Une fin d'après-midi, c'est une lettre dont il était le destinataire qu'il avait eu à traiter. Au moment où il la reçut devant lui sur la table, tombée depuis le tuyau sur sa gauche, il flottait comme souvent dans une semi-hypnose, des heures à répéter des centaines de fois la même poignée de gestes simples. Après avoir noté son propre nom sur le registre en tant que destinataire, il s'apprêtait à évacuer le pli par le tube pneumatique habituel lorsqu'il prit conscience du fait que ce courrier avait trouvé son destinataire en arrivant entre ses mains. Il eut un moment d'hésitation quant à la procédure à suivre face à cette situation inédite, et finalement ouvrit le pli, expédié par un organisme inconnu, 2ISD, puisque ceci lui était destiné. Le courrier n'avait pas le moindre rapport avec son activité au sein de cette société à l'adresse de laquelle il lui était pourtant expédié, et l'intention ayant présidé à cet envoi était incompréhensible. C'était une lettre consistant en trois textes n'entretenant aucun rapport apparent entre eux. Une histoire de planète rongée de surpopulation et privée d'espaces vides, une histoire d'un groupe de personnes gravissant un escalier sans fin sans qu'on sache pourquoi et une scène d'enterrement d'une mère où le fils de la défunte ne connaît aucune des quelques autres personnes présentes. C'est tout, pas d'introduction, pas d'explication, pas de signature. Quand la sirène retentit pour lui indiquer qu'il était l'heure de la fin de sa journée de travail, il constata que le dernier pli à traiter pour aujourd'hui s'en venait couronner un tas de courrier qui s'était amoncelé sur sa table et qu'il n'avait pas traité pendant qu'il lisait la lettre. Le tube pneumatique cessait d'aspirer deux minutes après le retentissement de la sirène, et après avoir rempli le registre pour les plis qui s'étaient entassés sur la table, il dut se contenter de glisser ceux-ci dans le tuyau qui n'aspirait plus, pensant qu'ils seraient tous avalés d'un coup à la reprise du service le lendemain, espérant que ceci ne lui causerait pas d'ennuis.