mercredi 14 avril 2010

153 : mardi 13 avril 2010

Quelques jours après leur entrevue, elle l'avait de nouveau aperçu sur un quai de RER, assis seul et le regard perdu, affaissé, soupirant profondément comme à son habitude, rongé par quelque pensée trop lourde à porter. Il n'aurait pas dû être là. Il lui avait dit qu'il quittait Paris le lendemain de leur rendez-vous. Il n'aurait pas dû être seul, mais accompagné de sa nouvelle femme. Il n'aurait pas dû rester sur ce quai sous-terrain après que la rame se soit arrêtée sans qu'il y accorde la moindre attention. A quoi pouvait-il penser ? Elle n'avait pas vraiment envie de le savoir. Le voir là alors qu'elle ne s'y attendait pas lui avait déjà fait l'effet d'une douche froide, elle n'avait pas besoin de davantage d'émotions. Elle avait passé une après-midi délicieuse avec une amie : d'abord un film soigneusement choisi dans le répertoire du cinéma asiatique qu'elle affectionnait, puis un thé gourmand dans un salon cosy. Tout ce bien-être gâché en une seconde... Elles attendaient toutes deux le train qui les ramèneraient dans leur banlieue quand son regard s'était d'abord posé sur une paire de chaussures masculines ordinaires, plutôt sportives pour le contexte urbain, mais insignifiantes. Machinalement elle avait levé les yeux sur l'inconnu à quelques mètres d'elle. Et c'était lui ! L'homme épousé dans une autre vie, le père de ses filles, revu dans d'étranges circonstances cinq jours plus tôt, dans ce café où ils ne trouvaient plus rien à se dire. Lui. L'homme aimé, être instable, dérangeant, manipulateur malheureux, échoué sur un banc de la station Luxembourg. Elle avait fui, prenant son amie à son bras sans rien lui dire et l'entraînant dans la voiture dont les portes s'ouvraient à peine. Sans doute éprouvait-elle un certain plaisir à le découvrir ainsi abandonné. A moins qu'il n'attendît quelqu'un ? Mon dieu, la vie nous joue de ses tours ! Aussitôt les portes refermées, dans un fracas qui lui procura un nouveau choc, elle s'en voulut de ne pas lui avoir tendu la main, de ne pas lui avoir prêté une oreille attentive, car à le regarder à son insu s'éloigner, elle croyait deviner un visage torturé. Une fois de plus elle se sentit coupable de ne pas le comprendre.

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Il n'est pas de vide, mais de moindres pleins au sujet desquels nous nous méprenons. L'intégralité de ce qui nous est permis est un agencement de pleins plus ou moins denses, notre milieu est indépassablement plein, de telle sorte que nous ne saurions être mieux définis et désignés que : celles et ceux qui existent dans le plein - redessinant ainsi pour nous-mêmes les contours de la communauté dont nous sommes part, y faisant figurer non moins légitimement que nous mêmes de nombreux êtres que nous avions frappés d'étrangèreté en vertu de critères erronés - davantage erronés. Le milieu qui nous est consubstantiel - le plein - a pour envers fatal : que notre perception et toutes nos possibilités de connaissance et d'imagination sont placées sous l'emprise totale de l'opacité. L'intensité variable de l'opacité dans laquelle nous pensons et éprouvons nous fait croire en la transparence, nous fait à tort tenir la transparence comme référence et forme de la sensibilité et de l'intelligence. Nous tenons la déperdition de la transparence dans l'obscurité de la distance comme accidentelle et inessentielle, à l'exact envers de la réalité du monde : les brusques s'en vont pour les arrachées qui pendent.