lundi 6 septembre 2010

298 : dimanche 5 septembre 2010

Un con temporain. / Il n’est pas rare que je ne fasse rien. Il est même fréquent que je m'enrubanne de néant. Et c’est bien comme ça. C’est qu’il m’est difficile de me présenter au bal des ambitieux hyperactifs, je n’ai pas trouvé de cavalière daignant souscrire à mon contrat de charriage. Oui parce que je ne branle rien, certes, mais ça ne doit pas pour autant m’empêcher de railler. / Je moque dès le matin, dans mon caleçon sale, sous mon casque de cheveux gras. Je moque Leymergie et ses chroniqueurs, actifs dans l’inutile. Je moque Dhostel, pantin gadgetisé et bonplanminceurisé. Je moque même, dieu m’en pardonne, Dounia Coesens et Laetitia Millot, plusbellelavitement rediffusées. / Parce que s’ils bougent, ils n’ont surement aucune foutre idée du pourquoi, du comment, et du oùva. Alors que moi je sais. Je sais que si mon mollet gauche s’agite trop, le trop plein sanguin guette. Le caillot malin, l’artère obstruée, le délire pré-mortem… Si les contacts électriques entre mes synapses cérébrales se multiplient, c’est la surcharge, le Tchernobyl crânien, la coupure EDF ultime, le generalelectricdisaster corporel. Alors je paie ma facture, assis devant l’écran. Je ferme les yeux, souvent. Précaution cornéenne oblige. Je stoppe le fil de mes pensées. Ténu. Je capitalise. / Mon heure viendra. Magnifique, irréelle, évanescente. Ils brûleront sous le feu de mon génie. Ils se jetteront à mes pieds racornis et sales. Ils me publieront, m’interrogeront, me citeront, me vidéasteront, me brangelinariseront. Je baiserai Evelyne Dhéliat et Daniella Lumbroso. Peut-être même Fabienne Amiach. / Ah, Fabienne… ma prêtresse du temps. Mon biorythme. Mon 19:50 à moi. Digne héritière de la dynastie Gillot-Pétréïenne. Un ange parmi les nuages. Une éclaircie dans la bourrasque publico-visuelle. Excitation. Afflux sanguin. Risque. Stop. / Plateau repas. Merci maman. Famille Abbot.

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De tous les romans que nous livrent cette nouvelle rentrée littéraire, Le corridor des mirages de Philippe Desjardins est à coup sûr seul qui parvienne à entraîner son lecteur aussi loin dans les arcanes de l’âme humaine. Réfutant d’emblée, dans une courte préface aux accents de manifeste, l’étiquette désormais tant galvaudée de l’autofiction – cet exercice de style superficiel où les grincements du Je ne parviennent guère à dissimuler la navrante gratuité du Jeu –, Philippe Desjardins nous livre les doutes et souffrances d’un narrateur anonyme. Au fil de ses 130 pages, le récit s’achemine vers une issue qui, on le devine dès la phrase d’ouverture, ne peut être que tragique : Si au moins l’amer de la mort m’arrimait un minimum !... Incipit suivi d’un huis-clos de 24 heures que rien ne trouble, si ce n’est la sonnerie de son téléphone portable – qui n’est autre que le riff assassin du Happy Family des Ramones, groupe rock emblématique des années 80 : Dernière laisse en date… désastreuse antidote au doute… antidote au seul… Autre objet récurrent, l’ordinateur sur lequel sont visionnées quelques vidéos de concerts punks postées sur You Tube : Rien d’autre que des déchets numériques, cadavres maintenus à la surface du temps par leurs poumons gonflés d’inanité. Une fois mis à mal l’étendard de la contre-culture, il semble bien qu’il ne reste plus rien : À ça que tu t’agrippais, à des conneries braillardes… Fuck off ! Délaissant les oripeaux du punk, qu’il avait si souvent mis en scène par le passé, Philippe Desjardins préfère désormais s’attacher aux objets du quotidien – la description du placard à pharmacie, modèle d’hyper-réalisme et d’autodérision ironique constitue à lui seul un morceau d’anthologie – afin de mieux nous placer au cœur d’un quotidien angoissant et quasi fantastique : Tu le sais : fixer cette cafetière pourrait t’emmener si loin ! Avec ce nouvel opus, l’auteur de L’envers de l’Enfer quitte ainsi les rivages de l’épopée déjantée dans laquelle il excellait, pour aborder une écriture plus complexe et plus universelle, mais néanmoins toujours aussi tonique.


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J'aimais l'écouter parler, ce qui n'avait lieu que quand nous étions seuls, ou que l'assistance était peu nombreuse et fidèle. L'auditeur au sourire un peu énigmatique se muait alors en discoureur intarissable, qui s'emparait de chaque sujet volant entre nous pour le creuser, avec minutie, profondément, si profondément que cela n'en finissait pas, et une idée en entraînant une autre, il bifurquait, et nous le suivions dans ce dédale qui paraissait aussi évident qu'étourdissant. Je l'écoutais, ayant presque oublié, comme tous, comme lui, ce qui était au départ de cette dissection, et j'attendais avec un espoir chaque fois renouvelé, chaque fois déçu, qu'il parvienne à dénicher la moelle des choses.


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On était parti au désert pour être tranquille. On en bavait. Les derniers temps avant le départ avaient vraiment été pénibles, des tas d’histoires vraiment sales qui s’étaient enchaînées, au bout d’un moment on avait cru que ça ne s’arrêterait jamais les ennuis, et en même temps que ça avait déjà bien trop duré. C’était comme si chaque nouvelle journée ne se présentait que pour nous refiler des emmerdes, comme un éphéméride. Un éphéméride d’emmerdes, avec les pages qui se tournent toutes seules, et pas de dimanche ni de jour férié. Alors on s’est dit qu’on n’avait plus rien à faire ici, qu’il fallait qu’on parte là où notre vie ne nous rattraperait pas, et dans le désert on a pensé que ce serait ce qui nous fallait, vu qu’il y en avait un pas loin, et qu’il n’y avait rien là-bas, et donc rien pour nous faire des crasses. Il fallait qu’on soit à bout, qu’on soit à un point où on préférait renoncer à tout, parce que le désert, la rudesse des éléments et la vie austère, ça nous avait jamais traversé l’esprit avant. Au début, on a été content, on avait trouvé une bicoque abandonnée, en bois, en bas d’une falaise. Et puis après deux ou trois heures passées dans la maison, ce qui nous avait plu depuis notre départ, qu’on n’était pas la en balade mais à l’endroit où on commençait une nouvelle vie, c’est justement ce qui nous a fichu la trouille et surtout qui nous a complètement découragé. Passer son temps ici, jusqu’à ce que peut-être un animal vienne nous becqueter, ou alors que l’un d’entre nous se mette à bouffer le cadavre de l’autre qui était crevé de soif pour différer de quelques jours le moment où il y passerait aussi, les possibilités d’évolution n’étaient pas bien excitantes. On est rentré en ville avant la fin de la journée finalement, mais pendant quelques heures on avait pris la décision de partir, et on l’avait fait en y croyant, qu’on l’avait fait, vraiment. C’était un échec cuisant, mais quand même, on avait été capable de se croire capable.