samedi 21 août 2010

282 : vendredi 20 août 2010

C’était quitter un quart d’heure, vingt minutes parfois trente, plus tôt, le vendredi se donner ce droit, faire de cette licence collective une norme, latente ou alors au contraire, dans le bureau presque désert de cette dernière heure du vendredi, rester, travailler tranquillement.

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Minima moralia (1/3) Puis un soir, il leur avait semblé que le fait de vivre ou celui de mourir était tout à fait indifférent. Ils s’accordaient à dire que la souffrance était mauvaise, mais ils ne voyaient pas en quoi la mort l’était, ni, tout bien pesé, en quoi la vie était bonne. La vie n’est ni bonne ni mauvaise, après tout, au même titre que l’espèce humaine dans son ensemble, capable de bien et de mal puisque pourvue de morale, mais au même titre que tout être vivant ou inanimé, c’est ce qu’ils se dirent ce soir. C’était troublant, de leur part. Ils s’étaient toujours crus humanistes, au sens commun du terme, et ils se trouvèrent alors bien nihilistes. Mais ils n’étaient pas cyniques, ni cruels, ils n’avaient aucune bienveillance ni aucun attrait pour la douleur, ni mentale ni physique. Qu’il n’y ait pas de souffrance, c’est ce qui leur importait, pas de souffrance pour personne, après, la question de la valeur de l’existence de l’humanité était absurde, ceci n’était pas nouveau pour eux, mais ils n’avaient jamais tiré le fil de ce constat. L’univers ne se porterait ni mieux ni plus mal si l’humanité s’absentait, ou plutôt, et c’était une différence considérable, il ne se porterait ni plus ni moins en cette absence.

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Je ne me sentais pas très bien. Les gens dans le métro me faisaient presque horreur. En général, je recherche naturellement le beau ou l'amusant chez les inconnus autour de moi; je leur imagine des pensées, des goûts, des émotions, des préoccupations qui me plaisent; je leur rêve des vies que j'aime ni parce qu'elles sont celles dont je voudrais ni parce qu'elles sont différentes de la mienne mais pour leur existence propre – telle que je la rêve – ; je vois chez une femme, chez toutes les femmes, ce qu'un autre homme pourrait trouver séduisant. Ce soir-là, ne m'entouraient que regards malsains, bouches tordues, teints blafards et peaux poisseuses, vision incommodante de la laideur antipathique qui ne me racontait rien d'autre que navrante tristesse et hargne larvée. Mon trajet était long, et mon accablement tel qu'au lieu de sonner la révolte et clamer ma différence, je finis par m'assimiler à la difformité ambiante. Une méchante grimace envahissait peu à peu mon visage. A Stalingrad, c'en était fait, je me sentais moche; et c'était probablement parce qu'elle n'était pas là pour me laisser croire qu'elle me trouvait beau.