jeudi 19 août 2010

280 : mercredi 18 août 2010

C'était se faire manipuler, et ne rien dire pour garder un peu de calme, éviter les discussions, trouver ça bien et ça pas bien selon comment les choses tournaient tout en restant d’aucun côté, jouant l’objectivité, la franchise, tout en collant aux attentes non formulées, de plus en plus facilement devinées avec le temps, pour se préserver de ce qui, sinon, arriverait : les foudres, les relances, les demandes, les charges, les responsabilités ; ou tout ça à la fois.


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Convalescence luxueuse, il était plein d'une gratitude, un peu agacée, un peu gênée, pour ses hôtes, mais, et il s'y résignait sans trop de réticence, un rien ennuyeuse. Repos respecté scrupuleusement par tous. Et pour qu'il soit total, on avait ouvert pour lui l'ancienne chambre d'apparat, isolée au bout de l'enfilade des salons inutilisés en cet automne où la campagne se repliait sur elle-même. La lumière entrait, tournant avec le jour, par de grandes fenêtres à l'angle de l'aile principale, donnant les unes sur le grand jardin, juste après la terrasse sur laquelle s'ouvraient les porte-fenêtres du bureau, de la salle de musique, des deux salons, les autres sur un petit bosquet clair. Et les enfants qui restaient là, que leurs parents n'étaient pas encore venus « récupérer », avaient ordre, ce qui leur convenait fort bien, de limiter leurs courses de vélo, leurs bagarres, leurs jeux à la cour d'entrée et au jardin fou, au bout du parterre de gazon. Un jeune femme timide et silencieuse amenait et emmenait, entrant comme un souffle, guettant un sourire pour se risquer à y répondre par un salut murmuré, les plateaux de ses repas. Et sa vieille amie passait le matin pour l'embrasser, lui proposer les menus du jour, s'inquiéter de son humeur, lui raconter leur journée de la veille pour l'inclure dans la vie de la maison, un peu. Il lisait, jouait un peu de sa guitare, passait des heures à se demander si lui reviendrait goût pour l'action, la musique, la lecture – pour l'écriture il la bannissait, n'ayant pas désir d'étaler son vide intérieur, ou de creuser sous celui-ci. Il restait souvent allongé, les yeux fixés sur un cul de four d'angle, formes arrondies, gonflées, douces, dont l'étrangeté lui apparaissait de plus en plus, et il tentait paresseusement de leur donner un sens, un nom.


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Nous avons pris ensemble un escalier, monté deux ou trois étages, plutôt deux je crois, puis nous avons emprunté le couloir face à nous, et celui vers la gauche à la première intersection. Tout était blanc, la peinture sur les murs, le carrelage au sol, les plaques aux plafonds et les structures en quadrillages qui les portaient, les parois et les portes des bureaux que nous longions. Et la lumière des néons. Il appela l’ascenseur, les portes blanches et à l’intérieur, entièrement blanc, avec le miroir qui nous reflétait, le miroir blanc, du blanc de ce qu’il avait à refléter, qui était blanc, à part nous, encore que je nous trouvai un peu livides. C’est en me voyant dans le miroir que je pensai à un hôpital, pas avant ce moment, curieusement. Il m’avait fallu voir mon reflet dans cet environnement clinique pour trouver un peu de recul et convoquer les souvenirs de mes rares passages dans des hôpitaux. Il n’essayait pas de faire la conversation, moi non plus, ni dans l’ascenseur, ni pendant que je le suivais le long des couloirs. Notre trajet au travers du bâtiment durait depuis plusieurs minutes, il y eut encore des couloirs, encore deux ou trois fois l’usage d’un ascenseur, la descente d’un étage par des escaliers et d’autres couloirs. Rien n’avait été que blanc, aucune irrégularité ne s’était montrée, nous n’avions croisé personne, et pas entendu d’autre bruit que celui de nos pas et des mécanismes d’ascenseur. Il s’arrêta au beau milieu d’un couloir devant la porte d’un bureau, il sortit une clé de la poche droite de sa veste et ouvrit la pièce. En m’y faisant pénétrer, un cube blanc percé au fond par une baie vitrée, meublée d’un bureau, d’une chaise et d’une armoire dont je n’ai pas à préciser la couleur, il me dit que c’était ici, que je serai bien là. De la fenêtre, on voyait quelques bâtiments cubiques et blancs. Avant qu’il ne reparte, je lui demandai comment retrouver mon chemin jusqu’à la sortie, et en sens inverse, celui qui me mènerait à nouveau jusqu’ici. Il me répondit que c’était très simple, que je prendrai le couloir vers la gauche, et qu’au fond de celui-ci je trouverais l’ascenseur le plus proche, et qu’il suffisait alors de descendre jusqu’au rez-de-chaussée. Pour le chemin inverse, il me suffisait selon lui de savoir que nous étions ici au dix-septième étage. Je m’étonnais que ce soit si simple, en évoquant la complexité du parcours que nous venions de suivre quelques minutes auparavant. Il sourit en haussant les épaules et dit “Oh, mais c’est seulement parce que j’étais distrait”.