"Je vous écris d'un pays lointain" (10) C’était fête du Grand Passage, deux semaines dernières. Pour cette raison qu’impossible alors de vous écrire. Avec temps du Grand Remuement (lui pendant le mois d’octobre), c’est plus grand moment de l’année. Tous ici courent à travers les rues de la ville jusqu’à ses portes. Course folle d’enchevêtrés si difficile à décrire. C’est souvenir de l’effondrement des Murailles, il y a très longtemps, avant le moyen âge. Quand il avait fallu fuir Brünswick, la capitale alors, toute en feu sous l’assaut des pillards (les Hommes-du-Vent, je vous en ai déjà parlé, je crois). Alors détruisaient tout ce qui sur leur route de hasard. Grande peine et soulagement à la fois dans cette fête : soulagement d’avoir pu échapper à mort promise, mais peine de la terre quittée à jamais (les textes d’autrefois décrivent un tel bonheur quand là-bas notre peuple). Mais nostalgie inutile, même si souvent des larmes dans les saouleries du Grand Passage. Parfois quelques-uns qui s’immolent par le feu. Mais très rare. On dit qu’une dizaine cette année. Bien à vous, …
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Assises sur assises, marqueterie de tons du blanc vieilli à l'ocre, sur laquelle brodent les zones brunes, là où la pierre s'est laissée gorger d'humidité, en rectilignes redans, contreforts, appuis, la muraille s'élance vertigineusement vers le ciel violet, irradié, et en renversant la tête pour la suivre des yeux je garde conscience, dans cet essor, de la solide pesanteur qui le crée, l'accompagne, pulse ce mouvement figé. Envolée plus solidement ancrée que je ne le suis sur mes jambes écartées
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Le Type au fond du couloir (5/6) Ainsi, chaque après-midi chez l'historien offrait son lot de nouveautés. Toujours au sol, parmi les livres et le reste, s'éparpillait l'ensemble des dessins exécutés quelques heures auparavant. La plupart étaient réalisés sur de bêtes feuilles de papier machine en format A4 et quelques-uns, plus rares, sur des supports bâtards récoltés de ci de là : enveloppe en kraft, carton de papier à cigarette, brique de lait déchirée... Je me souviens d'une paire de mâchoires au crayon gris, béantes, monstrueuses, qui s'entre-mordaient et avaient provoqué en moi une impression de malaise dont je n'avais pu me défaire avant le lendemain. Je me rappelle aussi d'un ensemble de portraits, des jumeaux et des jumelles qui souriaient jusqu'aux oreilles. Il y avait des labyrinthes aussi, et des marelles traitées aux pastels avec beaucoup de matière, ainsi qu'une improbable série de gribouillages où l'historien s'était appliqué à user l'encre d'une dizaine de stylos à bille flambant neufs. Mais la mémoire me manque et il y en avait tellement, tellement...
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J'allais souvent dans cette librairie sur la place, celle dont le fond est façade de chapelle. J'y traînais dans les rayons et n'y achetais quasiment jamais rien. Les livres y sont écrits dans une langue étrangère que je connaissais mal, il n'aurait pas été judicieux de dépenser même peu d'argent pour quitter les lieux avec un des volumes que je n'aurais compris qu'à peine, et dont j'aurais sûrement définitivement arrêté la lecture avant la fin de l'introduction. Avant de vivre dans la ville, j'y étais allé quelques fois déjà, et ces fois-ci certainement, j'avais acheté quelques ouvrages en ces langues étrangères dont je pensais alors que je les apprendrais en les lisant, ou que je les apprendrais ailleurs pour pouvoir lire en nombre ces livres, vendus dans la librairie sur la place à fond en façade de chapelle, que l'apprentissage serait formalité, qu'il ne serait question que d'un peu d'envie et d'enthousiasme, et que sans peine, sans abnégation ni renoncement, j'aurais bientôt toute aisance, légèreté et profondeur pour batifoler entre les pages, avalant les chapitres et les volumes avec entrain et hauteur de vue. Il n'en alla pas ainsi, et je n'appris jamais correctement, je sus un peu du vocabulaire mais peu, et mal. Résidant plus tard dans la ville au sein de laquelle se trouve la place aux allures de peinture de la cité idéale, au fond de laquelle s'ouvre comme scène et décor une large façade de chapelle glorieuse, j'allai souvent dans cette grande librairie parcourir les rayonnages où se dressaient serrées les pages couvertes d'hermétisme superbe, langue à côté de laquelle celle dont je disposais était babil et galimatias. J'y retournais et ressortais les mains vides, abattu sûrement de me savoir défaillant et insuffisant, vaincu par moi-même et par cette langue que je ne pratiquerais jamais qu'à la façon des amateurs dominicaux, tandis que ses champions s'escrimaient bon train à ses moyens et à longueur de semaine, comme si elle leur était aussi soumise et familière qu'une troisième main qu'ils auraient aussi naturellement que la droite et la gauche au bout des bras dont, droit et gauche, je dispose également, sans que ces membres m'aient été du moindre secours pour me hisser jusqu'à leur championnat. Je ne vais plus à la librairie, et si je vois parfois la place aux allures de peinture cosa mentale de cité idéale, au fond de laquelle toujours est la façade de la chapelle en majesté, j'ai quasiment oublié qu'à son côté gauche se trouvent toujours ces rayonnages où reposent les véhicules de la langue que je voulais faire mienne.