samedi 30 juillet 2011

622 : vendredi 29 juillet 2011

Les Préférides préfèrent tout. Le pire, le meilleur, l’ordinaire. Ainsi, les pommes blettes, les symphonies de Mahler, les titres de transport piétinés, les enfants persifleurs, les vieillards flageolants, les amants attentifs, la pluie, le beau temps, les mots imprononçables sont pareillement source d’extase pour une Préféride bien née. Elles ont des yeux très bleus et elles meurent très jeunes.


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Farigoule Bastard est objet de transition, ou moyeu, ou vérin. / Moyeu, qui porte et élance / Vérin, qui gagne d'une chambre l'autre. / Dès le début il a fallu négocier. Ce n'est pas qu'un concept comme l'autre. / En observant de près, on y décèle de petites surfaces, spongieuses, râpeuses, de celles qui accrochent les tissus puis ne lâchent plus, de celles qui abritent des microfaunes herrisées, des levures fuligineuses, de minuscules trafics monocellulaires, des bains, des bouillons. / De plus loin, c'est un homme, une contradiction, une ombre. Levé plus que debout, maladroit, malhabile, mais disposé, décidé, comme si de boiter entraînait plus loin, comme si carcasse (salut) douloureuse ou chétive permettait effort supplémentaire et plus dégourdi. / Voilà, on bâtit sur la marne bleue, ou la roche blanche, rutilante. L'une éboule continuelle. L'autre infrangible, contre rien ne force (ni rien contre). On n'en sort pas. / Les catalogues ne présentent plus la référence, il n'y a guère qu'au garage d'Albion qu'on trouve tel type de visserie, pas fin/embase crantée. / N'était la lumière, les rideaux tombaient, de la saison à venir. / C'est la membrane squarrieuse de la parole, celle dont la prise se trouve en l'autre. / C'est Stationnement interdit Danger Risque d'effondrement. / Farigoule habite ces hameaux oubliés du temps. Lui-même. Sa journée est strictement empesée, et dans les recoins de sa mansarde, il n'y a de place que pour l'outil. Il estime à vue, c'est une qualité. Son paysage est montueux, peu virulent. Il laisse ça à plus loin. Il appartient au contingent des cinq à l'année de la commune, qui fait 1500 hectares. En ces conditions on conçoit que la parole pauvre. Il y a peu • de véhicule. Il y a • pas d'enfant. Agir y est toujours effort bataille épreuve. Vivre, en somme, du temps. / La ferme plus proche est à 3km et celle de Farigoule Bastard la dernière. Un jour reçoit Farigoule un télégramme (le facteur ne passe guère, il rassemble pour le village d'Ize à la semaine, ça fait jour plein de chemins). M. Bastard stop Restrospective annoncée stop suite Avignon collection Lambon. / Alors se tournent les attentions et le récit sur Farigoule Bastard. Jusque là évoqué seulement dans une revue d'épargne agricole et un journal local qui avait fait dossier Lavande : futur or bleu ? / Lorsque les ombres se détachent, se détachent des bruits autour. / Mécanique, dynamique, plastique, c'est. / Courroie de distribution, je le vois flotter en l'air et tournoyer, aussi rapport des arbres, transmission, transformation. Je le vois machiner. / Engrenage Bastard. / Dilue l'effort. / Démarre. / Avance, allez, avance, et accélère.


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Allison éleva ses bras en chantonnant jusqu'à trouver une pomme. Je la vois encore sous ce pommier, ses longs cheveux dorés dénoués et ondulant sur ses épaules... Son accent anglais décoraient ses mots avec bonne humeur et le jeune homme encore innocent que j'étais la dévorait des yeux sans oser l'approcher. Elle croqua la pomme avec délice en me lançant un regard espiègle. "Tu en veux ?" Les yeux dans les yeux, je croquais dans son fruit pour la première fois avec délectation.



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Au bord de la nationale, je lève le pouce, le soleil cognait. Une DS ralentit et se met sur le coté. Un nabot me fait signe de monter, des scoubidous à son rétroviseur. Ma première impression, un truc poisseux se dégage de lui, comme si jouir d'un cerveau complet n'entrait pas dans ses options. L'ennui personnifié qui ignore le mot révolution et schlingue l'eau de Cologne Saint Michel. Possible peut-être en tirer un truc. En même temps, un air d'eau qui dort, me demande si ça cache pas une taupe. Ma pomme déballe à ce petit-bourgeois, ennemi des dépassements de vitesses, des anecdotes aux petits oignons sur ma vie. Moi, je fais passer l'agressivité des blousons noirs sur le plan des idées. Et de l'action. Jamais voulu bosser, ça s'exprime naturellement à travers un comportement anti-système destructif, qui, dans un premier temps, se traduit par le fait de descendre quelques verres entre potes. Ne pas faire comme mes vieux, ne pas passer à côté de ma vie. A la tchatche, je tâte le terrain un peu: son turbin, sa meuf, sa turne, ses chiards, son pèze, et teste sur ce crétin quelques concepts qui se brisent comme du verre sur le bunker de sa connerie. Entre autres : l'agressivité c'est le pôle négatif de l'aliénation, l'action du manque, le non-jouir. Et que dans un univers où le succès est de gagner du temps, penser n'a qu'un défaut, celui d'en faire perdre. Et aussi tous les intellectuels de gauche aux mains propres n'ont jamais compris qu'on pouvait jouir en buvant le foutre du capital. En réponse, il met une cassette des Stone, il se croit dans le vent ! Je m'en contrefous de sa daube produite par le système, cette musique calibrée pour effacer l'ennui dans un Prisunic ennemi. Ce ringard a envie de profiter de la capitale, il en a marre de toujours vouloir gagner du temps, il parle vaguement d'ennemis qui lui pomperaient l'air. Je vais le trainer dans un endroit où ça bouge, lui promettant qu'il ne serait pas déçu, ça sera un pas vers sa révolution. Au comptoir des bière. Il a envie de se laisser pousser les cheveux, mais à son travail, ce serait une révolution mal vue. Encore un verre. Il voudrait faire le tour du monde une année, sans savoir quand. Il déteste le Ricard, ennemi de son tube digestif, il ne peut le dire qu'à des inconnus comme moi. On bouge. Quand il marche, une bulle se forme autour de lui. Il regarde les gens comme dans un zoo. Il tient mieux l'alcool que moi. Il a enlève sa cravate en nylon pour jouir de l'ambiance. Il trouve que c'est plus facile pour les jeunes d'aujourd'hui et que son hot-dog suinte l'ennui. Il exige triple dose de moutarde. Il avait envie de plaquer sa femme pendant chaque vacances de Pacques, puis de ne plus changer leur système conjugal après. Ca lui arrive d'arrêter de bouger, lézard immobile pendant cinq minutes, ça me met mal à l'aise comme si un Shérif ennemi entrait dans un saloon. Ce soir à Paname, à cause d'un concert, on avait prévu un plan, avec tout un système de relais entre mes potes, fallait se retrouver vers 20h. A la fête, en apercevant le chapiteau, ce mec à la manque sourit en transpirant dans son costume en polyester. Il me paye des verres, il garde un gros attaché-case en bandoulière. Est-ce que je pourrais lui chouraver ? C'est l'exemple parfait de la pègre réformiste, il a une sacrée descente, je me suis déjà dépatouillé d'autres blaireaux dans ce genre anti-jouir. Derrière son air nonchalant, je renifle une couille qui me refroidit la moelle. Un sacré coup dans le pif, je continue à faire le derche, il raconte des histoires de blaireaux avec des jeux de mots à deux francs, drôles quand même. Ca lui dit bien d'essayer le hach, la révolution des sens, du pétard et plus de verre. Tenter un nouveau truc contre l'ennui de sa vie. Il est pas clair. J'ai rien sur moi. Ses yeux déjà rougis il reste calme, je le lâche. On goupille des trucs avec d'autres zèbres, on a trouvé un bon système. Je retombe sur lui plus tard, col de chemise ouvert, il paye des coups à droite, à gauche, révolution pour son porte-feuille. Je lui montre un pétard que Dom a préparé spécialement, tiens on m'a fourgué du bon, on va faire un tour loin de ce coin où l'on pourrait avoir des ennuis. Il oscille d'une jambe sur l'autre. Je réalise que j'ai plus une thune pour un nouveau verre ou finir le mois. Il demande si j'ai des copines à lui présenter. Pas de problème je fais, d'abord jouir du moment, la fumette. On va près du canal, allez, viens, grouille, tu vas voir, c'est super, il aspire une taffe en me regardant en dessous, des yeux injectés de sang, mais pourtant attentifs. Un regard ennemi qui efface l'ennui d'être avec lui. Alerte. Mon trouillomètre se réveille dare-dare. L'agressivité est devenue l'oeuvre qui manque aux masses, mais pas à ma pomme. Concentré, je vise, emplafonne l'ennemi dans le buffet. Il vacille comme un verre posé en déséquilibre sur le bord d'un zinc, je tire son attache-case. Je décampe au plus vite, il patauge dans le canal, je courre en glissant, me casse la gueule à moitié. Il criait qu'il va me massacrer, que j'ai aucune chance de m'en sortir, jamais. Quand j'ai ouvert l'attaché-case, derrière ses papiers et ses dossiers, j'ai trouvé un drôle de double fond, un système compliqué, quatre flacons remplis d'un liquide jaune. J'ai pensé à du formol. Y avait des embryons qui nageaient. Ca a fait la révolution dans mon bide. J'ai vomi.



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Rencontre XXV L’hiver était là. Mathieu avait laissé Aude chez elle puis avait aussitôt pris le train pour Paris. On l’attendait, les musiciens s’impatientaient. Aude avait réinvesti sa maison. Le froid l’avait saisie dès l’arrivée. Devant un bon feu, Pantoufle sur ses genoux, elle triait le courrier qui s’était accumulé dans sa boîte aux lettres : factures, lettres plutôt élogieuses de ses lecteurs, journaux… et cette enveloppe qu’elle ne se décidait pas à ouvrir. Elle avait aussitôt reconnu l’écriture tourmentée de François. Sa première réaction fut de la jeter au feu. Puis elle s’était ravisée, fermement décidée à mettre un terme définitif à ce cauchemar. Heureusement, Mathieu n’avait rien vu ! Lentement, elle décacheta l’enveloppe. À l’intérieur, elle trouva une photo d’elle prise au bord de la mer, avec un message au dos : « À quoi rêves-tu, ma belle ? » Trois poèmes écrits à la main : elle ne les lut pas. Enfin, enfermés dans un papier de soie, trois brins de myosotis, ses fleurs préférées : « Pour toi avec toute ma tendresse. Reviens-moi vite ! » Elle replia le tout calmement. Elle se sentait détachée, loin de ce gâchis, si loin ! Comme si toute une partie de sa vie avait été gommée ! Tout cela n’avait plus d’importance. Pour elle, François n’existait plus. Elle avait suffisamment analysé les comportements humains pour savoir qu’il ne la lâcherait pas. Mais elle avait retrouvé toutes ses facultés et c’est avec détermination qu’elle composa le numéro du commissariat. Elle se battrait jusqu’au bout ! Le jeune homme qui lui répondit lui fixa un rendez-vous pour la semaine suivante : lecommissaire était en congés. Elle replia le courrier, le rangea soigneusement dans un dossier. « Toujours regarder devant soi » répétait inlassablement Innocent. C’est ce qu’elle allait faire. Elle s’était égarée un temps mais le chemin qui se dessinait devant elle était lumineux. Celui-là, elle ne le quitterait pas ! Elle secoua ses cheveux, attrapa son gros cahier et décida de trier ses notes. Elle se replongea dans l’Afrique… Mathieu l’appela beaucoup plus tard. Elle ne lui dit rien si ce n’est qu’elle le rejoindrait à Paris en fin de semaine. « Je dois voir mon éditeur » Il fut à la fois surpris et heureux. Il avait un nouveau contrat, il devrait aller en Suisse. « Si tu veux, nous pourrons faire du ski. Je t’aime, ma petite étoile ! Prends bien soin de toi ! » Aude raccrocha la première. Ainsi, elle allait à nouveau voyager ! C’était parfait ! Mais auparavant, elle allait clarifier la situation. Afin de n’avoir aucune zone d’ombre sur son chemin. Elle raconterait tout à Mathieu ensuite. Il fallait qu’il ait l’esprit libre de tout tracas pour pouvoir composer. Une bouffée de tendresse lui envahit le cœur. Elle voulait un enfant, très vite ! Il n’avait pas dit non…