Au coucher du soleil, ils étaient le long du canal, à regarder les bateaux en lisière du hameau. Ils choisissaient celui qu'ils prendraient pour la traversée nocturne. Le plus simple serait d'opter pour une embarcation de petite taille, facile à voler et à bord de laquelle ils s'éloigneraient discrètement des habitations. Un choix de cet ordre n'était pas sans inconvénient cependant, car les embarcations les plus faciles à voler étaient des barques rudimentaires, sans autre matériel à leur offrir qu'une paire de pagaies. Et puisque qu'ils entreprendraient finalement la traversée de nuit, ce type de véhicule ne manquerait pas de les exposer à de sérieuses difficultés. Un éclairage pour l'expédition leur serait en fait indispensable, mais les bateaux dotés de phares comprenaient une cabine dont il faudrait fracturer la porte, un moteur dont il faudrait forcer le démarreur et qui trahirait surtout leur acte clandestin en déchirant le silence une fois que la mécanique serait lancée. Une simple barque qui les mettrait à l'abri de ces difficultés mais qui les découvrirait toujours en vue du hameau au petit jour - coincés comme ils risqueraient de l'être depuis plusieurs heures, à la recherche aveugle de leur chemin dans des étiers sans issue - ne présentait en rien une meilleure solution. Ils se résolurent donc à l'inverse de ce qu'ils avaient voulu depuis le début, et décidèrent d'agir à l'arraché. Ils voleraient donc un bateau à moteur et phares, le plus petit d'entre eux, dans l'espoir de le faire avancer sans recourir au moteur, à l'aide de rames, pour commencer à s'éloigner du petit bourg. Quelques outils dans le coffre de la voiture qu'ils allaient abandonner là leur permettraient de forcer les serrures. Pour adoucir leurs remords, ils déposeraient sous l'un des essuie-glaces de leur voiture une lettre formulant leurs excuses pour le vol du bateau, l'absence de choix qui les y contraint, et le don de l'automobile en échange.