Il tenait les matières plastiques pour un grand péril pour la civilisation dont il imaginait qu'elle était spécifique à son pays. Cette civilisation qu'à longueur de livres - pavé de sept-cents à mille pages sur pavé de sept-cents à mille pages qu'il écrivait, et vendait à centaines de milliers d'exemplaires - il exposait, attaquait, glorifiait, démontait. Les matières plastiques étaient selon lui le symbole et l'instrument de la façon dont cette civilisation répondait à nombre de ses problèmes, tout en étant le symbole et l'instrument de ce qui la perdrait. Il considérait la société dont il s'obsédait comme une gloire et une décadence, toute vouée à un inéluctable destin déchéant, en raison de ses façons de puissance aux moyens du plastique. Il haïssait le plastique, regrettait le métal, le bois et la roche auxquels il s'était substitué, auxquels il avait ajouté des objets et des systèmes qui n'avaient jamais existé dans un matériau qui ne soit pas cette malléabilité de synthèse. Dans la résidence d'écrivain qu'il avait au bord de la mer, la grande maison dans laquelle il se retirait souvent lorsqu'il quittait sans pour autant partir en voyage le vaste appartement qu'il occupait dans la mégalopole, il avait construit une immense ville miniature, intégralement faite de Légo. Elle comportait immeubles, gratte-ciels et maisons en nombre, routes, usines et bâtiments officiels, centre-ville, parcs et banlieues, aéroports, gares et centre commerciaux, parkings, hôpitaux et infrastructures. Entre la lecture de centaines de livres et articles pour assimiler le matériau nécessaire à l'écriture de ses romans surdocumentés, l'écriture de ses romans surdocumentés, l'observation de la civilisation qui était son sujet d'étude inépuisable, et la contemplation de la place que lui-même en tant que grand écrivain y occupait, il avait mobilisé des dizaines d'heures de son temps pour accumuler et assembler de petits parallélépipèdes formés dans la matière honnie.