vendredi 13 août 2010

274 : jeudi 12 août 2010

Il reviendra. Même s’il est loin, même s’il m’oublie, il reviendra. Même si cent paysages nouveaux se sont imprimés sur sa rétine, en couches superposées, qui cent fois m’ont reléguée un peu plus en arrière, il reviendra. Même s’il s’efforce de tout oublier, même si chaque journée commençante est une nouvelle occasion d’effacer de sa mémoire la vie quotidienne, les mille visages qui peuplent son existence surmenée, les obligations, les subterfuges, les responsabilités, les charges. A travers toute la largeur d’un océan, je l’entends respirer de soulagement, secouer de ses épaules les harassantes contraintes de tous ces derniers mois. Je l’entends m’oublier, comme il oublie tout le reste – un tout mal rangé qui ne fait pas de distinguo. Je ressens en moi un vaste infini d’attente, et l’humaine curiosité de savoir ce qu’il restera de cet infini au bout de plusieurs semaines d’absence, de silence, de distance.


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C’était regarder par la fenêtre et chercher du regard la tour Montparnasse, la tour Eiffel ou la basilique du Sacré Cœur, et se dire : « je suis à Paris, après tout je suis à Paris. Combien envient mon sort ? Dans le monde entier, combien, combien envient mon sort ? »


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Quand je relevai qu’un détail avait changé dans son apparence, afin que nous ayions un échange de paroles amical bien que bref, pour montrer aussi que je lui portai un peu d’attention et certainement enfin pour agir à la façon minimale qui est la mienne - qui en l’occurrence relève plus du propitiatoire que de l’efficace - en faveur de rapprochements ultérieurs, elle ouvrit son visage d’un large sourire qui me la rendit plus désirable encore, et ralentissant à peine sa marche me répondit d’une courte phrase qu’elle fit sonner comme l’évidence, et qui disait que oui, on pouvait très simplement changer de coupe de cheveux plusieurs fois par jour - comment pouvais-je l’ignorer et où avais-je donc pu traîner ma gentillesse toutes ces années pour ne pas déjà le savoir ? La répartie pénétrante et vive dont je sais que j’aurais alors dû l’avoir et dont je ne connais toujours pas la teneur n’amorça pas les moindres mouvement ni frémissement, depuis aucun des recoins de mon esprit. À sa place vinrent le long “Ah” suivi du bref “d’accord” de celui qui simule la bêtise car il ne sait pas simuler l’intelligence, aux moyens desquels on espère désespérément et par réflexe faire croire à l’existence de l’intelligence que l’on n’a pas, telle qu’elle serait indiquée par un recul spontané vis-à-vis de la niaiserie et par l’usage aisé d’un humour rudimentaire en guise d’esprit. Je n’avais plus qu’à regarder s’éloigner la nuque et l’épaule droite barrée d’une bretelle de soutien-gorge noir qu’elle portait découvertes et appétissantes.