À l'âge de dix ans, j'ai tenu toute la Loire entre mes deux mains d'enfant rassemblées en coupe. C'était au pied d'une grande colline ardéchoise, rocailleuse et nue. Un mont qui ne doit sa célébrité qu'à ça, on peut à son pied recevoir entier l'écoulement de la Loire dans ses mains jointes. Une petite bâtisse fruste mais entretenue a été édifiée à cet effet, d'un tuyau bétonné jaillit calmement la source comme d'un robinet, pas plus abondante qu'un robinet. Si je n'avais pas déjà l'attachement ultérieur que j'éprouverais pour ce fleuve, il était mon favori et comme une de mes fiertés géographiques. Des grands fleuves français - dont l'école primaire m'avait par cœur fait apprendre les longueurs, les lieux de source et d'embouchure, les principales villes qu'ils traversent et la nature des cours -, la Loire est le plus proche des lieux de mon enfance, et comme il est également le plus long de tous ceux qui coulent en France, ma naïveté d'enfant et mon espoir puéril d'être de quelque façon exceptionnel pensaient que cette proximité m'attribuait une importance particulière. Pendant que la Loire à sa source était durant une seconde, tout au plus, entièrement entre mes mains, je m'interrogeais sur la durée qui serait nécessaire à cette eau pour qu'elle rejoigne la mer une fois que je l'aurais relâchée, et j'imaginais qu'alors, pendant une seconde tout au plus, le lit de la Loire serait vidé de tout fleuve dans son estuaire, sous le pont de Saint-Nazaire, comme si l'on avait coupé le robinet.