samedi 2 juillet 2011

595 : vendredi 1er juillet 2011

Le voyage, un bon voyage ce serait, quoique certainement un peu long. Il fallait d'abord se rendre en gare, ce qui pouvait occuper plusieurs jours selon les rencontres-les inattendus. En laissant sur place l'Équipée au moment où chacun s'apprête à gravir la Lance pour en occuper les quartiers de lavande, Farigoule se sent un peu las. Las d'avance, las d'anticipe. La meule aiguise les couteaux. Les eaux patientent dans l'ombre. La nuit, quand tous dormaient, il avait confectionné son bagage. C'est la mule qui le mènerait, aussi fou que possible, il refusait de se déplacer dans le massif autrement. Lui connaissait les chemins, et la mule Sabrina savait les parcourir. Il avait planifié le col de Perty avant la nuit, c'était plus de mille mètres de dénivelé, qu'il fallait avaler comme on respire, avec le cœur, avec l'amble de la veine, l'allant rythmé du battement, pense aux femmes à genoux sur la dalle fraîche du lavoir, pense, pense à la râpe de la cigale, son harmonie de miettes, pense, et regarde tes pieds, regarde ce qu'un homme est capable de faire, s'allier des amélanchiers et s'élever, t'élever comme la mule porte son fardeau, malgré pas de mots, malgré pas de soucis de solutions à trouver, plus même comment se nourrir, et pourtant grimpe, malgré, grimpe, n'aies qu'une chose en tête, le sommet. Plus haut encore, encore plus haut il y aurait Max le berger, qui d'infini lointain verrait poindre deux petites piqûres sur le Perty, un rien plus clairs que les buis et pas fondus comme le rapace ou une brume, Voilà Tiens un homme un cheval non une mule quelque chose trame Farigoule se rend à la ville ce n'est pas pensable, et le chien ne voyait rien, n'avait rien vu, qui ausculte le troupeau, lequel épaissit les airs de lui, et le comble de son ronflement de laine. Il le verrait le saluerait dans un nuage de pensée, et l'autre aussi, alors sans se toucher, sans se saisir, un peu qu'ils comprendraient Salut et recevraient ce salut comme une tranche de jambon fumé comme Je t'aime. Il suivraient l'un l'autre sa crête son fil jusqu'au point de bascule où toute forme a disparu. Puis la meule essouffle : les lames sont aiguisées, ça veut dire. On y va, ça veut dire.


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C’était ouvrir les fenêtres de l’étage en grand et voir les feuilles de brouillons, les cartes de visites, les post-it qui s’envolaient tous en même temps dans un bruit de froissement et tout le monde de se lever pour rattraper ses biens, et voir même certains papiers partir par les fenêtres alors s’y précipiter mais trop tard, en bas, dans la rue, des éléments du projet allaient paver les trottoirs.


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Plonger en sous-marin me rassemble. La plongée dans les grands fonds réunit le poulpe et le fil à plomb qui sont en moi. Il y a d'immenses moments d'inactions où les chaussettes moisies s'entassent pendant que les chiottes refluent, et des fulgurances ou le tip tip du sonar surgit et l'adrénaline inonde mes veines. Je suis parée. Une bonne sous-marinière possède une connaissance profonde des abysses et des miaulements des cétacés. La première suppose une complicité avec les cartographes, la seconde d'utiliser régulièrement des cotons tige. Chaque faille océane a sa tectonique, chaque baleine blanche émet un hululement singulier. Toute sous-marinière est une instinctive. S'immerger à une inclinaison de 24 degré dans l'effervescence d'une purge des ballasts exige que l'instinct remplace l'équilibre. Toute sous-marinière est une rêveuse. Qui ne sait se fondre dans le Golf Stream ne sera jamais qu'une porteuse de pompon qui a perdu de l'altitude. S'immerger est un état d'esprit. Je suis en immersion à temps plein. Quand je dors je m'immerge, quand je mange ma soupe je m'immerge. J'incline la barre par réflexe. J'ai raclé les fonds du Pacifique et aussi ceux de l'Antarctique. Je suis en immersion dans mon lavabo et aussi à la piscine. On me trouve toujours au fond de la pataugeoire. C'est affaire de tempérament. Tout compte dans l'immersion d'un sous-marin. Un soir c'est le périscope. Le coucher de soleil est époustouflant, vous avez jeté un dernier cil dans le périscope avant de le faire descendre un poil trop tard, alors que le commandant venait de dire :-Paré à plonger, que la commandante en second en second disait :-Paré à plonger et que le chef mécano allait dire: - Paré à plonger, et le périscope, resté bloqué à l'extérieur, se déforme un chouïa sous la pression. La sous-marinière est un être qui cache son jeu, dont il faut apprendre à se méfier. Il y en a quelques unes dissimulées dans les failles des abysses, prêtes à appuyer sur le bouton rouge quand d'autres respirent l'air confiné saturé en vapeur d’acide à plein poumon. Il faut le savoir.Bien sur il y a eu de grandes sous-marinièr-e-s avant moi, Cérès, Capitaine Némo, Margygr, KK Otto Kretchmeer. Pour eux chaque plongée est unique. Il y a aussi des sous mariniers qui vous font ricaner. Le sous marinier suisse qui n'a jamais vu la mer. L'une patrouille dans le lac Léman, l'autre sous la mer de glace. Et Tintin...Parfois les éléments se déchaînent. Mal vissé, le boulon est le pire ennemi. Je me souviens d'une immersion sous un Pôle avec un boulon vrillé, ploc, ploc, ploc, soixante treize heures de mollets dans l'eau glacée, les parois grinçaient, trois jours qui m'ont laissé le trouillomètre à zéro, incapable de me dépaniquer, incapable – ce qui est encore pire, d'avoir envie de respirer à nouveau une grande bouffée d’air libre.


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Il fait nuit dehors, les lumières parisiennes scintillent au dessus des toits et vous offre leur chatoiement empêchant l'obscurité. Ta fille n'a pas de veilleuse. Quand elle a peur la nuit, elle ouvre les rideaux de sa chambre côté salon et laisse les lueurs de la ville baigner ses murs. Elle s'est installée par terre au milieu de la pièce. A genoux, courbée vers sa feuille, elle a étalé ses feutres par ordres de couleurs autour d'elle. Ses cheveux se sont échappés de ses barrettes et tombent sur son visage et volent un peu autour d'elle en un halo de lumière fin et électrique.