mercredi 2 juin 2010

202 : mardi 1er juin 2010

Murielle pleurait - et ne le voulait pas, du moins en public - est allée s'assoir au bord du ruisseau, pas sur la rive souriante au fond de la prairie-gazon qui s'étendait, entre les hautes et inégales bordures de buis, sous la terrasse de la maison, mais plus loin, en se frayant un passage dans les buissons, les bouts de terrain voués aux orties, plus loin encore, en suivant le petit coude du courant, en dépassant la terre sèche et les carcasses d'appareils, pots ébréchés, le chemin venant de la cuisine jusqu'à l'étendoir, en escaladant un mur écroulé, jusqu'aux pierres plates, petite zone chauffée par le soleil entre les arbres, clairière dans le bosquet qui équilibrait la maison lorsqu'on la découvrait au bout de la grande allée, en arrivant. Elle s'est assise sur une pierre doucement polie comme une dalle, et les larmes se sont pressées voluptueusement, acres et fades, en accord avec la légère puanteur de ce coin, avec les eaux sales qui se jetaient dans le ruisseau, en face d'elle, venant des porcheries cachées par le talus, là bas, retenues par un petit barrage filtrant. Elle hoquetait, perdait le souffle, s'abîmait sans retenue, libérée.

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Le monde s'était conduit d'une façon bien trop oublieuse de l'immensité d'incompréhensible, d'obscur et d'opaque sur laquelle il reposait, et de laquelle il tirait son existence. Il s'est construit depuis cette immensité impénétrable et terrible de façon à l'oublier, à vivre malgré ses bases sans dehors, l'effroi cosmique, l'inéluctabilité de la destruction, l'imprévisible fatalité de la souffrance et du devoir d'exister. En se constituant en sociétés, en organisations pourvues de techniques, de symboles et d'infrastructures, le monde circonscrivit cet incontenable et intarissable puissance merveilleuse et impénétrable autant qu'il le put, mais il ne fît ainsi que faiblement l'écarter, et à dénier l'existence de l'irréductible souverain. On souffrait toujours, et si les grilles explicatives s'adaptaient assez bien à la multitude des êtres pour être reconduites, elles avaient dû renoncer à toute lumière consistante sur ce qu'elle considérait comme marginal, mais qui était son fondement, son milieu indépassable. On avait administré la partie émergente de l'iceberg, en pensant que rien n'était sous l'eau, et sans comprendre pourquoi il faisait froid puisqu'on était au soleil. Les religions les plus démentielles et les plus chimériques se réservèrent le discours sur l'opacité survivante et invincible au sein du monde, et annonçaient des façons et des injonctions pour mettre fin à la perpétuité de l'insensé, ou pour s'assurer un jour et à jamais une autre existence par-delà l'obscurité. Une autre manière de se méprendre quant aux possibilités d'un en-dehors de l'obscurité obsidionale et omnipotente. Seul le Continent Retiré portait des société qui demeuraient largement ouvertes aux puissances de l'obscur et de l'incompréhensible. Elles n'en expliquaient rien, mais connaissaient son existence et lui laissaient une large place au cœur d'elles-mêmes.