dimanche 14 février 2010

94 : samedi 13 février 2010

La plus grande bibliothèque de Paris (4) Il est lourd, ce bouquin. Il me casse les bras dans mon lit. Mais il me tient tellement à corps que je l'emmène jusque dans le métro. Si je le pose sur les jambes, j'ai des fourmis en moins de deux secondes. Et comme c'est un Stephen King, les fourmis se transforment en asticots, en araignées poisseuses et malgré les néons du wagon, je vois les bêtes ramper. Je dois donc le soutenir entièrement, des deux mains, et maintenir l'équilibre avec les pieds bien à plat sur le sol. J'envie ma voisine, avec son petit livre tout fin. Elle peut tenir son sac d'une main et son roman de l'autre. Le mien, je ne peux pas le lâcher d'un doigt. C'est même lui qui s'agrippe. J'ai du mal à descendre de la rame, une fois plongé la tête dedans. Et si je ne trouve pas de place assise, c'est un drame, car il m'est impossible de le lire debout. Je le porte alors comme on porte un chien mort sur la route vers le cimetière indien. Mais là, c'est bon, j'ai ma place. On ne m'en délogera pas. Je descends à l'avant dernière station de la ligne, vingt bonnes minutes s'annoncent, davantage si j'ai la chance de tomber sur un incident voyageur. Je ne suis plus là.

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Madame Flambier a fermé sa porte, s'est penchée, a saisi les poignées de son cabas de sa main droite, a fait un pas, a empoigné le bois poli de la rampe, a souri machinalement, par habitude, à sa douceur et sa blondeur luisante, preuve des soins de la gardienne, a entrepris de descendre avec ce peu de maladresse hésitante qui lui venait, dont elle prenait conscience depuis quelque temps, ce qui l'amenait à l'accentuer presque inconsciemment, avec aussi un peu d'auto-ironie protectrice. Quelques marches en dessous du deuxième palier, il y avait les dos de Martine Sanchez et Martin Durand, têtes penchées sur un journal tendu entre leurs mains, leurs corps serrés occupant tout le passage. Madame Flambier a toussoté, a dit « bonjour », a poussé son cabas contre le dos de Martin. Ils ont tourné la tête, Martine a souri et répondu « pardon, bonjour ». Martin a soupiré, lâché sa moitié de journal, s'est levé, pressé contre le mur, a constaté que le trou creusé ainsi était insuffisant, est descendu de quatre marches, a levé la tête vers la femme qui a faufilé son début de corpulence en frôlant Martine, l'a salué, lui, d'un hochement de tête en passant devant lui, a continué sa descente. Et pendant qu'il reprenait sa place, elle, une volée de marches en dessous, tendait l'oreille pour savoir par quels mots, quel ton, ils commenteraient la rencontre, et la caractériseraient elle. Mais n'est venu qu'un qualificatif énergiquement ironique sur la déclaration d'un édile municipal.

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Manque un (1) Pierre et Paul était arrivés en même temps sur la petite place où ils avaient rendez-vous. La matinée était douce et la lumière claire, les deux amis prirent place sur un des bancs du parvis de l'église, en bordure de square, pour converser en attendant Jacques, leur ami à l'initiative de cette rencontre matinale. Il arriva quelques minutes plus tard, à l'heure dite pour qu'ils puissent tous trois aller chez son ancien professeur de lettres. Depuis qu'il avait décidé de se lancer dans la littérature, Jacques voulait le revoir. Il avait une question en particulier à lui poser. Après avoir convaincu Pierre et Paul de l'accompagner, il pria l'enseignant retraité de le recevoir. C'est ce matin qu'il était invité à se présenter chez le maître, un peu après dix heures, dans quelques minutes à trois rues de cette petite place. Pierre et Paul connaissaient la timidité de Jacques et sa vieille admiration pour son professeur de lettres de l'époque de la terminale littéraire, ils le connaissaient tous deux de vue, croisé cent fois dans les couloirs du lycée, regardé attentivement à la suite des éloges de Jacques sur la profondeur de la science et la valeur de l'enseignement de l'homme, mais n'avaient jamais suivi ses cours, ni eu de conversation avec lui. Jacques avait oublié de passer par les toilettes avant de venir jusqu'ici, et annonça à ses amis qu'il les faisait patienter quelques instants supplémentaires sur la petite place, où se trouvait une sanisette ; le temps qu'il se mette à l'aise, puis qu'ils se rendraient tous trois à l'adresse du rendez-vous. Pierre et Paul virent Jacques marcher vers la sanisette, y entrer et la porte coulissante se refermer sur lui. Ils commencèrent à patienter, assis sur le banc.