jeudi 10 décembre 2009

28 : mercredi 9 décembre 2009

La salle suintait la condensation et exhalait des effluves de transpiration. Sur le podium au fond, éclairés par quelques ampoules clignotantes rouges, jaunes et bleues, se démenaient l'accordéoniste et le guitariste, sur le fond de rythmique branlante du bassiste et du batteur stoïques. Sur la piste, éclairée du plafond par quelques tubes néon, au large centre de la vaste pièce pleine comme un œuf, des dizaines de couples s'agitaient avec abandon dans des danses enfiévrées. Quelques vieux célibataires et surtout de nombreux jeunes hommes était accoudés aux tables autour de la piste, où l'on servait des verres de vins rouge et rosé. Ils parlaient haut, riaient des bêtises qu'ils s'échangeait, se donnaient de grandes claques dans le dos. La fumée des cigarettes qu'ils fumaient en conversant et en regardant les filles épaississait l'air davantage encore. Après une série de pasos et une valse musette déglinguée, le jeune guitariste de l'orchestre entama les premiers accords de Dactylo Rock des Chaussettes Noires, le regard fier et le sourire réjoui en direction de la salle. Pendant qu'il s'appliquait à faire sautiller le tempo, il se déhanchait par saccades en tapotant nerveusement le sol de la pointe du pied, une mèche de sa chevelure soigneusement huilée se balançant sur son front. C'était Gérard, le fils de Joseph Clampier, le garagiste. Il y a quelques mois, l'orchestre avait perdu son guitariste dans un accident de chasse, et Gérard avait accepté de prendre la suite du mort à une condition : qu'on joue à chaque bal aussi du rock'n roll. Théodore, l'accordéoniste et patriarche de l'orchestre, avait hésité à prendre Gérard, ce jeune qui était déjà fier d'un rien, fier depuis toujours d'être le fils du garagiste et qui serait comme un paon sur les podiums quand ils joueraient ces quelques rocks, et encore plus fier les jours comme aujourd'hui où ils joueraient dans cette salle, l'ancien local du garage du père Clampier qu'on avait reconverti en salle des fêtes après que l'entreprise paternelle avait déménagé pour plus grand. Mais dans les moments comme celui-ci, où c'est lui qui chantait le rock, qui donnait de la voix "Dans les bureaux / De bas en haut / Les dactylos tapent à gogo / Et leurs patrons leurs disent "go !"", et que tous les gars rappliquaient de la buvette pour rejoindre celles et ceux qui se déchaînaient de plus belle sur la piste, dans ces moments-là Théodore n'avait aucun regret d'avoir accepté le recrutement du fils Clampier.