dimanche 28 février 2010

108 : samedi 27 février 2010

Julien de la Rovère, se tenait sur la terrasse de son palais, dans la chaleur qui montait avec la fin de cette matinée, et regardait le Rhône, les collines boisées, le fort Saint André, sans les voir, juste conscient de leur présence. Il savourait, songeait à autre ville, la mère, Rome, à autre fleuve, paresseux, le Tibre, et à Alexandre VI. Un petit sourire des lèvres maigres. Sa force. L'arrivée imminente de César Borgia, le pardon, la brièveté de sa disgrâce. Un petit sentiment de puissance. Le plaisir d'être, à nouveau, archevêque et légat, la satisfaction de l'œuvre accomplie dans la ville, la remise en ordre des collèges, du chapitre, des statuts de la ville, et, dans son dos, cette bâtisse, ce palais, qu'il avait repris d'Alain de Coëtivy, et embelli, qu'il préférait à son logement dans le dur palais pontifical de l'autre côté de l'esplanade. Et puis les nouvelles qu'il recevait de ses partisans, et un espoir encore vague. Une vraie puissance, un vrai pouvoir sur l'église, et la pierre, pour poser sa marque, pour créer aussi et assouvir la passion qu'il en avait. Il entendait les voix, les rires, les coups de marteau, les commandements des charpentiers qui dressaient le décor noblement fastueux qu'il destinait à l'orgueilleux accueil de l'envoyé.

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Depuis de nombreuses années pendant nos balades, nous nous étions régulièrement moqués des chasseurs, ces bandes de moustachus avinés en tenues militaires, qui ponctuent leur communion avec la nature de coups de feu précipités et subits. Puis nous commençâmes à trouver nos promenades champêtres et forestières trop brèves, et nous cherchâmes à les prolonger par quelques activités propices à la contemplation. Nous nous adonnâmes alors à la pêche, en bord de rivière, en plaisantant de temps à autres quant au fait qu'un jour l'un de nous recevrait du plomb venu d'une moustache tenant fusil. La pêche était agréable, nous avions nos habitudes dans quelques beaux sites en bordure de sous-bois, ou plus au nord où la rivière fait un coude pour contourner un escarpement. Tuer le poisson après qu'il avait mordu à l'hameçon et que nous l'avions tiré de l'eau nous avait un peu remué les premières fois, puis c'était devenu pour nous la chose la plus normale au monde, et même, elle s'était avérée un peu savoureuse. Non que nous prenions goût à cette violence elle-même où que nous étions devenus cruels, mais ce moment consacrait un nouveau rapport que nous avions avec la nature, une nouvelle forme de relation et de contact avec d'autres espèces, et ceci entraînait chez nous un nouveau regard sur l'étendue des lieux agrestes que nous parcourions familièrement depuis longtemps, car nous commencions à comprendre le comportement des animaux que nous avions goût à capturer. Que nous avions grand goût à manger également, pour la saveur de ces poissons mais surtout pour la saveur de notre implication dans la capture qui nous les donnait à manger. En quelque sorte, par la pêche, nous étions devenus chasseurs, et la violence que nous avions toujours refoulée en nous trouverait bientôt à s'exprimer directement, maintenant que nous n'avions plus aucune réserve sincère quant au fait de battre les champs et les forêts un fusil aux mains et des cartouchières à la ceinture.