RIP Hunter Cher monsieur, j’ai l’honneur de me compter parmi les clients de votre boutique. J’ai jusqu’ici toujours été satisfait des produits achetés chez vous. C’est donc en toute confiance que j’ai commandé, page 43 de votre catalogue, cette veste canadienne faite spécialement (je reprends les termes mêmes de ce dernier) « pour résister aux conditions climatiques les plus exigeantes, idéal pour la chasse hivernale », au prix estimé de 253,99 dollars. Une somme, vous en conviendrez. L’homme qui pose, sur cette même page, avec ladite veste, m’inspira toute confiance : il ne semblait pas homme que l’on peut tromper sur la marchandise. J’achetai les yeux fermés. Bien mal m’en a pris ! J’ai reçu ce jour la veste canadienne tant rêvée. Nul doute qu’elle ne saurait résister à la moindre intempérie, et ne saurait guère me protéger, ne serait-ce que des fraîcheurs automnales. Alors les frimas hivernaux ! J’ai pris ici le temps de la réflexion. Je ne remets nullement en doute vos qualités de commerçant. Je ne suis pas homme à juger les autres : Dieu s’en chargera, et les chiens iront en enfer. Alors ? Un fabricant peu scrupuleux aurait-il abusé de votre confiance ? Un intermédiaire véreux ? Ou, plus grave, un individu proche, un ami, un membre de la famille peut-être, qui profiterait sournoisement de votre sérénité pour se graisser la patte au passage ? J’ai en effet constaté le climat familial de votre entreprise, ce qui m’avait d’ailleurs rassuré à l’époque (tant de vendeurs par correspondance abusent du naïf ou de l’inexpérimenté). Cher ami, je vous le dis et je vous plains : on est jamais trahi que par les siens ! Je compatis donc tout à fait à votre désillusion. Mais j’ai confiance en vos ressources, vous n’êtes par homme à vous laisser mener par le bout du nez. Vous saurez y mettre bon ordre. Et pour commencer, je ne peux que vous conseiller de me rembourser de mes 273, 45 dollars (frais de ports inclus), dont je requiers la légitime restitution. Je vous souhaite bien du courage ! Amitiés, Hunter.
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Il y avait toute la place qu'on voulait ici, parce que la population était suffisamment rare pour que l'espace soit en abondance, et le sentiment partagé par tous qu'il y avait là assez d'espace pour chacun n'incitait personne à occuper plus de territoire que ce que ses besoins demandaient, ou que ce que commandaient les désirs de ses fantaisies tempérées. La population était rare car les locaux, les familles qui étaient là depuis de nombreuses générations, n'avaient jamais été obsédés par les manies que partageait les autres humains, ni par les questions de survie de l'espèce, ni par le désir de s'étendre ou de conquérir, que ce soit pour la satisfaction de leur ambition, la confortation de l'image qu'ils souhaitaient d'eux-même, ou pour le contentement d'une entité supérieure qu'ils auraient inventée et désiré satisfaire. Les nouveaux arrivants étaient extrêmement rares, tant il était difficile de parvenir depuis ailleurs jusqu'à ces territoires, tant étaient peu nombreuses les personnes étrangères à prendre au sérieux l'existence même de ces lieux. La disponibilité spatiale laissée à tous permettait à chacun de modeler le territoire qu'il se choisissait comme il l'entendait, dans la mesure ou il trouvait les ressources d'énergie, de matière et de technique pour le bâtir et l'agencer à son idée. Ils étaient comme face à une page blanche qu'il leur était permis de noircir à leur guise, les nouveaux arrivants n'avaient pas la possibilité de recourir au secours du préalablement acquis. Certains d'entre-eux décidaient parfois de s'agglomérer pour former de petites villes, ou en reproduire qui leurs étaient familières. D'autres préféraient se constituer en sociétés miniatures et autarciques. Chaque communauté se sentait à l'abri des pressions exercées par le reste du monde, certaines d'entre elles avaient donc pu céder à diverses tentations utopiques et uchroniques pour l'organisation de leur collectivité, puisque personne n'était venu les en empêcher.