vendredi 20 août 2010

281 : jeudi 19 août 2010

C’était, le matin, sortir deux ou trois stations avant ou après, les beaux jours, le soleil, en profiter, se croire, quelques minutes, en vacances.

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Faisons preuve de discipline et procédons progressivement. Nous pourrons pas à pas nous rapprocher de l’inactivité totale, et de l’existence infime. Réduisons d’abord notre espace vital, en rapprochant les meubles les uns des autres et en délimitant des zones de nos logements que nous ne pénétrerons plus - il convient, dans un premier temps du moins, que le tracé de ces zones n’interdise pas l’accès à des équipements indispensables, tels que les toilettes et la porte d’entrée. Chacun selon son rythme, de façon à ce que celui-ci soit légèrement contraignant, nous agrandirons les zones impénétrables de nos domiciles. Pour se restaurer, chaque aliment sera pesé et les quantités ingérées seront progressivement réduites, des paliers de stabilisation seront observés, lorsque l’organisme semblera subir des carences. Passées ces phases d’adaptation, le processus de réduction alimentaire se poursuivra. C’est également petit à petit que notre sociabilité sera réduite, la durée de chaque interaction sociale sera chronométrée, et la fréquence de leurs occurrences comptée, c’est sur ces deux variables que s’appliquera progressivement la diminution, jusqu’à ce que les événements interpersonnels se limitent à se croiser dans la rue sans s’arrêter ni s’adresser mutuellement la parole. D’importants efforts devront être mobilisés pour affronter la plus grande difficulté présentée par le processus : la restriction mentale. Il est plus difficile de quantifier les pensées et de mesurer leur complexité, nous disposerons donc de moins de repères sur lesquels appuyer notre travail dans ce domaine, pourtant il nous faudra de moins en moins penser chaque jour, de moins en moins souvent, et en usant de moins en moins d’idées complexes. Les méthodes à appliquer pour y parvenir semblent ici moins tangibles, nous nourrissons cependant de forts espoirs que l’ensemble des autres restrictions appliquées favorise naturellement une disposition générale nos individualités qui soit propice à la diminution mentale.


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« Aimez-vous les aubergines ? » Telle est la question que lui posa sa future colocataire lorsqu’il débarqua avec armes et bagages dans son nouveau domicile. La question le laissa interdit. Que voulait-elle dire ? Savoir s’il aimait ce légume, oblong, brillant, d’une couleur entre le violet et le bordeaux soutenu, pour ces qualités esthétiques, ou parce qu’il était lisse et doux au toucher ? Ou s’il en appréciait la saveur, grillé, cuisiné en gratin, à la parmigiana ? Ou alors fallait-il passer au second degré : s’intéressait-il aux contractuelles, dans cette appellation un peu vieillotte, peut être signe d’un certain penchant pour le passé, le rétro ? Ou avait-il un penchant pour l’autorité, la règle, la discipline ? A moins qu’elle n’ait évoqué les « eaux Bergine », peut être une marque d’eau minérale de lui inconnue, voire d’eaux thermales, ce qui pouvait ouvrir de vastes étendues fantasmatiques, entre nudité et jacuzzi… Enfin, au-delà de toute signification, était-il possible de répondre au hasard, oui ou non ? Affolé par l’impasse dans laquelle il se voyait, il finit par se saisir de ses bagages et détala au plus vite abandonnant la chambre tant convoitée… Il lui fallut bien des semaines pour retrouver un point de chute. Lorsqu’il se présenta devant ses nouveaux colocataires, ceux-ci le regardèrent fixement avant de lui demander « œuf dur ou mollet ? ».