Minima moralia (3/3) Ils connurent une panique froide en constatant l’insensibilité de leur raisonnement, et l’indifférence qu’ils éprouvaient en y adhérant. Ils se rassurèrent comme ils le purent en se convainquant qu’ils n’avaient pas légitimé le meurtre puisque le cas qu’ils avaient postulé ne pouvait exister dans la réalité. Ils ne cherchèrent pas trop à démentir cette impossibilité supposée, ils souhaitaient ne plus être approchés par les idées qui avaient été les leurs à ce sujet. Ils étaient moraux, leur honte et leur agitation présentes le disaient, mais ils ne savaient que faire de leur morale, ils ne connaissaient plus le rapport qu’elle pouvait bien avoir avec la réalité du monde dont ils faisaient partie. Pour définitivement conclure ce malheureux épisode par une note positive, ils procédèrent par extension et par diversion : ils se dirent que si l’humanité entière pouvait disparaître en une fraction de seconde dans une apocalypse nucléaire, sans qu’aucun - aucun - de ses individus ne survive ni ne se rende compte de ce qui se passait, ils signeraient tout de suite. Comme ils arrivaient à la terrasse d’un café à l’instant précis où ils échangeaient ces dernières paroles, ils s’assirent, commandèrent chacun un demi de bière blonde, et commencèrent à parler du championnat de football professionnel, qui venait de reprendre.