samedi 24 décembre 2011

755 : vendredi 23 décembre 2011

Tout comme Jimi Hendrix, les Zavatars ne sont libres que parce qu’ils courent toujours.

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Notes du journal 14 septembre Elle n’a pas pu disparaître, ou c’est un rêve, une absurdité, un carnage. Il faut repasser, repasser comme des linges, des forêts hantées, des éboulements perpétuels, repasser comme la poste, la saison ou le réveil toujours plus lent et douloureux. Aimer c’est repasser. Aplatir, aplanir, dessiner, cartographier. Aimer c’est gravir, gravir le col, sans cesse en heures et en sueur, tu vois toujours le sommet, il n’apparaît jamais. Il reste là-bas. &il y a est dans reste. • Notes du journal 2 juin Où es-tu ? Où es-tu ? Je t’ai vue un jour, un jour plus. Où vas-tu ? Où vas-tu ? Tu marches, tu t’éloignes, tu t’étioles ? Où es-tu ? • Notes du journal Tu es venue hier dans la nuit, tu as passé le col dans la nuit, cela force le respect, tu as frôlé les loups, les crevasses, les enfants qui rient ou pleurent dans le ventre. Je dormais, ou ne dormais pas, c’est égal car j’étais hors de moi, confiné dans le dehors, exilé au dehors. Tu ne m’as pas réveillé, ou tu m’as, peu importe, car j’étais en moi hors de moi, confiné dans la chambre comme au dehors, prisonnier du vide, de l’espace, de l’étendu qu’aucun regard n’embrasse jamais. Et c’est avec surprise ou pas que ma bouche a gouté ta rosée. Voilà, tu es venue comme la rosée, fragile toile d’araignée, fragile toile d’eau, et t’es allongée fragilement au sol, avant encore les bruits, les bruitages d’oiseaux, leur brindille sonore, avant encore les déplacements de la salamandre qui rentre ou du faucheux qui s’essaye au jour, c’est peu vivant, c’est frisson, c’est tremblement, c’est chair de poule ou battement de paupière nerveux, c’est pas du mouvement, c’est de l’esquisse, c’est du projet. Le jour se remue, comme la montagne se remue et les premiers organismes dans son ventre reprennent leur activité. La rosée est acide, ta bouche est rose et je suis dans ce qui reste un peu des pelures de la nuit tout à toi, tout pour toi. Quand je me suis réveillé enfin , ou rendormi, tu étais partie, où es-tu ? Le jour a accroché ses panes au loquet, j’ai préféré la station debout, le dos craque, et le pied gonfle, sourdement lance, lance sourdement. L’eau est glaciale, elle est pas la chaleur de ta rosée, il y a même de la glace au fond de la lavogne. Il a gelé cette nuit. Seul le murmure des braises m’a tenu en vie, comme une idée à laquelle on s’accroche, obsessionnellement. La force de la pensée c’est de croire qu’elle tient en mortaise le monde qui passe. • Notes du journal 4/3 Comme tu es belle quand le silence anoblit. Je ne ferai pas cas de la lumière, qui n’existe que parce que tu lui donne du grain. Tu es ronde, on peut te prendre en main, on peut te porter aux nues. • Notes du journal 3 juin Mémorable équinoxe. • Notes du journal 13 septembre Tu sais ce n’est pas elle que je respecte, ce n’est pas elle comme elle, je veux dire. Je suis inapte à la parole, pas une raison pour que tu hausses le ton, hoches la tête. Je ne suis pas fait pour ça — pas plus que toi, te ferai-je remarquer. J’aimerais qu’on aille courir nus sur Chamouse, ou bien qu’on se jette depuis la falaise de Brame. Nous ne sommes pas fiers, pas de raison de l’être. Si nous suivions nos cœurs, nous nous intimerions de disparaître. • Notes du journal 13 septembre Les pelures prennent plus de place que la pomme.

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Chaque fois qu’un journaliste employait l’expression de grogne sociale, Léon voyait invariablement défiler sous ses yeux laisses et colliers étrangleurs.

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Ce serait, en un jour de douceur, une vapeur très blanche, une tache, qui flotterait entre la terre et le bleu du ciel. Par elle, par le coin d'une lanterne, comme un premier échelon, sur le chemin de notre regard, nous toucherions des yeux la profondeur de l'espace.

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Si je ne peux plus te croire parce que tout est mort entre nous, plus te croire ni en tant que chef, en tant qu'homme, en tant qu'aventurier, pendant que d'un ton éraillé comme des grains de sable crissants sous le vent, tu déclares que l'homme qui se tient devant toi est bien moi ; un moi qui serait celui du jeune qui enivré par des promesses de batailles éblouissantes et de butins carmins, t'a suivi aux prétextes de libérer une femme et restaurer l'honneur du peuple; eh bien celui que tes paroles saoulent, Πρόδρομος m'avait nommé mon père, ce moi déchiré qui n'est plus lui-même, comment pourra-t-il te faire confiance à nouveau ? Car, crépusculaire et empreinte de malheurs décuplés, notre route a croisé une chose, une chose innommable, assourdissante, tentaculaire; d'ahurissantes têtes, six bouches tigresses, des mandibules dont les craquements déchiraient les oreilles, toute en gouffres avides, insensés, béances sans fond à l'affut de la moindre chair fraiche pour la déchiqueter en moelle à pâté... Y a eu l'éclat dur de ses canines, triangles isocèles blanchâtres plantés en triples rangées, plus nombreuses que les épines qui enserrent ma cervelle et comment elles ont déchiqueté les marins et pourquoi leurs hurlements ont fait saigner mon cœur et m'ont vidé de l'intérieur, ont tout effacé de l'avant. Le saisissement jusqu'à la moelle avec le goût de la vie enfui. Sidération moisie. Saccage vermillon. Pouvoir esquisser un geste ou son ombre, c'est devenu impossible quand on ne ressent rien comme cette carcasse suspendue. La fuite sans reprendre souffle, ne pas surtout se retourner ni sur rien, ne se reconnaitre jamais. Alors, s'il ne peut plus te croire quand tu lui assures que je suis toujours même, identique à ce jeune homme qui il y a huit ans s'était engagé à tes côtés pour découvrir le monde humain grâce aux fracas des batailles; eh bien cette ombre qui fut moi avant le monstre, pourra-t-elle ce moi incertain, que ce soit par un crépuscule clair, une éclipse étouffante ou bien une aube livide où se lèverait un sirocco léger, se réintégrer dans un quelconque devenir...