mercredi 24 février 2010

104 : mardi 23 février 2010

Il les a vu danser autour de l'homme qui grognait et faisait hurler ses entrailles, les bras tendus dessinant des cercles et des hiéroglyphes d'air. Dans la cabane de bois branlante au fond du chemin qui traverse la luxuriance, dans la clairière humide des exhalaisons de sève, ils les a vus, à la nuit tombée autour du feu. Les corps des morts qui dansent. Une fois que le neuvième est mort, on fait d'eux-mêmes se lever leur corps pour qu'ils dansent ce qu'ils n'ont pas dansé et qu'ils auraient dû, pour qu'avant d'en disparaître ils animent l'air de l'amour et de la violence qu'ils n'ont pas délivrés tant qu'ils vivaient, l'air que les futurs morts respirent. Il leur faut être neuf, réunis et morts pour que la fureur des entrailles qui hurlent les danse autour des flammes, debout sur leurs dix-huit pieds et à pas lents, les gestes raides et assurés. Neuf dansant et morts, il les a vus.

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Je reste là, à côté de la fenêtre donnant sur la cour, le vide, le mur, les fenêtres des salles de bains et, plus petites, des wc de l'autre immeuble, sur ma chaise paillée, dos redressé et raidi, et mes bras s'abandonnent, mes mains posées sur mes genoux, mes mains qui tiennent cette lettre que j'ai lue, que je ne veux plus voir, cette lettre dont les mots demeurent comme un écran entre moi et ce peu qui m'entoure, dans lequel je voudrai trouver issue, appui pour franchir cette sidération qui m'a envahie. Je reste là, et puis je commence à entendre, à nouveau, la voix d'alto, « le voyage d'hiver ». Je reste là, et doucement mes épaules se libèrent, quittent la barre de volonté crispée que je leur imposais, en un instinctive défense ; je plie le cou ; je baisse les yeux sur le bois de la petite table, la douce surface, le jeu précis des veines du bois, étoile doucement soyeuse. La table que nous avions ramenée triomphalement, je te le rappelle à voix basse, pour le plaisir de ce nous qui n'est plus, qui ne sera plus me dit ta lettre que je tiens toujours. Ma main droite la quitte, ouvre le tiroir, repousse une pelote de ficelle, des petites piles électriques, un rond de serviette en ivoire, crée une place où je pose l'enveloppe, feuille et mots enfouis, enfermés en elle. Je ferme le tiroir. Je me lève. J'ouvre la penderie. Je prends un manteau et, en l'enfilant, j'éteins la chaîne. Je sors. Je vais marcher.