mercredi 21 juillet 2010

251 : mardi 20 juillet 2010

C'était terrible, bien sûr c'était douloureux, bien sûr c'était plein de tristesse. Mais comme il aimait sa douleur, et comme il se laissait complètement aller à trouver belle cette tristesse, jusqu'à penser que c'étaient elles qui le rendaient vivant, vivant comme jamais. Il en était ainsi de sa souffrance et de sa peine, mais ne pouvait en être de celle des autres. Il lui était impossible de ne pas voir la souffrance des autres, et il était absolument exclu de pouvoir l'aimer. Et quand s'arrêterait la douleur des autres, car il fallait absolument qu'elle cessât, que resterait-il de la sienne? Aimerait-il autant sa joie qu'il aimait sa tristesse? Il lui faudrait réapprendre à aimer la joie pleine et la sérénité, à ne pas regretter le trouble et l'affliction. On l'y aiderait.

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C'était d'arriver le matin pour trier les mails, passer du temps, classer en listes. Jusqu'à la première sonnerie du téléphone, ou jusqu'au premier mail urgent.


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Les nouvelles villes, implantations et regroupements des arrivants qui ne préférèrent pas la solitude ou l’érémitisme furent dotées, par crainte d’un délitement rapide par manque de passé, de légendes constituées de toute pièces par les pionniers, en concertation particulière avec ceux qui parmi eux, architectes et ingénieurs, seraient les premiers bâtisseurs des lieux, ceux qui dessineraient au sol les premières figures formant les villes dans l’espace, figures auxquelles on demandait en somme d’également valoir comme symboles et cryptogrammes. Ceux qui s’étaient regroupés avait choisi le sédentarisme et la constitution de villes, ils jouissaient de l’opportunité unique d’initier une âme collective de pierre, d’arrière-cours et de voies que viendrait peupler et nourrir pendant des siècles de nombreuses générations successives, et désiraient que cette possibilité ne soit pas gâchée par un défaut d’inconscient, d’antiquité et d’épaisseur d’ancienneté, qui pourrait, redoutaient-ils, rendre indifférent aux générations suivantes le fait d’y rester ou d’en partir, si jamais celles-ci n’étaient plus habitées par l’esprit de pionniers de leur prédécesseurs et aïeux. Un jour, la durée de vie des nouvelles villes serait assez importante pour les pourvoir d’une ancienneté suffisante à la pérennité urbaine, mais il faudrait aux villes tenir jusque là et n’être pas entre temps devenues une agglomération de ruines récentes et désertes. Bien des villes et des regroupements comprenaient par exemple des esplanades marquant l’ancien emplacement de cimetières anciens et disparus qui n’avaient jamais existé ici, des palais d’aristocrates n’ayant jamais vécu ou, dans leurs bibliothèques, les œuvres complètes d’écrivains imaginaires qui vécurent ici et rédigèrent, dans leurs maisons préservées avec soin jusqu’à ce jour, d’héroïques pages sur la ville qui était le seul lieu au monde où il leur avait été décemment bien que douloureusement possible de vivre. La première génération des habitants de la ville, les pionniers initiaux, qui l’ayant elle-même fabriquée ne pouvait ignorer l’artificialité de cette antiquité, avaient pour devoir civique supérieur d’assurer à sa descendance et aux nouveaux arrivants qu’il s’agissait là de l’authenticité par excellence, et de l’histoire incontestable elle-même, fondement de tout concept de vérité et de toute notion de réalité.