Quand il a entrouvert les yeux, il n'a pas su tout de suite où il était, mais il a progressivement pris conscience que les sensations dans lesquelles il baignait étaient très désagréables. Fiévreux, comme plongé nu dans une eau glaciale où un banc de poissons le mordrait sans relâche. La tête prise dans un étau. Les pensées oscillant perpétuellement entre deux images absurdes, de la poussière sur un sol de ciment qu'il faut balayer mais qui s'entasse de plus en plus à mesure qu'on s'acharne à l'évacuer, et une pluie de grands ballons multicolores dans un champ, qui rebondissent sans fin sous le soleil aveuglant et la chaleur écrasante, l'une et l'autre image sans fin, et sans fin le passage de l'une à l'autre et de l'autre à l'une. Quelque chose qui le sort du sommeil et il prend conscience de son corps douloureux, de l'inconfort physique du lieu où il se trouve et de la forte lumière qui lui vrille les yeux et tout l'intérieur du crâne. Il se redresse pour essayer de comprendre où il est, s'apprête à demander main forte pour balayer le sol cimenté dont il ne pense jamais venir à bout, de l'aide pour pouvoir sortir de ce champ et trouver un abri contre le soleil et la pluie de ballons. En comprenant que ce ne sont que des rêves, il se retient de le faire, sans que son esprit se sente libéré de ces deux situations infernales. Il regarde la pièce rectangulaire, là aussi un sol de béton, recouvert de peinture grise verdâtre. Deux bancs de bois le long des parois longitudinales, il était allongé sur l'un et vient de s'y assoir, sur l'autre un type habillé en curé est assis, avec le grand habit noir et le col raide qui monte le long du cou, avec le rectangle blanc devant la pomme d'Adam. Un curé, un vrai ou un faux curé, assis sur le banc d'en face, la tête renversée en arrière qui repose contre le mur derrière lui, les yeux inexpressifs fixés au plafond, sur les néons au plafond. Et puis à sa droite il voit la paroi grillagée avec la porte métallique au centre et sa grosse serrure. À travers le grillage, il voit une grande pièce de commissariat, où quelques flics marchent, consultent des dossiers, lisent le journal. Il se souvient petit à petit, son arrestation dans le centre-ville, aucune résistance de sa part, malade comme un chien, la marche le long des rues à la vitesse d'une tortue, forte fièvre, forte toux, lucidité et courage évanouis, aucune énergie pour courir ou se débattre. Alors quand il les avaient vu arriver vers lui et qu'ils l'avaient sommé de ne rien tenter contre eux, il s'était juste arrêté et appuyé contre le mur de l'immeuble qu'il longeait à cet instant, en attendant qu'ils viennent lui mettre le grappin dessus. Ce n'était pas tant pour obtempérer que pour cesser de s'épuiser, de se tuer à avancer plus avant, maintenant que ça ne servait plus à rien.