mardi 23 février 2010

103 : lundi 22 février 2010

L’obscurité était d’une consistance palpable. Baigné dans le liquide noir de cet air épais, la possibilité de toucher autre chose que cette matière souveraine eût dû lui paraître un événement considérable. L’intensité menaçante de la nuit qui le dévisageait ne laissait pas attendre de rencontre qui ne soit brutale. Ce que ses doigts ouverts venaient de trouver n’était pourtant qu’un mur, dont la surface était attendrie par ce qui devait être un papier peint recouvert d’une épaisse couche de poussière. Il constata à peine qu’il n’était pas surpris ; sa conscience de la réalité matérielle n’était pas si lointaine. En parcourant le mur de ses mains, il trouva vers la droite une embrasure de porte, sans porte. Tâtonnant toujours, il s’y glissa. Une lueur était là, comme sans source, quelques mètres plus loin. Il marcha lentement vers elle, dans une grande indifférence. Il vit ses pieds dessiner des ombres sur le sol faiblement éclairé. Un profond remous tourmenta brusquement l’espace sur sa droite. Tournant la tête il n’eut le temps de voir qu’une lumière violente qui lui frappa sauvagement le crâne. Rendu très lucide par ce choc, physiquement intègre, son réflexe fut de fuir. Il courut à pas précis le chemin à rebours : tout droit, à droite, à gauche, à droite, coup de pied dans la porte, cinq mètres jusqu’à la grille dans l’orange des lampadaires, escalade de la grille sans savoir comment, course dans la rue par la gauche jusqu’au souffle coupé. Il s’assit sur le trottoir, adossé à un muret. Pendant qu’il attendait que son cœur et ses poumons se calment, son indifférence remonta à la surface, d’où elle chassa la lucidité électrique qui avait fait courir son corps depuis une minute, deux minutes peut-être. Il ne pensa même pas qu’il pouvait être rejoint par ce qui l’avait frappé, et d’ailleurs rien ni personne ne le rejoignit. La seule pensée dont il était alors capable était de rentrer. Rentrer. Il marcha donc, calmement, jusqu’à la gare dans laquelle il ne remarqua personne, acheta un billet au distributeur automatique, l’introduisit dans le composteur, passa dans le tourniquet, et attendit sur le quai, assis sur un banc.