jeudi 8 avril 2010

147 : mercredi 7 avril 2010

[ open-space ] Un mardi au goût de lundi. Début des vacances pour certains, d’autres restent là dans une atmosphère nonchalante. Le silence se fait presque harmonieux, un délicat intervalle de paix se crée enfin dans cet espace au préfixe ouvert. De l’ouverture née de l’absence. Moins de personnes, plus de vide, plus de silence. Des chaises dactylo inertes, inoccupées, dossiers plaqués sur des bureaux nettoyés. Posé sur le coin de l’écran, le micro-casque semble lui aussi prendre congés mérités. En pause les voix criardes traversant sa mousse protectrice élimée, du répit pour son écouteur souillé par la friction permanente des oreilles gorgées de cérumen poisseux. Les glandes sébacées, les corps, les esprits comme les objets et les meubles prennent du recul, se rangent soigneusement, se reposent enfin. Quelques bredouillements fluctuants rebondissent puis sortent par les fenêtres coulissantes pour échanger leur bruissement par un courant d'air printanier. Les jambes se dénudent, les épaules aussi. Le soleil du week-end a ravivé l’épiderme autant que l’humeur. Un, deux, trois, quatre vies à bout de souffle retrouvées ce matin comme si elles étaient heureuses de venir travailler. Et je caresse du doigt le lobe de mon oreille droite.

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Agnès regardait le dos de Guillaume, un peu vouté, mais si peu, et la distance entre eux se creusait. Elle refusait de s'exténuer à essayer de la réduire, ou même de la maintenir. Elle s'agaçait, un peu, de sa vieille veste de cuir un peu éraflée, savait le soin qu'il avait apporté, comme sans le savoir, au reste de sa tenue. Son éternel dandinisme. La petite colère, un rien sur-jouée, le pauvre chéri, qui le faisait bougonner à l'idée de la fête organisée par leurs enfants pour cet anniversaire ; elle avait plaidé, s'était moquée de lui, légèrement, sans trop appuyer, avait insisté. Ce dos. Elle lui souriait. Elle le revoyait disant, ce matin, en entrant, venant du jardin, bottes sales sur carreaux nets, dans la cuisine où elle rêvassait devant une tartine de miel, que, puisque c'était comme ça, et puisqu'il semblait que ça se fêtait ces cinquante ans de mariage, il ne supporterait tout le ramdam qu'ils allaient organiser les autres – elle avait froncé les sourcils – il avait répété « les autres » avec un petit sourire de sale gosse malicieux – il ne jouerait les patriarches comme ils le voulaient que si, auparavant, ils la faisaient tous les deux la fête, et que, pardon, elle savait bien, l'imagination ce n'était pas dans ses cordes, il l'emmenait dîner ce soir, chez X, ça lui allait ? Bon, il allait téléphoner pour réserver – et il était sorti. Elle avait soupiré, il ne changerait pas ; elle avait soupiré plus doucement, c'était gentil. Il marchait tout de même vraiment trop vite. Il l'avait oubliée, il fonçait vers le but qu'il s'était fixé. Elle a trébuché, et à ce moment il s'est retourné. Il l'a toisée « Vous venez ? ». Elle a murmuré « Vous allez trop vite, toujours, mon Chéri ». Il a souri. Il lui a pris le bras. Ils sont repartis. Ils passaient devant un manège, absurdement vieillot, comme ceux qui avaient accueillis leurs parents. Elle regardait les chevaux. Il l'a regardée. Elle a pensé « Vous vous souvenez ? ». Il a dit « Vous étiez négligeable. C'est dix ans plus tard que vous m'avez forcée à vous voir ; vous étiez charmante ». Elle a répondu « Vous étiez une petite brute » - « Déjà ? » - « Déjà. » Ils ont ri.

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Un jour j'avais été persuadé que l'intérieur de la bouche des filles était frais alors que je ne doutais pas qu'il l'était aussi peu qu'en la mienne chez les autres garçons. Ceci dut contribuer au dégoût que j'avais pour l'érotisme des corps mâles, et instaurer dans le même mouvement une idéalisation fascinée des filles de mon âge et leur attribution au sein de mon esprit d'une place à elles réservée, irréductiblement autre et reclose sur elle-même. Les filles m'étaient d'autant plus étrangères qu'attirées par les garçons, elles désiraient des bouches dont l'intérieur était chaud, que du moins elles s'en accommodaient, désirant suffisamment la bouche des garçons pour tolérer la chaleur qui y siégeait. Une tournure d'esprit fortement enracinée et tout à fait retorse me fît croire que la chaleur interne à ma bouche était intolérable à la fraîcheur féminine, désirable et salvatrice bien que gauchement portée, et virginale bien qu'intrépide, sans que pourtant je croie cette chaleur qui était honteuse autant qu'elle est mienne différente de celle qui derrière les lèvres et entre les mâchoires de certains de mes camarades masculins étaient sous mes yeux indiscutablement attractive et même recherchée, sans non plus que le bien fondé du charme distillé par le corps acceptablement lesté de chaleur buccale de mes congénères me semble douteux.