mardi 12 juillet 2011

604 : lundi 11 juillet 2011

C’était ne pouvoir quitter tôt car soudain assommé de questions comme si chacun prenait conscience seulement aujourd’hui. Arriver à l’apéro du Pont des Arts en retard.


----------------------


J'ai rêvé que j'avais préparé la salle pour vous, regroupé des fauteuils pour créer un coin convivial comme dit ton agent, créé artificiellement en un coin inhabituel mais en pleine lumière, de façon à ce que les regards se concentrent naturellement sur ta place, que j'avais disposé autour quelques branchages métalliques pour éviter la banalité des plantes vertes mais les suggérer, que j'avais appuyé contre le mur du fond quelques châssis retournés, qui à vrai dire étaient vierges, que les bouteilles d'eau étaient là, posées à côté de chaque siège sur de belles et anciennes faïences baroques – j'ai rêvé que je suis sortie pour juger de la vision qu'en auraient les invités, qui, verre en main, se promèneraient, discuteraient dans le jardin, sans avoir accès, autre que par la vue, à votre cénacle. J'ai rêvé que désespérément j'ai tenté de rentrer mais ne le pouvais plus.


----------------------


Rencontre XV Lucie avait apporté de grands carnets sur lesquels elle dessinait au crayon des corps en train de danser. Depuis trois semaines, elle passait son temps à la clinique, auprès de son amie. Les médecins avaient affirmé qu’elle se réveillerait, il fallait être patient. Elle avait en horreur ces salles impersonnelles aux couleurs si froides ! Le martèlement des claquettes des infirmières la rendait folle. Les premiers jours, elle avait pensé qu’elle ne tiendrait pas, tout cela lui faisait remonter de trop mauvais souvenirs. Elle aurait voulu les faire disparaître, les cimenter au fond d’elle-même. C’est pourquoi elle avait apporté ses carnets. Avec Mathieu, ils se relayaient nuit et jour. Il harcelait les médecins, allant parfois jusqu’à les traiter d’incapables ! Son visage tourmenté trahissait son désespoir grandissant. Lucie tentait de l’apaiser. Il avait été éjecté de la voiture et s’en était sorti miraculeusement avec un bras cassé, une belle estafilade à l’arrière du crâne et un traumatisme crânien. Aude avait eu moins de chance : elle était restée coincée sous le volant. Le chauffeur de camion qui avait donné l’alerte avait pensé qu’elle était morte. On l’avait opérée en urgence mais elle ne s’était pas réveillée ! Pourtant, les médecins étaient confiants. Lucie regarda son amie : tout le personnel lui avait affirmé qu’elle entendait tout et qu’il fallait absolument continuer à lui parler. Alors, elle lui racontait l’Afrique et lorsqu’elle était à cours d’idée, elle lui fredonnait les chansons que les femmes lui avaient apprises. C’était dur, exténuant, elle retrouvait une sensation ancienne : celle de basculer dans le vide. Et pourtant, Aude avait l’air si paisible malgré le gros bandage qui lui entourait le crâne ! Elle assistait, impuissante, à la série de massages que pratiquait le kiné et se détournait, les larmes aux yeux. Le pire était pour elle la patience, le sourire, le calme des soignants. Curieusement, à chaque fois, sa rage montait d’un cran ! Elle disparaissait à toute allure dans les couloirs et se précipitait dans le parc qu’elle arpentait à grands pas, une cigarette aux lèvres. Aujourd’hui, c’était Mathieu qui devait veiller Aude. Elle en profiterait pour appeler Pierre. Il lui manquait, terriblement ! Après l’accident, lui aussi était venu tous les jours. Puis il avait pris l’avion, seul. Là-bas, il était attendu, il devait commencer les travaux. Lucie l’avait regardé monter dans l’avion, elle s’était raidie pour ne pas fondre en larmes. Elle alla dans le petit cabinet de toilette, aspergea son visage, se recoiffa. Mathieu entra sur la pointe des pieds, le regard étrangement joyeux. Il avait sous son bras valide un ordinateur. Il le brancha, expliquant qu’il en avait l’autorisation. Il allait mettre de la musique, sa musique pour Aude. Elle l’entendrait, il en était certain ! Les médecins l’avaient écouté et…ils avaient donné leur accord. Mathieu régla le volume et la petite chambre parut tout à coup plus accueillante. Il avait travaillé comme un fou pour composer cette série de petites pièces. La première était au piano, c’était une sorte d’appel très doux, presque comme une berceuse. « Pas plus d’un quart d’heure ! », avait ordonné sévèrement le médecin. Mathieu l’avait entendu : chaque morceau durait douze à quinze minutes. Lucie lui sourit, l’embrassa et sortit, non sans avoir murmuré à l’oreille de son amie quelque chose que Mathieu ne comprit pas. Il avait commencé son long monologue, cherchant sur ce visage qu’il adorait le moindre frémissement.


----------------------


Son regard sur elle a changé. Aveugle aux sourires comme aux larmes qui l'agitaient depuis tant d'année, il était passé à côté d'elle comme on reste sourd au plus belles harmonies d'un rire caché derrière le fracas des pleurs. Brusquement un voile s'est levé, comme s'il avait trouvé une clé suspendue à un clou planté là depuis l'éternité, ses yeux tout à coup se sont réveillés mais il ne sait s'il est encore temps, non sans doute, ou peut-être si encore, pour le savoir il faudrait que des mots existent entre eux.