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Une rue sans éclairage public c'est quand même autre chose, non ? On voit les étoiles, la voie lactée. Par les fenêtre et les portes on voit les lueurs ou la lumière dans les maisons, on voit ce qui est dedans, et dehors, c'est comme si on distinguait mieux les bruits aussi... On voit l'espace, on voit mieux les ombres, la profondeur... Et dire qu'on nous rebat les oreilles avec des slogans sur l'écologie, des effets d'annonces surtout. Et pourtant - il faut imaginer la quantité d'énergie quotidiennement gaspillée en néons publicitaires, éclairage nocturne de bureaux encore à vendre, de terrains vagues, de grillages, d'entrepôts et d'entrées de résidences. Qu'est-ce qui fera cesser ce gâchis insupportable ? Dans l'idéal seuls les routes et les endroits dangereux devraient être éclairés ; la nuit les voies de communication ressembleraient alors à ces fleuves lors des célébrations que l'on faisait autrefois pour marquer les rythmes de l'année, comme ces processions de petites barques avec des bougies bougeant au vent sur les ondes.
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Nous disposions de l’idée qu’il existait une posture romantique, nous la désirions mais ne savions pas la mettre en oeuvre. Aussi, celle-ci ne se manifestait dans notre attitude qu’au détour de quelques déclarations velléitaires quant à notre mélancolie, à la noirceur du monde et de l’existence, et à propos du désir d’une vie ardente et autodestructrice, puisque nous ne concevions pas de survivre à notre jeunesse, tout en étant effrayé par le moindre des petits risques réels que nous pouvions rencontrer. Pour le reste, et en fait ceci inclus, nous étions les plus ordinaires des adolescents de quinze ans. Lors d’une séance de cours de sport, consacrée au lancer de javelot, plusieurs se déclarèrent poètes, et chacun à son tour indiqua qu’il écrivait des poèmes sur la mort. Le premier à l’avoir affirmé était celui qui avait pris l’initiative de se signaler poète, celui qui avait eu l’idée et l’envie de dire devant ses camarades, que, tout seul chez lui autant qu’il était seul au monde, dans sa mélancolie tragique, il écrivait des poèmes sur la mort. Ceux à qui il le dit durent trouver qu’il s’agissait là d’une excellente déclaration, et qu’aucune meilleure n’était possible à ce moment, ils la reproduisirent donc pour eux-mêmes. Je le crois car ma pensée fut alors exactement celle-ci, sauf que je m’efforçai de trouver quelque autre chose qui ne soit pas moins bonne, pas moins totalement engagée dans le tragique et la douleur, ni moins ambitieux à mes yeux. Je dis donc, que, bien sûr, j’écrivais moi-aussi des poèmes, mais qu’il s’agissait dans mon cas de poèmes sur l’apocalypse. Dans le temps de cette conversation, nous lançâmes quelques javelots sur le terrain gravillonné situé derrière les vestiaires. Je plantai au sol autant de javelots que j’écrivis dans ma vie de poèmes sur l’apocalypse. Aucun.
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En entrant dans la grande cuisine de Jeanne, ce jour de nos retrouvailles, pendant que je faisais un peu semblant de l'aider, que nous risquions des petites phrases, renouant en douceur le contact, tranquillement, appelant même à l'aide nos bagarres adolescentes, j'ai vu, en haut d'un bahut, une série de trois moulins à café en bois, embryon de collection, visiblement achetés au gré de brocantes (trop jeunes nous étions pour les avoir utilisés) et j'ai souri. Elle a suivi mon regard, m'a rendu mon sourire. J'ai dit « Papa », et il était là, assis avec le moulin calé entre ses genoux, l'une des tâches, avec le cirage des chaussures, qu'il s'attribuait, sa façon de s'inscrire dans notre quotidienneté lors de chacun de ses retours. Et sa prétention de faire le meilleur café que nous ayons jamais bu. J'ai dit « il était merveilleusement infâme son café » et bien entendu elle m'a engueulée.