dimanche 21 février 2010

101 : samedi 20 février 2010

Mais probablement qu'Éric Garcia avait trop peur pour ainsi traîner dans ces environs sans que le loup qui y promène sa gueule considère qu'on était venu si jeter. On dit des chiens qu'ils sentent la peur de ceux qui les craignent, et qu'attirés par cette odeur d'effroi ils viennent droit se frotter à ceux qui ne voudraient rien tant qu'être ignorés. C'est ce qui arriva à Éric Garcia, terrifié à l'idée de tomber nez à nez avec Jean-Yves Verrier, qui loup prédateur et chien méchant était du genre canidé - calmement confiant quant au fait qu'il disposerait un jour fort à profit de cette proie qui n'était pas parvenue à véritablement fuir, tout en n'ayant cessé de s'échapper depuis quelques mois. Son gris anthracite porté comme un glas toujours prêt à sonner, l'Audi haut de gamme de Jean-Yves Verrier avait fini par venir jusqu'aux éoliennes, et se stationner bien soigneusement près du véhicule dont usait pour ses fonctions Éric Garcia. Il n'y avait personne dans ce fourgon blanc dont les portières n'étaient pas verrouillées, et pas la moindre silhouette à portée de la vue de Jean-Yves Verrier. Garcia devait être monté dans une des éoliennes, à faire précipitamment quelques réglages ou contrôles, sans profiter de la vue splendide qu'il pouvait alors avoir sur toute la baie des Pistons, trop pressé qu'il devait être de partir avant que celui qui s'était assis dans son fourgon pour l'attendre ne pointe le bout de son nez. Verrier n'eut pas longtemps à patienter, avant qu'il ait pu écraser dans le cendrier sa deuxième cigarette, Garcia paraissait en ouvrant une porte au pied d'une des colonnes blanches. Marchant d'un pas hâtif vers son fourgon, le chargé de maintenance au service de l'énergie verte allait dans les secondes suivantes avoir une sacrée surprise. Celle d'un cauchemar devenu réel, portant un sourire glacial et affichant la certitude de sa puissance, qui l'interrogerait sur le fonctionnement des éoliennes, sur ce qu'elles peuvent faire et ne pas faire, sans qu'on sache si c'était pour faire l'innocent ou avec derrière la tête une idée, qui lui dirait encore que quand même, ces éoliennes ne pouvaient pas ne servir qu'à rafraîchir comme des ventilateurs les corps et les visages exténués et en nage des clients d'une discothèque spécialisée et à hôtesses qui se serait installée là il y a quelques temps, un établissement du genre à profiter des extras du personnel féminin d'un hypermarché local avec l'accord de son patron, moyennant certaines contreparties, et qui aurait précipité dans sa chute un homme que le sort ironique aurait maintenu dans la fréquentation des éoliennes.

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J'avais perdu tout lien avec la réalité. L'hémisphère droit de mon cerveau boitait, une sciatique mentale, une haine démesurée de tout être intelligent. J'avais décidé de faire des phrases courtes. Brèves comme mon talent. Être nul est souffrance. Ne pas savoir écrire. Rêvé pourtant. Boire oui. Acheminer ses fantasmes. Où vont-ils me conduire. Pas loin. Je ne peux pas. Il ne faut pas se permettre. Non. Trouver son style. Manier la grammaire. Auto-censure. Oui. Peur de déplaire. Jeune poète, non. Jeune, oui. Écrire sur un carnet. Facile d'écrire pour soi. Se mettre en danger. Courir des risques. Un soir de décembre. "Je veux des photos de nous en vacances". Studio. Paris. Écharpe. Escalier. Vingt six ans. Des rires par le passé. Écharpe. Escalier. Police. Pompier. Porte fracassée. Faire court. Cette écharpe qui... Tu me manques.

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Je n'irai pas plus loin. C'est là, de toute façon, au bout de ce muret d'un blanc aussi éblouissant aujourd'hui qu'alors, sous le même soleil franc et sain. Je l'ai fait, m'avait-elle dit, ses sombres iris entièrement découverts apportant à ses mots une conviction dont ils n'avaient pas besoin, tant toute sa personne semblait arc-boutée pour mieux les soutenir, mieux porter cette décision et cet acte. Elle faisait tant d'efforts pour se montrer sûre et ferme que je comprenais, enfin, combien elle était fragile. J'ai eu tant d'occasions par la suite de voir que sa confiance en elle, l'assurance qu'on lui prêtait en général, était une construction complexe et chancelante. Elle luttait en permanence pour la maintenir debout. Mais l'air de défi qu'elle lançait à tous décourageait la plupart de tenter de l'ébranler. Moi c’est au contraire quand je l’ai sentie toute vibrante à l’intérieur de son blindage, ce jour-là, sur cette digue, au bout de cet éclatant muret blanc, c’est au contraire quand j’ai réalisé combien ce choix avait dû être terrible avec si peu de foi en elle pour le porter, que j’ai renoncé. Désarmé, j’ai renoncé à tenter de la convaincre, renoncé à résister à l’émotion qui me submergeait, renoncé à ne pas me sentir séduit.