Agnès sombre et respire lentement. À côté d'elle, Marc la regarde et attend que l'aube éclaircisse ses cernes.

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En cette ère là, le village des Hûles ne restait en un lieu que le temps d’être découvert par d’autres humains. De douloureux souvenirs gravés dans la mémoire des anciens et transmis de bouche à oreille, les dissuadaient de toute rencontre prolongée. Il aurait fallu que l’un d’entre eux sache les mots du commerce, ceux de la menace raisonnable, ou bien, à l’inverse qu’il existe dans leur communauté un être à l’étrangeté susceptible, par surprise, de ralentir la convoitise, d’immobiliser dans les esprits la peur de l’autre et de réveiller cette curiosité enfantine qui dort en tout esprit mature. C’est ce dernier personnage que, sans oser en parler autour d’eux autrement que par des regards, une poignée de vieillards, auxquels avait été confié cet espoir, attendaient.

dimanche 12 février 2012

802 : samedi 11 février 2012

Les Circonstants avancent en marche arrière et reculent en progressant. Cette approche sportive de l’immobilité trompe les prédateurs, abuse les huissiers et nimbe les Circonstants d’une grâce féline. Ainsi ne laissent-ils rien paraître de la trouille morbide qui conduit vers le vide chacun de leurs pas de lune.


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Je traverserai les tempêtes et les difficultés mon amour, je lirai entre les lignes, cherchant des nouvelles de toi sur les premières pages des journaux et trouvant du sens à travers les sous-titres et sous entendus. Je resterai ancrée dans ma certitude que l’impossible peut être, que nous pouvons créer nos destinées ensemble. Si loin de moi et pourtant aussi près que tu pourrais l’être, je courrai vers toi quand je pourrai et resterai immobile quand il le faudra. Mais je ne lâcherai rien. Jamais.

samedi 11 février 2012

801 : vendredi 10 février 2012

Avant d’ouvrir un compte Facebook, jamais Léon ne se serait douté qu’un des noms de famille les plus répandus en France soit Auteur.


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Cyril se demande s'il va enfin rencontrer la cible, depuis le temps qu’il traque Georges, il commence à douter. Il s’allonge sur la grande pelouse inclinée du parc et s assoupit. Un voile noir absorbe son attention. Dans sa main droite recroquevillée, il tient un oisillon jaune et dans la paume de la gauche grande ouverte un vieux rhinocéros en acier. L’oisillon lève vers lui ses minuscules pupilles sombres, lance un regard plein de reproche et de désespoir. Le rhinoceros piaffe sur place, racle le sol, défèque, sa merde sort en long boudin qui s'enroule en spirale marron dans le creux de la main gauche, un dégoût saisit Cyril qui essaye de se débarrasser du rhinocéros et de ses déjections immondes par un grand geste de la main, une voix nasillarde commente : - Attention, c’est un vieux mâle solitaire, c’est les pires. Son cerveau commande à sa main de gifler l air mais celle-ci ne bouge pas. Sous ses pieds quelque chose cède, il s'enfonce lentement et verticalement, c'est le poids de l'animal se dit-il en cherchant le rhinocéros du regard, pendant que l'oisillon se met à enfler, grossir, se dilater comme un gros ballon duveteux au jaune paille éblouissant. Le nombril de Cyril arrive au niveau du sol ou des dégoulinures de merde se mélange à la terre. D un seul coup il se sent soulagé par son engloutissement progressif, et impatient même, enfin il va savoir ce qui se passe en dessous. Le sol est devenu sable, un sable gris de décharge quand ses mains l'atteignent puis s'y enfoncent, au moment ou elles disparaissent une nuée de chaleur irradie dans son plexus, comme une irruption volcanique qui dégouline dans tout son corps, ses épaules s'enfoncent... il lève le menton quelques secondes encore le temps de prendre une longue inspiration, il écarquille largement sa bouche jusqu'à ce que crac... ses commissures se déchirent, ensanglantée sa mâchoire tombe sur sa glotte et pousse un cri de joie, cette sensation épaisse qui l'envahit en même temps que le sable remplit son palais et le leste, un mouvement frénétique parcourt son corps pris par la transe au beau milieu d'une boue bleue outremer. Il ne sait si ses yeux sont ouverts ou fermés quand dodelinent autour des masques blancs et grimaçants. Ah comment le transpercent ces pupilles nues qui flottent derrière ces masques, la cruauté de ces regards opaques illuminés par intermittence d'éclat scalpel qui promettent un sacrifice. Si jamais il pouvait étendre son bras et arracher ne serait-ce qu'un de ces masques, qu il découvre enfin le visage de l'ennemi, un vieux mâle solitaire c'est les pires, plutôt que de sentir ses sarcasmes et son appétit, il transpire des litres de sueur qui puent l'urine, quand les yeux semblent lui dire, aucune chance de t en sortir, je vais t attraper et je te croquerais, en entier, je te croquerais.... et la sensation de multiples canines s'enfonçant dans son ventre au niveau du nombril lui procure un plaisir intense. Quand Cyril se réveille, le soleil s aligné sur la cime des arbres. Il sourit avant de se remettre sur ses pieds, ce soir, c est sûr, ça va être un grand soir. Georges s'endort au bord du canal. Ses bras se transforment en branches noueuses qui telles le capitalisme financier ne s'arrêtent pas de pousser. Un canari se pose sur sa branche gauche, rejoint par un autre piailleur au regard de Léon Zitrone. Derrière les cumulus violets qui s'amoncellent surgissent à jet continu et dans des trajectoires libérées de l'oppression réactionnaire d'autres oiseaux jaunes vifs, qui tournent en rond autour de lui puis chacun l'un après l'autre se pose sur ses branches, jusqu'à les recouvrir de boules de plumes. Innocents et libres de tous les conditionnements bourgeois, les nouveaux venus s'agrippent sur le dos des déjà installés. L'embourgeoisement des volatiles, c'est ça, la mort. Succombant sous le poids du fascisme, les branches ploient et George ouvre la bouche:- hé le copain, pour la cogne de tout à l'heure, faut pas lésiner sur les lacrymos. Il se demande pourquoi il dit ça alors qu'il voudrait leur transmettre un message autrement plus important. Un message tellement évident qu'il fera basculer toute la galaxie dans un état de libération totale. Il inspire et ça racle dans ses parodies nasales. Crac, Les branches commencent à se casser quand il reprend son souffle, cette fois-ci il se concentre et c est sûr, il va se faire comprendre: - ne bougez bande de fachos, pas, je vous arrête pour sédition ailée, vous avez tous un grain. Un torrent de larmes jaillit de son oeil gauche, il s'en veut. Plutôt se mordre la langue que de ne pas pouvoir dire aux colibris qu'ils le brisent et qu'ils doivent s'envoler, se mordre la langue, oui, qu'ils reprennent leur migration révolutionnaire, c'est dur de se mordre la langue quand on a un bec. C est dur de faire la révolution quand on perd ses branches. C'est dur d'être un homme quand on vient de se transformer en oeuf, qu'on pique du bout de son bec mou une coquille violacée qui gémit et que quand enfin on a réussi à percer, on se retrouve humide et grelottant dans la main d'un géant.


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Celle a croisé la Vieille, mais c’est une fois de trop. Elle passait dans le Cheminas, et la Vieille semblait l’attendre. Grande et hautaine, enveloppée de ses toiles de coton avec lesquelles elle se confond druide, toute réchauffée de toutes les niaques qui se propagent dans les bouches des gens, depuis Izon jusqu’à Montbrun, on ne parle que de ça, le loup dans la vallée, et le loup a faim, et elle n’est plus la seule brebis convoitée. C’est qu’elle ne sait pas, la jeunette, de quoi elle est capable la Vieille. Elle qui à longueur de journées repasse des peaux qu’elle arrache crue des cols des lapins, elle qui remue du cochon et brasse la polenta, avec des bras plus drus qu’un pin. Elle qui longe les précipices et s’ébroue dans des souterrains connue de la seule, elle qui ramasse des herbes pour soigner ou tuer ou rendre invisible ou faire souffrir ou agrémenter la daube. Elle qui connait les noms des plantes en deux ou trois langues et reconnaît les arbres à leur tronc, à leur ombre ou à leur odeur. Elle qui observe les oiseaux dans la nuit. Elle qui parle aux pipistrelles et marche sans peur aux bestes. Elle qui hèle les voyageurs égarés dans les virages de la Roche. La Vieille est assise sur trois pierres, toute frêle, toute petite Vieille avec sa biasse à elle, on ne voit pas dedans les potions les feuilles, toute craquante petite Vieille qui ne réclame qu’attention et cautèle. Quand elle la voit, Celle — qui ne parle guère plus — devient souple et sourire. « Tout bon ma mie ? — Mon petit, oui, je reprenais du souffle après la descente — Je peux vous aider ? — Ma foi non, sauf si tu t’y connais en simples ! — Pas vraiment... Je suis nouvelle dans la région ; j’habite aux Réhauts et travaille aux Grièches. — Eh, ce n’est pas la direction, tu t’en vas promener ? — Je m’en vais... oui... promener. J’aime beaucoup le village de l’autre côté. — Izon... C’est longue étape pour une balade. — J’aime marcher ». Ou quelque chose comme ça, chacun se fait son dialogue, il est aussi creux que le vent, quoique moins perçant. En vérité il n’y eut aucun dialogue, la Vieille s’est contentée de nourrir de noir le regard qu’elle jetait à la jeune femme, qui regardait ailleurs. Les indifférences font portes. Mais le piège était tendu ou la portée déployée où se fomente la litanie dernière. En vérité il n’y eut ni dialogue ni plan macabre, la jeune femme appelée Celle a aperçu dans le Devers une ombre penchée on aurait dit une femme qui cherchait ou ramassait dans la pente quelque chose. Et cette vision a fait question, et la question s’est amplifiée au point que la vision s’est estompée sous le premier soleil piquant. Au résultat il y eut peu de spectateurs et tout au plus la grande bouche du pays, celle qui parle sans rien dire, ou sait sans savoir, s’est entichée d’une nouvelle chanson où il était question d’un duel, de prétendants et de bergères abandonnées aux lavandes, d’un couteau, et de la mort cruelle et sanglante, qui a pris l’une figure et l’a rendu à l’autre comme un trophée, de ceux qui ornent la salle du restaurant ou la grande bouche s’affaire, mastiquant des histoires comme auparavant elle crachait du mythe, parce qu’on en est plus ou moins là, à broder des histoires sur du vide, des apparitions, des fées, des miracles ou des éléphants. Et qui dira du réel, à la fin ? Et qui racontera comment la mort s’installe dans le pays, alors qu’on ne demandait que ça, vieillir en paix, s’étioler et disparaître comme une croûte, les feuilles mortes ou le cadavre que déjà les champignons dévorent de leurs cheveux immaculés ?


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Elle essaie d'occulter la lumière qui coule jusqu'à elle, ce grand aveuglement des sens tant l'intensité de l'émerveillement est fort. Il serait plus facile de rester la porte fermée, de décider de rester prostrée sur une existence simple et dénudée de sens. Vivre, réellement, intensément, c'est difficile.

vendredi 10 février 2012

800 : jeudi 9 février 2012

Les Rimes Pauvres prennent toujours la vie du bon pied. C’est là leur moindre piété.

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Ce serait un ciel tragique, noir, avec de gros nodules d'un gris de suie, sous lesquels nous marcherions en tentant petit sifflotement. Ce serait, s'ouvrant dans un coin, un trou, en tourbillon de grumeaux gris et beiges, et au centre l'idée d'un éblouissement, qui aspirerait nos yeux, et nous nous sentirions tomber vers ce puits au dessus de nos têtes.

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Ton monde, le monde. Tant de choses à découvrir. L'enfant qui tient ma main vole à ta poursuite, un peu hésitante. Elle aussi a envie de courir dans la neige, de virevolter en riant. Elle te suit avec prudence, elle n'a pas décidé encore. Il y a peu de temps, elle aurait marché à petit pas en maintenant la distance entre ton manteau brun et le sien. Rose vif. Une tâche rose et une autre brune.

jeudi 9 février 2012

799 : mercredi 8 février 2012

Albertine se penche en avant et déverse ses mots sans retenue. Sa bouche sourit mais ses yeux sont durs, ils percent jusqu'à Alice qui se sent rapetisser. Ce matin, le monde appartenait à Alice, elle traversait les couloirs en souriant à l'avenir, aveugle face aux contraintes et aux angoisses. Tout à coup, les murs se sont rapprochés autour d'elle, l'air est devenu épais et la lumière trouble, tandis que cette furie la ligote de mots : Alice ne pensait pas qu'une si petite personne pouvait contenir autant de haine.

mercredi 8 février 2012

798 : mardi 7 février 2012

Les Derniers Guerriers s’assoient à la terrasse des cafés et commandent des cornets de glaces qu’ils mangent comme on travaille. Ils ne pensent à rien, ils commandent seulement des glaces et ils les mangent. Les garçons les connaissent bien. Devant eux, ils ont posé des pièces jaunes pour payer. Ils sont énormes et flasques mais pourtant rendus si légers, par tant de renoncements. Ils sont la grâce même, effondrée sur une chaise.

lundi 6 février 2012

797 : dimanche 5 février 2012

Elles fondent, fondent, fondent, les Fanons. Et voilà que lorsqu’elles sont sur le point de disparaître, elles hésitent un instant et font soudain volte-face. Bien plus petites qu’à l’aller. Mais plus déterminées que jamais à remettre la main sur ce frêle bonheur, entraperçu un soir d’hiver, entre la brosse et la marmite.

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Elle lutte, ses yeux papillonnent. Les rires de la salle la retiennent quelques instants mais finalement la fatigue l'emporte. Tandis que sa tête dodeline, menton sur la poitrine, Fred Astaire se démène sur l'écran géant et chante sous la pluie.

dimanche 5 février 2012

796 : samedi 4 février 2012

L'oeil droit de Tamel, en son iris, avait un léger défaut, comme certains carreaux produits de manière artisanales et dont la surface est imparfaite, l'immobile s'y mouvait.


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Ce serait une douceur qui me ferait penser, avec un sourire intérieur devant la banalité du mot, « adorable » – ce serait un ciel mêlant le bleu, le rose, et la profondeur – ce serait en regardant une petite zone découpée par les immeubles, sentir l'immensité. Ce serait inconsciemment entrer dans un calme infini.


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Les doigts d'Agnès dégoulinent. Le jus part de sa bouche et se répand sur son menton, ses ongles, son pantalon en toile fine gris anthracite qu'il lui faudra mettre au pressing. La viande fume encore alors qu'elle la dissèque, enfonce ses dents blanches avec délectation dans la chair, la mastique furieusement avant d'avaler à grande bouchées. Marc la regarde presque songeur. Il la connaissait en retenue, mangeant à petites bouchées des plats sophistiqués en s’essuyant avec une serviette brodée. Il n'imaginait pas cette sauvagerie en elle, c'est nouveau et c'est excitant.

samedi 4 février 2012

795 : vendredi 3 février 2012

Les Voisins poussent sur des carrés de pelouse jaune et flétrie des petits chiens têtus qui tirent sur leurs laisses. Les Voisins pleurent derrière leurs volets fermés - je les entends qui reniflent et lancent des bruits de soufflets. Les Voisins explosent de bonheur quand il fait soleil, se renfrognent quand il pleut. Les Voisins viennent au monde, immondes, baveux, roses comme des berlingots. C’est les chéris à leur maman. Ils finissent tout oublieux d’eux-mêmes et du reste, dans un pyjama à carreaux. Parfois, ils arrosent des fleurs en plastique jaune avec un rire idiot et on les laisse faire, quand ils ne tombent pas d’un seul coup du ciel comme des paquets de neige en plomb. Entre temps, les Voisins font des tas de choses. Je me dis souvent qu’il faudrait que je parle aux Voisins.


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À l’image du grand horloger, Léon préférait celle d’un pitoyable marionnettiste.


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Du télégramme, la vieille décédée ce jour, ne rien tirer, ça ne veut rien dire, c’était peut-être hier. La peine d’avoir un ami postier. Voilà comment les mondes : on est complètement indisponible et impuissant et des choses arrivent. La Vieille, la sorcière, disparue ? Cannée ? A n’y pas croire. Il faut trouver comment contacter Picris, ou Excofier, ou quelqu’un. Il faut trouver un téléphone public, ce qui, fait, nécessite encore une carte, que farigouleBASTARD n’a jamais tenue entre ses doigts. Le tout en place, celui-ci appelle d’abord à l’auberge, c’est le plus sûr pour la plupart. Une voix gréseuse lui répond que Picris n’est pas loin, que les gamins vont le chercher, et qu’il attende. Des gamins ! Un fada de quarante-cinq ans et son frère trente-neuf qui boivent des bières à l’œil chez leurs parents et aident un peu aux menus travaux, et braconnent en patientant un héritage plus que soupçonneux. Picris arrive, visiblement hors de souffle, et répète Affreux, affreux ! mais farigouleBASTARD veut des faits, et voilà toute l’histoire qui fera un entrefilet dans le Daubé et la Provence : LA POLICE DE SISTERON VIENT PRETER MAIN FORTE A LA GENDARMERIE DE MONTBRUN-LES-BAINS DANS LE CADRE DE L'AFFAIRE DU MEURTRE D'IZON ET MONTAUBAN. LA VICTIME, UNE RETRAITEE DE 71 ANS, ETAIT CONNU COMME "LA VIEILLE" DANS LE PAYS. AUCUNE TRACE DE SUSPECT MAIS LA PISTE DU CRIME PASSIONNEL SEMBLE PRIVILEGIEE PAR LES ENQUÊTEURS. L'ENQUÊTE SUIT SON COURS Affreux ! Affreux ! farigouleBASTARD demande des nouvelles de Celle, et sent le roussis, mais Picris lui répond ce qu’il ne veut entendre. Introuvable, invisible, personne ne l’a revue depuis ton départ, il y a dix jours. Abattue en plein jour, Fari, affreux ! Sur la Tuègne ! Affreux. Après essorage des sentiments, Picris demande ce qu’il fait, comment il va, mais farigouleBASTARD se mutine, et décide de raccrocher. A présent tout ce qui peut arriver sera à son crédit, il va devoir affronter ce qu’il avait à peine commencé d’entrevoir et qui déjà est terminé, fini. Doublement. Pour toute personne le connaissant, la grande façade qu’il arbore au visage est le signe d’un tremblement d’incendie dedans et mieux vaut ne pas croiser. Enfermé dans sa chambre avec le premier vin trouvé — l’avantage des villes — il jouera debout, dans son théâtre de solitude, avec des fantômes de chair et d’os et des morceaux éventés de vie entre les dents, et il mordra, farigouleBASTARD, il mordra non plus seulement ses vêtements achetés neufs et neufs cousus pour le voyage, non plus sa main et ses doigts qui en saignent, mais tout ce qui d’une histoire ne s’apparie à aucun mythe, qui est le rythme même de l’intime, le battement des cœurs, le va-et-vient des ventres, cela il le ressasse il le mâchonne il le déglutit à n’en plus pouvoir et ses nuits sont écarlates et ses jours sont des nuits. Il n’a plus rien à faire ici, tout ceci est une farce, lui-même doute de lui-même et que ferait-il autrement ? Mais la vie est précieuse parce que justement il n’y a pas d’autrement, ce n’est pas comme le métropolitain ici, on ne change pas de voie à volonté et on ne peut pas descendre en route. Les dernières minutes sont glorieuses, chemise ouverte, torse devant, il crie dans son capiton comme un hère qu’on aurait enterré vivant.


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Dans les narines, l’air ne rentre plus. Même en se raclant précautionneusement des sinus, pas un gramme d’air ne traverse le nez. Les cotes ne frémissent pas d’un iota. Une tombe. La gorge se mure dans une immobilité marbrée. La mâchoire se décroche laissant les lèvres desséchées entrouvertes. La langue s’alourdit progressivement. De la pierre. Le rosé de la peau du visage et des mains reflue, une mer de vie se retirant d’une plage caillouteuse. Moite est la blancheur opalescente qui s’étend à la surface du corps. Des gouttelettes de sueur s’égrènent. Hoquetante, la deuxième inspiration et toujours pas d’air. Les paupières s’écarquillent un peu plus les pupilles des points d’aiguille. Corps iceberg où ne résonne que le chaos du cœur. Les pulsations intérieures se démantèlent en crescendo. C’est effrité dedans. Quelque chose d’indicible t’a emmuré. Le sang se concentre autour du cœur et du foie. Troisième essai pour inhaler de l’oxygène, ne serait-ce qu’un mince filet, une brise essoufflée se déroule des sinus au plexus. Halètement. La cage thoracique se soulève enfin, les cotes frémissent. Réanimation. Et quand la langue se colle au palais dans un clic minuscule, désormais le déglutissement est possible. Libération. Tu oscilles en arrière. Tu hausses des épaules dans un mouvement décontracté. Déferle subitement la sensation que tu viens d’y échapper, cette fois, tu viens d’y échapper. C’est passé tout près. Tes poils se hérissent. Sanglots retenus. Soupirs silencieux. Sidération effacée. Tu y tiens. Fondamentalement. Finalement. Irréductiblement. Plus que tout, tu y tiens et tu tiens.


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Tamel pensait que, pendant qu'il fermait les yeux, un peu du monde qu'il habitait s'en allait par des chemins secrets visiter d'autres gens.


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Agnès se laisse emporter dans l'ivresse du vent, ses cheveux virevoltants au grès de la brise. Elle oublie la lourdeur des jours passés, les craintes qui la retenaient et l'empêchaient d'avancer.

vendredi 3 février 2012

794 : jeudi 2 février 2012

Le sifflet vrille leurs tympans tandis qu'ils courent sur l’herbe mouillée. Sur les côtés du terrain, des adultes crient. Du point de vue des enfants concentrés sur le jeu, ils sont comme des pantins gesticulant des sons inarticulés. Le ballon passe d'un pied à l'autre, au rythme du jeu, de l'arbitre et de leur respiration haletante. Plus tard, ils referont le match avec leurs parents exaltés ou indignés. Pour l'instant tout est possible, les alentours de la ville se sont effacés et ils s'imaginent dans la gloire du stade.

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Carcan La pièce, carrée, n'est guère éclairée. L'atmosphère y est très particulière, ni vraiment humide, ni trop poussiéreuse. C'est un lieu sans fenêtres, un lieu indistinct, certainement un souterrain, qui évoque des choses oubliées. Au centre un objet insolite, rare et unique, tout de verre et de fer forgé, et d'une hauteur de pas plus d'un mètre. Monochromes, faibles lueurs blafardes, jeux subtils cependant dans les nuances de lumière. Formellement, on distingue nettement un ensemble de losanges aux dimensions plus ou moins régulières. Ce n'est qu'en s'approchant de plus près que l'on discerne à peu près la nature de l'objet, sans pour autant comprendre au premier coup d'œil son usage ou l'ensemble de ses propriétés. Cette cage a ceci de particulier qu'elle est en tous points semblable à une lanterne, aux rebords ornés de miroirs et de dorures, si bien qu'à une distance acceptable on aurait volontiers l'illusion que personne ne s'y loge.

jeudi 2 février 2012

793 : mercredi 1er février 2012

Les Entropiques ont inventé les années trisextiles afin de retomber sur leurs pieds dans le décompte hasardeux de leurs très exceptionnels coups de cœur.

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Ce serait au dessus de nous, suspendue, laissant juste une petite marge de liberté d'un bleu jaspé au dessus de l'horizon, une gigantesque courtepointe, matelassée, brodée, douce aux yeux, comme d'un lit d'aïeule dans une chambre de campagne, et je décidais que les squelettes de lavande, entre Rhône et route, embaumaient encore, comme les petits sachets glissés entre les piles de draps dans une grande armoire. Et puis comme la chambre et l'armoire n'existaient que dans un fugace caprice de mon imagination, comme ce confort était finalement légèrement inquiétant, j'ai regagné mon antre.

mercredi 1 février 2012

792 : mardi 31 janvier 2012

Les Buses ont des ruses dont la raison n’abuse. Sauf en cas d’extrême urgence.

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Elle se glisse contre lui en silence sous les draps, se niche contre sa chaleur et s'endort, un bras enroulé autour de lui et le souffle paisible.