vendredi 27 août 2010

288 : jeudi 26 août 2010

C’était le soir avoir oublié comment la journée s’était passée, en quoi elle avait consisté, de quel travail elle s’était gonflée, elle si pareille aux autres, si identique que disparue de la mémoire à peine produite, comme un non-événement, comme si rien ne s’était passé que ces huit heures, pourtant payées ici, revendues ailleurs.


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Elle m’avait dit “à tout à l’heure” en partant, et nous ne nous sommes plus jamais revus. J’ai entendu parler d’elle depuis, rien de spécial n’était à signaler. Quand le “tout à l’heure” qu’elle m’avait annoncé ne l’avait pas vue revenir, j’ai étendu “tout à l’heure” en un espoir inquiet jusqu’à tard dans la soirée, puis j’ai été persuadé qu’elle ne reviendrait plus. J’aurais pu l’appeler, pour savoir si elle venait toujours ou si elle avait connu un empêchement, j’aurais dû peut-être, mais je ne voulais ni lui donner l’impression que j’exigeais sa visite, ni qu’elle croie que je considérais ses explications comme m’étant dues. Je ne l’ai pas appelée ensuite, en espérant longtemps et chaque jour qu’elle me contacte. Je ne l’ai pas appelée ensuite car je ne savais pas comment prendre en compte son silence, je ne voulais pas que mon initiative lui apparaisse comme un rappel d’égards de sa part auxquels j’aurais droit. Je ne l’ai pas appelée ensuite par peur de l’embarrasser, et parce que la cause de son retrait soudain qui me semblait la plus probable était qu’elle avait tout simplement et très subitement réalisé l’ampleur de l’anomalie qu’était l’estime qu’elle m’avait portée depuis longtemps. Je ne pouvais pas la blâmer pour ça.


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Il était fasciné par le gorille. Calé dans le coin fait par le mur et la paroi en verre de sa cage, l’animal faisait face de trois quarts aux visiteurs, énorme de rondeurs au poil dru, hirsute, moiré. A force de stationner de longues minutes face à lui derrière la vitre, il crut, puis fut persuadé qu’il avait développé avec l’animal une relation particulière : le gorille l’observait de ses yeux bruns et brillants, si humains, le reconnaissait, l’attendait, l’appréciait même peut être ; il n’était pas loin de penser que tous deux se comprenaient, avaient développé comme une sorte de complicité. Ce manège dura des semaines, des mois. Puis un jour qu’il était comme d’habitude en faction devant la vitre, sans élan, sans un cri, mais d’un mouvement entier de toute sa masse, d’une brutalité inouïe, le gorille se lança contre le vitre sur lui, dans un fracas assourdissant de verre secoué mais non brisé. Il en fut terrifié, mais incapable de déterminer si l’instinct sauvage de l’animal avait repris le dessus, comme un déni inconscient de ses théories zoolâtres, ou si, au contraire, la conscience nouvellement acquise de l’injustice de leur situation respective l’avait conduit à cette révolte.