mercredi 3 février 2010

83 : mardi 2 février 2010

Il était quatorze heures et en partant, il a dit "bonsoir". Il ne doit jamais dire "au revoir". S'il part le matin, il doit dire "bonne journée", ou peut-être déjà "bonsoir", si "bonsoir" est pour lui l'exact synonyme d'"au revoir". Et alors "au revoir" l'expression qu'il n'emploie jamais. Par contrainte mentale, il s'est interdit "au revoir", "au revoir" lui semble mauvais, lui semble ne pas se dire. Certains écrivains ont de telles interdictions, non qu'ils aient décidé d'écrire sous contrainte par jeu, mais parce qu'ils ne peuvent pas employer tel ou tel mot, signe ou forme. Ils les trouvent sales ou stridents. Ou déplacés parmi leurs mots, même si admissibles au milieu des mots d'autres. Un écrivain par exemple n'utilise jamais le moindre trait d'union, il peut s'en trouver dans les premières versions de ses textes, mais tout sera réécrit, les phrases reformulées, jusqu'à ce qu'aucun trait d'union ne reste dans le texte final. Pas de "peut-être", pas de "c'est-à-dire", au sacrifice de tournures et de constructions qu'il faut contourner. Il ne s'autorise pas davantage de "ça", qu'il peut tout à fait employer à l'oral, mais il ne peut publier un "ça". Il aimerait, il serait content si un jour un de ses livres comprenait une phrase telle que "ça va bien." Mais il n'y arrive pas, bien que s'autorisant les cédilles en général. C'est le "ça" qui bloque. J'ai décelé la même chose chez une personne que je connais personnellement, qui n'emploie qu'accidentellement "ça" par écrit, y compris hors de tout contexte de publication, même dans un message court et strictement informatif. Jamais de "ça", "cela" toujours à la place. Je pense qu'elle doit trouver "ça" vulgaire.

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Il attendait. La lumière était blanche, dure, très forte, pénétrant par une petite fenêtre qui s'ouvrait sur la grande cour lugubre et filtrant des vasques, découpant, détaillant tout, les meubles, les rides des visages, les plis des tissus, les cuirs brillants et fatigués, une douce joue égarée. Il attendait. Il s'habituait peu à peu à ne plus sentir l'odeur un peu fade, un peu piquante, médicamenteuse, mais en gardait dans la gorge un vide humide, un écœurement. Il attendait. Et chaque nouvelle personne qui entrait, et qu'il saluait sous le regard neutre des autres, déplaçait légèrement, en s'asseyant, les pieds métalliques de sa chaise avec un bruit qui rebondissait, sonnait dans le silence, persistait un moment, comme deviné. Il attendait. L'homme à la courte veste blanche a ouvert la porte, a souri dans le vague, a appelé un nom, et derrière il y avait son ami avec un visage lumineux qui lui a souri. Il a soupiré, il s'est levé et l'a rejoint. Une fausse alerte.