vendredi 8 juillet 2011

600 : jeudi 7 juillet 2011

Rencontre XII Mathieu était par terre, contre le mur, ses partitions entre les mains. Hirsute, pâle et terriblement tendu. Ses musiciens n’étaient pas encore arrivés ! Pour travailler, ils avaient besoin d’un minimum de trois heures. Pour ces deux morceaux, il avait voulu un hautbois et une clarinette. Deux passages très lents qui méritaient d’excellents interprètes. On les lui avait promis. Il regarda sa montre. Au même moment, deux jeunes gens entrèrent dans le studio. Ils se présentèrent et sortirent leurs instruments. La lecture des partitions ne leur posa aucun problème. Au fil des heures, la tension de Mathieu était retombée. On ne lui avait pas menti : ces deux là étaient exceptionnels ! Pas besoin d’expliquer cent fois ; leur jeu était d’une grande finesse et leur compréhension immédiate. De véritables musiciens, si jeunes pourtant ! Mathieu aimait travailler ainsi : il prenait soin de rectifier, tout en restant à l’écoute de ce qu’ils proposaient. En les écoutant, il ressentait un bonheur intense ! Lorsqu’ils rangèrent leurs instruments, il leur serra chaleureusement la main et leur demanda ce qu’ils pensaient de sa musique. Il resta stupéfait quand ils lui demandèrent s’ils pouvaient avoir la suite de la partition. Mathieu leur expliqua qu’il travaillait sur commande et que le metteur en scène n’avait voulu que ces deux morceaux. Par contre, lui voulait ses musiciens sur scène, avec les comédiens. Ils sourirent et lui dirent que sa musique était « étrange » mais « superbe ». Ils rajoutèrent aussi que c’était la première fois qu’ils travaillaient avec un compositeur aussi exigeant. Mathieu les remercia, fixa le rendez-vous suivant et les regarda s’éloigner. Il se sentit tout à coup très vieux. Il ferma le studio et à grands pas rejoignit la bouche de métro. Il était en retard, Aude devait l’attendre ! Il n’aurait pas le temps de prendre une douche ni de se changer. Il devait lui parler ! Au fond, il en avait assez de cette vie solitaire. Il se sentait vieillir, il allait avoir trente-cinq ans ! Il sentait bien que ses habitudes de vieux garçon n’amélioraient pas son caractère. Il enviait son frère et son assurance. Lui, il se savait fragile, maladroit, trop brutal parfois ! Lorsqu’il avait avoué ses sentiments à Aude, elle était restée silencieuse et son cœur s’était instantanément glacé. Plus tard, elle lui avait expliqué pourquoi. Mais il ne pouvait s’empêcher de penser que sa propre nature faisait de lui un bien piètre compagnon ! Elle avait besoin de douceur, de délicatesse, de tendresse. Il sentait chez elle une fracture : parfois, elle se fermait, devenait lointaine, distante, inaccessible. Saurait-il la persuader ? Ces derniers jours, enfermé avec ses partitions, il devenait fou sans elle. Il cherchait son regard partout, il avait besoin d’elle, de sa confiance, de son visage calme et déterminé. Il aurait voulu entendre sa voix, frémir à son contact. Mais par-dessus tout, il désirait comprendre ses réticences, deviner ce qui la rendait si lointaine tout à coup. C’est ce qu’il voulait lui dire ce soir, avec ses mots à lui, sans la heurter, sans lui mentir. Il regarda sa montre. Allait-elle lui pardonner son retard ? Il avait exigé sa venue, de quel droit ?! Il faisait tout de travers, décidément ! La phrase du jeune homme tout à l’heure lui revint à l’esprit…compositeur exigeant ! Devait-il prendre cela pour un compliment ? Son frère avait déjà prononcé ce mot à son égard. Cela l’avait fort troublé. Il ne pouvait pas continuer ainsi. Seul celui qui avait atteint la perfection pouvait être aussi exigeant ! Il en était loin ! Tout à ses réflexions, il sauta sur le quai puis, à grands pas, parcourut les quelques rues qui le séparaient de son petit studio. Il grimpa quatre à quatre les cinq étages. Aude était là, assise sur les marches, un livre entre les mains. Elle leva la tête : son regard était dur, il vit qu’elle souffrait. Il la prit dans ses bras, tout en s’excusant maladroitement. Il ne voulait plus qu’elle souffre, plus jamais ! Ce fut la première chose qu’il lui dit, en la serrant fort contre lui. Il sentit qu’elle sanglotait.


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C’était être sous la multiplication des contraintes, des demandes, des attentes, des arbitraires, des rancœurs, des faux-fuyants, des hypocrisies, des trop-pleins de bonne volonté, des trop-pleins de conscience et vouloir, ici et maintenant, tout lâcher, tout laisser tomber, tout laisser en plan, leur en faire voir à tous qui, vraiment, comptait ici, qui, s’il partait, ferait vraiment tout s’effondrer, sentir ce pouvoir de destruction immense et vouloir effacer tout le code source, vouloir laisser un virus sur un serveur, vouloir s’en foutre d’être pris et licencié à sec pour faute grave et même s’il faudrait payer après deux ans de prudhommes des sortes d’indemnités à la boîte – supposait-on – vouloir tout casser mais bien sûr ne rien casser, juste vouloir partir, démissionner, claquer la porte et en fait ne pas partir, juste vouloir être tranquille, au moins un peu, ces derniers jours, et ne pas pouvoir non plus, et comprendre aussi combien vite nous serions remplacé, comment, avec du temps, notre passage ici et sa destruction finale serait effacés, combien nous étions, au fond, tout autant indispensable que si peu irremplaçable.


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L'enfant regarde la pluie à travers la vitre. Les gouttes se précipitent avec furie contre la paroi, hésitent et se rassemblent enfin en de grande larmes lumineuses coulant jusqu'à la terrasse en pierre rose.