vendredi 12 février 2010

92 : jeudi 11 février 2010

Je m'étais précipité pour trouver au fond de ma poche mon portefeuille, l'ouvrir, en extraire un ticket de métro et le lui tendre, à elle qui avait demandé à la cantonade si quelqu'un voulait bien lui en prêter un qu'elle rendrait plus tard. Cette précipitation, c'était pour absolument être celui qui lui donnerait, ou lui prêterait, ce qu'elle demandait. Pour être celui qui serait le plus gentil avec elle qui me plaisait tant, alors que je sentais bien qu'elle ne m'aimait pas trop, ou du moins qu'elle était totalement indifférente à mon existence. On était dans la même bande, où de mes bons amis étaient aussi des siens, mais si je ne sais quelles circonstances nous avaient conduits à nous retrouver tous les deux sans les autres, elle n'aurait certainement rien eu a me dire et je n'aurais probablement rien trouvé d'autre que quelques banalités en guise de conversation laborieuse. De tels moments, où nous aurions été seul à seule mais où ça se passerait bien, où ce ne serait pas un silence gêné qui s'étire, j'en rêvais mais sans penser le moins du monde qu'ils puissent avoir lieu, ni du tout savoir comment j'aurais pu m'y prendre pour qu'ils se produisent. Et après tout, pourquoi tant vouloir aller à la catastrophe ? En quoi masochisme et honnêteté suicidaire m'auraient-ils épanoui ? Je m'en tenais donc à de minuscules actes de gentillesse à son endroit, du type faire en sorte d'être celui qui lui donne un ticket de métro, puis être celui qui lui dit que ce n'était pas la peine, quand elle s'acquitte de sa dette miniature. Comme les enfants quand ils tiennent absolument à ce que ce soit eux qui portent à un adulte aimé ce qu'un autre adulte veut lui faire parvenir. Voilà à peu près où j'en étais, affectivement.

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La plus grande bibliothèque de Paris (3) Le froid ne le quitte pas, du bureau à la maison. Le trajet retour est le plus difficile. Il est lourd de tableaux, de relevés d'erreurs et de chiffres ajoutés à la dernière minute. Même sur le strapontin, la journée continue. Il sort son netbook, fiche la clé USB, ouvre le document, rajuste ses lunettes. Il va peut-être devoir se lever à la prochaine station mais a sans doute le temps de vérifier deux ou trois choses pour la réunion de demain. Défilement de cases, de cellules, de virgules et d'entiers. Stop. Ici, la cellule est vide et ne devrait pas l'être. L'ordinateur tenu dans la main gauche, il corrige. Pas facile de se concentrer dans un tel brouhaha. "=Arrondi.sup(cellule;nombre de décimales)" Et 45,15 qui font 46. Il préfère les trajets aller, le matin, quand son cerveau est encore embrumé des rêves figés par le bruit du réveil. Lorsqu'il tente de retenir une image qui s'étiole. Heureusement qu'il rêve encore, sinon le netbook serait ouvert dès 7 heures 30. La tête chauffe sous le bonnet, les doigts sont crispés, mais voici que son quai s'avance. Alesia. Il sort de la rame l'ordinateur toujours en main, l'index collé sur la flèche du bas.