dimanche 7 août 2011

630 : samedi 6 août 2011

Sa mère cache toujours une clé sous une tuile rouge fendue. Cachée derrière un bac à fleur le long du mur de la maison, elle est une garantie pour Agnès qu'une porte lui sera toujours ouverte. Ce soir elle roule trop vite sur l'autoroute, laissant Paris derrière elle et vibrante de l'attente de la possibilité d'un apaisement que lui offrirait cette maison.


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Rencontre XXXII Pierre était rentré tard, bien après que la nuit soit tombée. Lucie l’avait attendu, elle était préoccupée et voulait lui parler d’Antoine. Il travaillait trop, ne dormait plus, délaissait sa compagne, devenait irascible et fuyait toute conversation. Elle ne l’avait jamais vu ainsi. Depuis quelque temps, au dispensaire, le personnel s’inquiétait de ses accès de mauvaise humeur. Claudine parlait d’un vilain mal qui lui avait envahi la tête. Pierre savait tout cela. Antoine et lui en avaient beaucoup discuté : il en avait assez ! Il s’épuisait à courir après ses malades qui n’en faisaient qu’à leur tête. Il les soignait, consciencieusement, les remettait sur pieds…tout ça pour les retrouver presque mourants quelques semaines plus tard. L’alcool, la malnutrition, la misère en étaient responsables. « Dans ce pays, les gens vivent au jour le jour, l’angoisse les tenaille, il suffit d’une rumeur pour qu’ils deviennent fous. Leur courage, leur résistance sont à la mesure de leur peur. Ça, tu vois, nous ne pourrons jamais le soigner ! Le pays est beau mais la confiance a disparu. Ils ont la volonté de vivre mais ils sont tous hantés. Je ne le supporte plus ! » avait expliqué Antoine. Puis, un autre jour : « Je n’ai rien à offrir à Espérance. Elle est jeune, belle, pleine d’illusions. Moi, je vieillis et je suis fatigué ! » Pierre avait tenté de lui remonter le moral. Mais son ami s’enfonçait dans le désespoir, il le sentait bien. Le mal dont parlait Claudine était le résultat de ses longues batailles pour soigner, apaiser, réconforter, réparer des corps et des esprits tourmentés, sans cesse sur le qui-vive. Elle comprenait parfaitement qu’il puisse renoncer… Lucie écoutait Pierre parler, réalisant tout à coup qu’il était en train de lui annoncer le départ d’Antoine. Il le lui avait dit : il rentrait en Europe avant de devenir fou lui aussi. Elle posa ses poings sur sa bouche pour ne pas hurler ! Son frère, celui qui l’avait ramenée à la vie, celui qui avait mis ses enfants au monde, non, il ne pouvait pas partir ! NON ! Elle allait lui parler, il l’écouterait, sa vie était ici, il avait juste besoin de repos… Pierre la laissa à sa colère. Lui aussi n’en pouvait plus ! Les jumeaux grandissaient mais quelle vie pouvait-il leur offrir dans un pays sans cesse suspendu entre la peur et la révolte ? Personne ici ne pourrait jamais oublier le génocide ! La méfiance s’était insinuée comme un lent poison dans les esprits. Pierre savait qu’il ne pouvait pas aller contre. Il voulait autre chose pour ses enfants. Lucie devrait l’accepter. Il était bien décidé à lui faire entendre raison !