samedi 15 mai 2010

184 : vendredi 14 mai 2010

Buste large, si large que sa lourdeur faisait presque mal à voir, et bras curieusement malingres, yeux enfoncés sous des sourcils froncés, yeux fixes dont on ne savait s'ils étaient perçants, concentrés ou absents, long et fort nez qui attirait à lui tout le visage, le résumait, l'exprimait en force, cou quasi absent, le peu qu'il en avait enfoncé résolument par l'effort entre les épaules, toute la douceur, qui était grande, réfugiée dans l'ondulation des cheveux, la barbe fleuve, et les méplats tirés des joues, bouche niée par une moue, il portait sur lui la voûte, mon ciel provisoire, le monde, avec une générosité inconsciente, renfort désintéressé et non pesant, et, circulant sous sa garde, je sentais sa présence à la lisière de mes pensées.

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On a déduit de l'absence qui demeurait à mes côtés que j'avais eu un jumeau. On ne savait pas qu'il était là mais il fut constaté qu'un départ avait eu lieu autour de moi. On a cru que j'étais parti mais quelqu'un qui était moi où qui allait l'être et qui n'était alors personne était là, malgré le sang écoulé qui aurait du emporter ce qui occupait cette place. Un départ n'avait pu qu'avoir lieu en dépit de ma présence persistante, et l'on a compris par ce vide nécessaire l'existence du jumeau ou de la jumelle emporté, parti, la compagnie faussée qu'on ignorait et par laquelle j'avais toujours existence. On savait une présence qui était la mienne sans qu'on sache laquelle elle était, finalement la mienne puisque j'étais là et le serait encore. L'éclipsé était là en dépit du départ sans lequel rien ne pourrait s'expliquer du sang versé et de ses fatales conséquences, il était seul et c'était moi, seul toujours comme on l'avait toujours cru, alors qu'il n'aurait plus dû être. Ils avaient donc été deux et je ne serai que la moitié sans pair d'une paire.