mercredi 13 juillet 2011

605 : mardi 12 juillet 2011

C’était vouloir partir, mais cette fois simplement vouloir partir en vacances plus tôt, claquer la porte pour partir mais aussi pour revenir, et le réaliser un peu en descendant les marches, en poussant la porte vitrée. S’arrêter, respirer l’air lourd et pierreux sous l’ombre inutile des arbres ; et vite remonter traiter les urgences estivales.


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Rencontre XVI « Il fait froid ! Si froid ! C’est la nuit. Je… Je veux sortir ! Où est grand-mère ? On m’a oubliée. Je ne peux pas bouger ! Je suis en pierre. J’entends… Qu’est-ce que c’est ? Je flotte, c’est doux ! Oh ! Des algues ! Je coule ! Au secours ! Aidez-moi ! Je veux remonter à la surface… J’ai peur, je me noie ! Ca tourne, je suis dans un tourbillon, j’ai mal au cœur ! J’entends des sons… Qu’est-ce que c’est ? Un piano ! Au fond de l’eau ! Je glisse sur les touches, je rebondis, je glisse, je veux m’accrocher ! Je ne vois plus rien ! C’est sombre, je m’enfonce, au secours ! Ah ! Ca va mieux ! Grand-mère ! Pourquoi me regardes-tu ainsi ? NON ! Ne pars pas ! Grand-mère ! Reviens ! Reviens ! Je remonte, je respire, mes yeux, ils ne veulent pas s’ouvrir, ils sont cousus ! Ils me font mal ! J’ai le hoquet. Hé ! Lâchez-moi ! Vous me faites mal ! QUE VOULEZ-VOUS ? Ah, ça va mieux ! Ca coule dans mon corps, c’est chaud. Oui, comme ça, c’est doux, ça crisse sous mes doigts, ça pique maintenant. Du sable ! Je suis enterrée dans le sable. J’ai chaud. Il y a plein de petites bêtes qui me chatouillent. Je ne vois rien. Mes yeux, ils sont à côté de moi, ils me cherchent. Je suis là ! Je les sens sous mes doigts. Quel silence ! Où sont-ils tous ? Pourquoi suis-je ici ? Je veux parler ! Je veux leur dire… Ils n’entendent pas ! Ils sont loin ! Oh ! Mes yeux ! Des éclairs, de toutes les couleurs ! J’y vois ! La lumière est trop forte ! S’il vous plaît, arrêtez ! Ca brûle ! Sortez-moi de là !!! Je… je m’endors, je suis loin de moi, je me vois dormir, c’est moi, là, je sais que c’est moi ! Je dois revenir, je m’éloigne trop vite ! Là, comme ça ! C’est bien ! J’ai sommeil. Je les entends… Ils m’appellent. Pourquoi crient-ils ainsi ? Oui ! Je suis là ! Ils ne me voient pas, je suis translucide. Je suis bien, laissez-moi, je m’enroule sur moi-même, je m’échappe… C’est agréable, du bleu, tout est bleu, je traverse l’espace, je suis légère, légère, une plume qui virevolte, c’est merveilleux, ils sont tous partis, le vent m’emporte, c’est doux… musique, musique, c’est sa musique, je m’endors… c’est doux… » Mathieu avait alerté tout le personnel de l’étage. Aude avait bougé ! Ses pieds, d’abord, s’étaient agités. Puis sa main droite. Il l’avait prise dans la sienne et avait senti les légers tremblements des doigts. Une infirmière était arrivée avec le médecin et tous deux guettaient les premiers signes encourageants. Ils l’avaient prié de sortir dans le couloir. Au terme d’un examen approfondi, ils le firent revenir. Le Docteur L. avait un grand sourire. Oui, elle était en train de se réveiller. Il fallait rester très vigilant, veiller à ce qu’elle ne s’étouffe pas. Cela pouvait prendre des heures. Il repasserait, pour vérifier. L’infirmière lui dit aussi que le retour pouvait être violent, elle pourrait être très agitée. Ils lui donnèrent toutes les consignes à respecter. Au même moment, Aude ouvrit les yeux, les referma aussitôt, secouée d’un tremblement, et sembla s’endormir à nouveau. Mathieu était tout près d’elle, lui chuchotant qu’elle ne devait pas avoir peur, qu’il était là, qu’il l’aimait. Quelques heures après, Lucie arriva pour le relayer. Elle avait téléphoné, elle était au courant, elle avait prévu de rester toute la nuit. Mathieu était épuisé mais il refusa de partir. Il était à la fois heureux et terriblement inquiet ! Lucie l’obligea à s’allonger dans le fauteuil. Le silence emplit la petite chambre. De temps en temps, Aude frissonnait. Ses doigts remuaient. Elle respirait calmement. Dans quel monde était-elle ? Lucie se promit de le lui faire écrire, plus tard. Saurait-elle les reconnaître ? Pourrait-elle parler ? Elle n’avait rien dit à Mathieu mais la gendarmerie avait retrouvé la voiture du chauffard, abandonnée en rase campagne. Elle appartenait à un certain François G. qu’ils recherchaient activement. Le médecin était au courant et leur avait interdit d’en parler pour l’instant. Lucie se sentit mal tout à coup, elle se précipita aux toilettes et rendit tout son dîner. L’angoisse la rongeait. Elle devait se reprendre ! Elle but un grand verre d’eau, se rinça le visage et retourna auprès de son amie, juste à temps : Mathieu se réveillait et la questionnait du regard. Il avait dormi une heure. Elle le laissa auprès de son amie et sortit à pas de loup pour prendre l’air. Elle discuta un moment avec l’infirmière de garde, l’assura que tout allait bien. Celle-ci la dévisagea, lui demandant si elle se sentait bien. « Vous êtes toute pâle ! Il faut vous reposer ! » Lucie la laissa, dévala l’escalier, traversa le parc à grandes enjambées et alluma sa cigarette. De l’air ! Elle avait besoin d’air ! Elle étouffait ! Elle se laissa tomber sur l’herbe et apprécia la fraîcheur de la nuit. Depuis quelques jours, elle ne se sentait pas bien. Toujours fatiguée. Ca ne lui ressemblait pas ! Elle se surprit à formuler une prière. Ce cauchemar devait cesser ! Elle allait devenir folle ! « Dépêche-toi, Aude, s’il te plaît, dépêche-toi ! », murmura-t-elle en remontant dans la chambre.


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Dans l'apaisement du soir, elle compte les gouttes ruisselant de la gouttière. On lui pose des questions mais elle répond qu'elle n'a pas plus mal que d'habitude. Ses draps sont changés, sa perfusion surveillée. La sueur perlant de son front est tamponnée avec sollicitude. Enfin ses paupières se ferment sur des rêves où, du haut de ses dix ans, elle peut sortir de sa chambre au papier peint jaune et violet, pour aller courir au fond du jardin ramasser des fleurs et s'admirer dans le ruisseau.