Assis dans le train stationné en gare, dans l'attente du départ, je suis aux premières loges pour voir un couple d'adolescents longuement s'enlacer sur le quai, s'embrasser, se dire des choses à l'oreille. Elle va monter dans le train au départ d'ici quelques instants et ils ne se lâcheront pas avant le dernier moment. Ils ont un grand appétit l'un pour l'autre, ils miment le grand amour ou l'éprouvent, ils semblent accorder une grande valeur à ce qu'ils font et, le faisant, s'accorder à eux-mêmes un grand sérieux. Le train part, elle vient de monter, ils s'envoient des baisers à travers la vitre et se disent je t'aime en silence, en articulant exagérément chaque syllabe pour que chacun puisse le lire sur les lèvres de l'autre. Le train parti, nous traversons des zones marécageuses inondées, la paysage que j'avais sous les yeux lors de mes hivers adolescents, au retour du lycée à bord d'un car de transport scolaire, alors que je ne connaissais pas ces amours, que je n'en exprimais pas ma part, que je la tenais enfermée en moi dans la détestation de moi-même et la certitude de mon indignité. Peut-être est-il nécessaire, pour connaître une personne, de savoir les amours qu'elle eut adolescente.