vendredi 16 avril 2010

155 : jeudi 15 avril 2010

Pour grimper à une échelle avec succès, il vaut mieux la dresser de façon à ne pas simplement marcher à quatre pattes sur ses barreaux, il vaut mieux ensuite considérer que l'on parviendra à y grimper, au cas où elle aurait été dressée mais sans qu'on la fasse s'appuyer à l'autre extrémité. On grimpera sans le savoir, mais parce qu'on avait pensé que l'on allait y parvenir et qu'une fois parvenu rien d'anormal ne serait à constater, on grimpera jusqu'au haut posé dans le vide au-dessus de nos têtes. C'est quand on sera en haut de l'échelle et qu'on verra qu'elle n'a d'autre point d'appui que le sol et son propre corps qu'on risquera de chuter. Il faudrait parvenir à faire comme si tout allait pour le mieux et redescendre comme on était monté, mais personne n'y parvient. La surprise est trop forte. Et l'on échouera toujours à atteindre le sommet de l'échelle si l'on sait qu'elle ne tient qu'à nous ; même si on feint de l'ignorer mais qu'on le sait, on échouera.

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Début août 1974. Il avait 10 ans et venait d’emménager avec sa famille dans une tour neuve de 17 étages. Ils en étaient les premiers habitants, dans ce quartier moderne, près des universités, déserté pendant les vacances. Les ouvriers avaient terminé en tout premier, spécialement pour eux, leur appartement du 7ème : fixé les portes des placards, lissé les enduits des murs, posé les carreaux de la salle de bain, installé les sanitaires. Le reste de la tour était ouvert à tous les vents. C’est là qu’il passa l’été : comme ses parents étaient occupés à défaire les cartons, il était livré à lui-même, errant d’un étage à l’autre. Il revoit les pièces vides et sonores, les murs blancs, sur lesquels jouait le soleil d’août, la poussière de ciment sur le plancher, les alcôves des placards, les salles de bain aveugles et obscures. Il ramassait les fils électriques de toutes les couleurs abandonnés par les ouvriers, pour en faire des bagues, des bracelets, des cages. Son occupation préférée consistait à en chercher, d’un étage à l’autre, les pelotes emmêlées. Ou alors il allait dans le terrain vague qui jouxtait la tour, cueillir entre les gravats, des coquelicots et des fleurs de moutarde. Il faisait chaud. Il était seul. Il s’en souvient comme d’une période hors du temps.