lundi 20 septembre 2010

312 : dimanche 19 septembre 2010

La détestation de soi et la prétention arrogante ont cohabité chez lui, de façon très nette entre ses quatorze et ses dix-sept ans, même s’il aimait alors faire part de temps à autres du peu d’estime qu’il s’accordait. Puis vers ses dix-sept ou dix-huit ans, il s’est totalement interdit la moindre manifestation de vanité et de valorisation de lui-même, et il les a subitement remplacées par des expressions plus conformes aux plus intenses et aux plus vives de ses pensées, par un caractère très aimable et certainement plus nocif : interdiction totale de formuler des reproches et de se faire valoir, prise intégrale sur soi de toutes contrariétés - des actes pour prier le monde de lui pardonner d’exister en son sein, ces quelques traits saillants dans un milieu mental d’apathie et d’indécision. Le pli qu’on donne à une personnalité à dix-sept ou dix-huit ans s’imprime dans toute la profondeur, il ne s’en n’est pas défait par la suite. Il regrettait à vingt ans de ne pouvoir adhérer au point de vue d’un écrivain parmi ses favoris, selon lequel on avait rendu sa copie à cet âge-ci, que précisément l’essentiel de son caractère et de son tempérament était à vingt ans déjà fixé, il ne pouvait y adhérer par espoir de voir les siens changer avec l’âge. Il admit à trente, avec beaucoup de regrets, que le romancier qu’il lisait à vingt ans avait pu ne pas se tromper sur son compte.


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Sans doute le nom de Samuel Rodriguez vous est-il inconnu. Il n’y aurait là rien d’étonnant, car celui-ci fait partie de ces écrivains secrets qui préfèrent demeurer loin de l’agitation médiatique. Cet ancien légionnaire, devenu par la suite garde du corps auprès de quelques grands noms du show-business français, vit maintenant depuis près de dix ans retiré quelque part dans les Cévennes. C’est là, dans une ancienne bergerie qu’il a lui-même rénovée en compagnie de sa femme, qu’il a écrit en 2007 son premier roman, L’Attente au crépuscule. Largement autobiographique, ce récit nous entraînait du Tchad au Kosovo en passant par la Centrafrique, décrivant sans concession le quotidien de ces hommes qui chaque jour risquent leur vie pour défendre les valeurs de la démocratie. Le romancier y livrait notamment un moment-clé de sa vie, celui où il entra en littérature : Ça a commencé comme ça. Un soir, à Kinshasa. Les rebelles nous avaient pris en tenaille. Une seule position de repli était possible : la villa d’un ingénieur français. Là, épargné par l’incendie et les balles, une bibliothèque. Chargée à ras bord de tout un tas de bouquins. Suivait l’émouvante description de la découverte du « Bateau ivre » à la lumière tremblante d’un briquet, lecture entrecoupée de larges rasades d’un whisky frelaté qu’affectionne particulièrement le narrateur. Si ce premier opus, malgré un accueil favorable de la critique, n’avait pas réussi à rencontrer le large public qu’il méritait, il devrait en être tout autrement pour L’Envie de l’abîme. Fidèle à ses thèmes de prédilection, à savoir une certaine fascination pour la violence et le goût du sacrifice, Samuel Rodriguez nous plonge cette fois au cœur de l’histoire tourmentée du Moyen Orient. Il y met en scène Sam, personnage haut en couleurs de mercenaire passionné de cinéma muet : Rien d’un cave, le Sam. Un peu loufoque, peut-être. Mais sacrément efficace au corps à corps. Contacté par une importante entreprise pétrolière, ce double à peine voilé du romancier se voit confier une mission très spéciale : infiltrer les réseaux terroristes yéménites. Un job, c’est un job. C’est avant d’accepter qu’il faut réfléchir. Après c’est plié. Point barre. Confronté au double jeu des services spéciaux russes et pakistanais, séduit par une langoureuse mais terriblement fantasque secrétaire d’ambassade américaine, puis forcé de participer à la préparation d’un attentat sanglant dans une gare du sud Ouzbékistan, Sam comprend vite qu’il a mis le doigt dans un engrenage terrifiant. Ce coup-ci, Charlot c’était toi. Un piteux des temps modernes. Une chair à canon solitaire. Seul son bon sens un brin cynique lui permettra d’échapper aux multiples pièges qu’on lui tend de toutes parts. Ainsi aime-t-il à répéter à ses différents commanditaires : Rien ne sert de courir. Il suffit de défourailler à temps. Et de viser juste ! On l’aura compris, ce roman nous dépeint sans fard ni concession un pan trop souvent ignoré du monde contemporain où les intérêts de la haute finance croisent ceux du terrorisme sous les yeux impassibles des services secrets, et où l’ultra violence finit toujours par se mettre au service du plus offrant. Une fable moderne à méditer sans plus attendre…


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Les us et coutumes du langage parfois sont mystérieux. Pour exprimer leur colère, leur indignation ou leur mépris, leur désaccord ou leur refus, certains disent "pas moyen", "c'est faux", "et puis quoi encore". Ou bien il y en a qui disent : "ta gueule!". D'autres disent "mon œil", "mon cul" ou quoi que soit qui leur vient à l'esprit de ce qui vient de soi à la conscience, de jugement ou estimation au travers du prisme des habitudes de langages. Certains selon l'heure qu'il est le temps qu'il fait vous intiment d'aller vous faire cuire un œuf - grand bien leur fasse. Il y en a aussi qui l'affirment leur indignation et de façon sérieuse, humour glacial des anges désabusés. D'autres au contraire, stoïques, s'abstiennent de toute réaction, laissant les faits qui les perturbent par eux-même se développer. Quoi qu'il en soit, quelles que soient nos inclinations, quels que puissent être les accents ou écarts qui sont nôtres, notre sensibilité à l'honnêteté ou encore à l'alliance du geste à la parole ; les reproches tacites ou sous-entendus implicites sont les plus amers qui soient.


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Il était grand et noueux, mince mais fort, beau, âgé, buriné et raffiné. Il était merveilleusement terrien. Il aimait ses arbres et ils le lui rendaient. Ils croissaient, s'étalaient, se chargeaient de fruits. Il faisait de merveilleuses omelettes. Il marchait longtemps. Je le suivais et je voyais le paysage, en le regardant. Il me racontait des histoires touffues, merveilleuses, avec des mots qui sentaient bons, qui m'enchantaient. J'aurais dû rester. Il était un peu fatigant, souvent ennuyeux, mais j'aurais dû rester.